Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

nauté, on ne la vit partir qu'à regret : & elle de fon côté pour correfpondre à leur amitié, leur promit de revenir auffitôt qu'elle feroit guerie; quoiqu'intérieurement la condition de Religieufe ne lui plût pas beaucoup. Car ce fut cela même qui fut la véritable caufe de fa maladie. Il y avoit déja quelque tems qu'elle étoit entrée dans un grande mélancolie, fe voyant engagée dans un état qu'elle n'avoit pas choifi, & qui étoit entiérement contre fon inclination ; mais puifamment retenue d'ailleurs de s'en dédire par les égards qu'elle avoit pour M. fon pere, que cela auroit fort chagriné, elle déliberoit même d'aller fe marier, & penfoit à fe retirer à la Rochelle qui étoit alors entre les mains des Huguenots, pour exécuter fon dessein. Son éloignement pour la vie Religieufe étoit fortement foutenu par des Tantes qu'elle avoit, & qui étant de la Religion prétendue-réformée, la dégoutoient du Couvent autant qu'elles pouvoient. Elles effayérent même une fois de l'attirer à leur Religion, & lui dirent de lire l'Epître de S. Paul aux Romains, qu'elle y trouveroit la condamnation de la doctrine de l'Eglife Catholique: elle la lut, & y trouva tout le contraire, & Dieu, dit-elle voulant bien » l'éclairer des lumiéres de la vraie foi. »

[ocr errors]

Pendant fix femaines de maladie fa trifteffe augmenta de telle forte, que rien au monde ne pouvoit la divertir. Lorfqu'elle commença à fe mieux porter, fes parens la menérent à Åndilli pour lui faire prendre l'air pendant fa convalefcence. Elle y demeura trois mois un peu moins mélancolique, mais portant toujours dans fon cœur le fond de fon chagrin. Une rencontre particuliére l'aggrava beaucoup. M. fon pere lui fit figner un écrit, fans lui dire ce que c'étoit : mais

VI.

d'un Capucin.

comme le respect lui fit prendre fur le champ la plume pour le figner, elle apperçut d'un coup d'œil quelques mots qui lui firent comprendre que c'étoit la ratification de fes vœux qu'il lui faifoit figner. A la fin de l'année Madame Arnaud, qui n'aimoit point voir les Religieufes hors de leur maifon, la ramena à P. R. avec une petite foeur de huit ans, Marie Arnaud. La jeune Abbeffe trouva moyen d'obtenir de fes parens, que fa fœur la petite Abbeffe de S. Cir demeurât auffi à P. R.. avec elle, parce qu'elles s'aimoient beaucoup. L'Abbeffe de P. R. avoit fes vues. Elle fe propofoit de la dégouter peu à peu de S. Cir & de fa qualité d'Abbeffe, afin de l'attacher à PR. & de l'avoir toujours avec elle. Quoique la chose ne fût pas facile, ni du côté de la famille qui fe feroit oppofée à ce changement, ni du côté de la petite Agnès qui aimoit fon titre d'Abbeffe, & qui portoit toujours une petite croffe d'or pendue à fon chapelet; la feur aînée réuffit cependant dans fon deffein, & même en affez peu de tems, comme

-on le verra dans la fuite.

Le moment de la grace pour l'Abbesse de Angélique P. R. n'étoit pas loin, quand elle retourna au eft touchée de Monaftére: on remarquoit déja en elle d'heuDieu par la reux commencemens. Elle fentoit un penchant prédication fecret pour l'Oraifon, qui ne la quittoit point au milieu de fes paffetems frivoles : elle étoit honteuse de toutes les fautes qu'elle commettoit, & difoit dans fon cœur: » Mon Dieu, - ɔɔ enfermez-moi dans un cachot où je ne voie ni ciel ni terre, & où je ne fois plus dans l'occafion de vous offenfer. » Trois mois après fon retour à P. R. vers la Fête de l'Annonciation en 1608. un Capucin arriva le foir à P. R. & s'offrit de faire un Sermon à la Communauté.

[ocr errors]

L'Abbeffe qui revenoit de la promenade,héfitoit d'abord fur la propofition, parce qu'il étoit tard. Elle y confentit cependant, & fit fonner le Sermon après Complies. Elle y assista comme par manière d'acquit: mais elle n'en fortit pas de même. Ayant entendu le Prédicateur expofer les rabaiffemens profonds du Fils de Dieu dans fon Incarnation & dans fa Naissance, elle fut vivement touchée de cet objet ; elle fe fentit pénétrée de l'amour du rabaissement, de la pauvreré & du mépris des hommes, & en même tems toute changée fur l'article de fon averfion pour la vie religieufe. Toutes fes peines s'évanouirent, & il ne lui refta que celle de n'être pas dans la vie la plus auftére, & dans la condition la plus baffe. Elle penfa auffi dès l'heuremême à s'adreffer à quelqu'un pour la conduite. Mais quoique le Sermon du Capucin eut été l'occafion & l'inftrument de la miféricorde de Dieu fur elle, elle eut néanmoins un certain instinct de difcernement pour ne pas prendre le Prédicateur pour fon Directeur. Les fuites ont justifié fon jugement. Cet homme étoit de mauvaifes mœurs; il avoit porté le défordre dans plufieurs Maisons Religieufes ; & quelques années après il apoftafia & de la Réligion monaftique & de la foi Catholique,& pafla en Angleterre. On a fçu que Dieu lui avoit fait la

ce depuis de fe reconnoître, & qu'il étoit rentré dans le fein de l'Eglife.

Angélique conferva dans fon cœur ces commencemens de conversion jusqu'à Pâques. Elle commença dèslors à pratiquer plufieurs austérités, jufqu'à fe lever toutes les nuits pour prier. Elle alloit le faire dans un grenier, afin que la chofe fut fecrete, & que la Religieufe qui couchoit dans fa chambre,ne l'apperçut pas levée &

re. Sa famille

s'y oppose.

priant Dieu. Elle ne tarda pas à concevoir une fainte averfion pour les Dignités : fa qualité d'Abbeffe lui étoit infupportable ; & elle n'eut long-tems d'autre penfée, que de fe retirer clandeftinement dans quelque Couvent éloigné, & de s'y faire Religieufe Converfe. Ce n'étoit pas feulement l'humilité qui lui donnoit cette vue : elle fentoit d'ailleurs le danger de rester dans une place où elle étoit entrée fans vocation, & d'une façon auffi irrégulière. Un Capucin qui prêcha à la Pentecôte fuivante, fut fon premier Directeur. Elle s'ouvrit à lui, & il applaudità tous les bons fentimens : mais il l'arrêta fur l'article de l'Abbaye, lui repréfentant qu'il n'étoit pas impoffible de réformer ce qu'il y avoit de défectueux dans fa nomination, & qu'il valoit mieux demeurer,& travailler à réformer les abus de fa maison. D'autres perfonnes penférent de même. Quoiqu'il en foit de ce que décidérent ces bonnes gens qui n'en fçavoient pas davantage non plus qu'elle, elle conçut le deffein de la réforme.

VII. Elle en parla à fes Religieufes à mots couAngélique conçoit le verts, en les exhortant à penfer un peu à leur deffein de la confcience ; & elle s'ouvrit entiérement à deux Réforme de Sœurs, dont l'une étoit celle qu'elle avoit reçue fon Monafté-à Profeffion. Ces deux Sœurs entrérent pleinement dans fes vûes. Le Confeffeur Capucin nourriffoit toujours en elle ce pieux deffein. Il lui fuggéra de le communiquer à fes Supérieurs majeurs, l'Abbé de Cîteaux, & l'Abbé de Morimont. On fçait que l'Abbé de Cîteaux eft le Général de tout l'Ordre de S. Bernard, & que l'Abbé de Morimont eft un des quatre premiers Peres, comme on les appelle; étant Abbé d'une des quatre grandes maisons qui font chefs d'un grand nombre d'autres appartenantes à leur filia

tion, & foumises à leur Jurifdiction immédiate. Les Abbés ne s'éloignérent pas de la propofition, mais ils ne voulurent pas qu'on fit rien fans le confentement de M. Arnaud. Cinq mois s'écou lérent fans que la jeune Abbeffe eut pû commencer l'exécution de fon projet. Elle en prit tant de chagrin, fur tout à caufe des grandes oppofitions qu'elle prévoyoit bien qui ne manqueroient pas d'arriver, qu'elle tomba malade de nouveau. Il lui prit une fiévre quarte, qui fut une bonne occafion à M. Arnaud de traverfer les defleins de fa fille, dont les Abbés de l'Ordre l'avoient informé. Il vint la querir au mois de Septembre,& la mena à Andilli pour lui faire perdre la fievre & plus encore les idées de Réforme. Ce n'étoit pas que le pere & la mere n'euffent de la Religion : la mere même en fon particulier auroit voulu voir la Réforme à P. R. pour la clôture. Mais l'un & l'autre aimant beaucoup leur fille, appréhendoient qu'une vie trop auftére ne ruinât la fanté & n'abrégeât fes jours.

Elle eut bien à combattre à Andilli. On l'attaquoit continuellement fur le point qui lui tenoit fi fort au cœur. On lui reprochoit même fa témérité, de vouloir, jeune comme elle étoit, faire d'auffi grands changemens dans faCommunauté. Comme on s'apperçut dans la maison qu'elle ne portoit point de chauffettes de linge," & qu'elle couchoit même toute vêtue, ce qui étoit caufe qu'il s'étoit engendré de la vermine dans fes habits, on fe facha tout de bon contre elle. M. Arnaud alla un matin la trouver dans fon lit, pour lui faire des reprimandes: il la prit par l'endroit fenfible, en lui difant qu'elle l'affligeoit au point qu'elle le ferait mourir de chagrin. Angélique qui s'étoit défendue d'àbord par fa confcience & fes.obligations, neut

« PrécédentContinuer »