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fon refpect & de fon attachement pour la Prin ceffe. Elle lui en donna une preuve bien fenfible dans une petite vérole qu'elle eut. Car elle s'enferma avec cette Dame pour lui fervir de garde jour & nuit, & lui rendre toute forte de fervice: elle gagna elle-même la maladie dont elle fut très-mal, & penfa perdre l'œil. On racontoit dans le tems que fon œil fut guéri par un miracle; mais on ignore la maniére.

La maifon de Maubuiffon étant pourvue d'une Abbeffe titulaire, la Mere Angélique fongea à fe retirer. Elle obtint en 1623. de M.. de Cîteaux la permiffion de retourner à fon cher P. R. & même d'amener avec elle toutes les filles qu'elle avoit reçues à profeffion. Car il faut fçavoir que de trente-deux filles qui étoient entrées pendant la commiffion de la Mere Angélique, il y en avoit dix qui avoient fait leurs vœux entre les mains, & que l'une de ces dix, qui étoit la fille de M. de Bonneuil Introduc teur des Ambassadeurs, n'ayant fait profession que pour P. R. les neuf autres ne vouloient point s'engager autrement : & elles ne firent en effet leurs vœux fimplement & fans condition que parce que la Mere Angélique leur donna parole que fi l'affaire de la Réforme ne profpéroit pas à Maubuiffon, elle les recevroit à P. R. Lors donc que la Mere fut prête à partir les neuf Profeffes & les 21. Novices lui firent tant d'inftance pour avoir le bonheur de la fuivre, qu'elle ne pût se refufer à leurs empreffemens & à leurs larmes:voyant d'ailleurs que Madame de Soiffons n'étoit pas fort ardente pour le bien de la Réforme. Les obédiences des neuf Profeffes furent obtenues fort fecrétement, afin que Madame de Soiffons ne traversât point l'affaire. Auffi lorfqu'elle fçut la chofe, elle en fçut

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très-mauvais gré à la Mere Angélique, & en
garda toute la vie un reffentiment contre elle.
Les Religieufes de P. R. furent confultées à ce
fujet,
, parce qu'il falloit avoir leur confente-
ment. Il étoit d'autant plus nécessaire que la
maifon de P. R. étoit fort
pauvre, & que ces
trente filles, tant Profeffes que Novices, n'appor-
toient que soo. liv. de penfion viagére pour
toutes les trente enfemble. La Mere Agnès &
toute la Communauté acceptérent fans hésiter &
même avec joie les 30. Sujets qui n'avoient à
préfenter au Couvent qu'une bonne vocation
avec la pauvreté de Jefus-Chrift. On ne fe laf-
fera jamais, tant que la mémoire de P. R.
fubfiftera, d'admirer un défintéressement auffi
généreux & une foi auffi héroïque de part &

d'autre.

Ce fut Madame Arnaud qui fit la dépense du tranfport elle fournit d'un grand cœur les caroffes, & défraya tout le voyage. Il est vrai que d'abord elle ne confentoit pas volontiers à la réfolution prife par fa fille: elle reprefentoit qu'il étoit téméraire de charger P. R. d'un fi grand nombre de filles pauvres. La Mere Angélique ufa d'un petit ftratagême pour gagner Madame fa mere. Elle confeilla à ces tren, te filles de s'adreffer à elle, pour la prier d'être elle-même leur Protectrice auprès de leur Abbeffe pour en obtenir cette grace; de fe jetter à fes pieds, de la conjurer avec larmes. L'expédient réuffit, Madame Arnaud qui avoit un excellent cœur, touchée des larmes de ces filles, fut la premiére à prier fa fille de les mener avec elle, & promit d'affilter le Couvent de fon ar gent dans cette rencontre.

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XLVI.

Trait fingu

L'entrée de ces trente filles à P. R. ne fut pas moins admirable dans fes circonftances que dans lier du filence

de ces filles.

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le fond de la chofe. La Mere Angélique étoit
obligée de s'arrêter à Paris dans fon retour de
Maubuiffon. Ainfi elle envoya devant elle à
P. R. ce nouvel effain. Elle eut foin de pour-
voir à ce que cet événement ne causât point
de diffipation dans le Monaftére, C'est pour
quoi elle ordonna à ces trente filles un filence
abfolu, qu'elles garderoient depuis leur arrivée
jufqu'à ce qu'elle vint elle-même leur délier la
langue. Et comme il étoit néceffaire qu'on pût
les connoître en attendant, elle leur mit à tou-
tes un billet fur la manche, où le nom de cha-
cune étoit écrit. Elles arrivérent à P. R. le 3.
Mars 1623. Ce fut un jour de Fête pour la Mere
Agnès & pour toute la Communauté,
à qui
on peut attribuer à ce fujet cette noble pensée
de l'Apôtre; que leur profonde pauvreté répan-
dit abondamment les richeffes de leur charité fin-
cére. Lajoie fut telle que le Te Deum fut chan-
té en action de grace du préfent que la Pro-
vidence faifoit à la maifon de trente pauvres
de Jefus-Chrift. Tout avoit été difpofé par avan-
ce pour loger ces trente nouvelles hôteffes le
moins mal qu'il étoit poffible; les anciennes fe
refferrant & fe privant de leurs commodités.
Ainfi l'on vit une très-petite maifon devenir
large tout d'un coup par l'étendue de la charité
de celles qui voulurent bien s'incommoder pour
les autres; & une maifon triste par elle-même
& peu
aifée, devenir belle & brillante à de pau-
vres filles, qui ne cherchant que Jefus-Chrift,
l'y trouvoient dans la pauvreté de la crèche, &
dans l'obscurité du tombeau. Le filence ordon-

par la Mere, fut exactement gardé. Aucune de ces jeunes filles n'ouvrit la bouche pendant tout le tems de l'interdiction. Elles ne faifoient que préfenter le bras, quand on avoit affaire.

à quelqu'une d'elles, afin qu'on lût fur leur manche qui elles étoient, pour les employer à ce qu'on fouhaitoit qu'elles fiffent.

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2

La Mere Angélique cependant demeura quelques jours à Paris, qu'elle paffa dans la maifon de la Vifitation de la rue faint Antoine qui étoit alors l'unique maifon de cet Institut à Paris. Elle revint à P. R. le 12. Mars, & en arrivant elle délia la langue des trente muettes béniffant Dieu de la fidélité & de la régularité de fes chéres éleves. Outre cette nombreuse recrue, la Mere reçut encore huit autres Reli gieufes de l'Ordre, fçavoir cinq du Paraclet, & trois de faint Antoine de Paris qui demandérent à être admifes : & cependant par un ordre fecret de la Providence, le petit bien de l'Abbaye fe trouva fuffifant pour fournir à cette nombreuse compagnie le néceffaire, & même au-delà. Peu de tems après le retour de la Mere, il courut des rhumes fort mauvais dont prefque toute la Communauté & ces nouvelles filles furent malades : pendant que cette crife dura, la Mere ne laissa manquer de rien les infirmes & les faines. Elle n'avoit promis à fes filles de Maubuiffon que du pain & du potage, de quoi elles s'étoient contentées ; & elle ne laiffa pas de les nourrir en bonne partie de gelée pendant tout le tems des rhumes; on en faifoit près d'un sceau à la fois.

XLVII.

Le Noviciat de Maubuiffon qui avoit été Autre trait formé par les mains des perfonnes les plus zé- dans le même lées pour la pénitence, la Mere Angélique, & genre, d'une les trois Sœurs fes afsociées, avoit amené dans Sur qui cou. la Communauté un renouvellement de goût

che fur des fa

gots pendant

pour les pratiques de mortification. Ces trois quelque tems, Religieufes tâchérent d'imaginer de concert pour ne pas quelques nouveaux moyens de perfectionner rompre le fi

lence.

cette œuvre ; & la Mere décidoit de ceux quf convenoient pour toute la Communauté. La Mere Agnès entroit dans ces projets, par le merveilleux art qu'elle avoit de procurer dans l'occafion à toutes fes filles d'utiles mortifications. Car elle n'avoit rien tant à cœur que de détruire & dans elle & dans les autres jufqu'aux plus petites fibres de l'amour propre, & de la recherche de foi-même, Le zéle de la Mere Angélique fe fit fur-tout remarquer fur le filence. Elle l'établit entier & fans réferve. Elle fupprima même la conférence après le dîner, la regardant comme peu néceffaire, & d'ailleurs comme un obftacle à la pratique parfaite de ce filence total,tant recommandé dans la Régle de faint Benoît. Les Religieufes l'embrafférent avec une fidélité & une ardeur incroyables. On a vu la Sœur Yfabelle, l'une des trois coopératrices de la Mere dans la Réforme de Maubuiffon, paffer un Carême entier dans la Préfidence de la cuifine, fans prononcer un feul mot pendant les fix femaines, faifant tout entendre par figne aux Sœurs qui travailloient fous elle. Mais ce trait quelque fort qu'il foit, paroîtra encore peu de chofe, fi on le compare avec celui que je vais rapporter. Une Novice, nommée Chriftine des Rofiéres, fut envoyée un foir dans une cellule qu'on croyoit meublée. Elle ne l'étoit pas cependant. La Sœur n'y trouva que des fagots. Elle s'y établit fans rien dire, fe coucha fur les fagots apres y avoir étendu fon manteau de Choeur, & pafla ainfi plufieurs nuits. Ce fut par hazard que la chofe fut apperçue. Une perTonne qu'on avoit envoyée à fa cellule la chercher, n'y ayant vu que des fagots, crut qu'on fe méprenoit, & que ce n'étoit pas là que logeoit la Sœur. On appella celle-ci pour éclair

cir

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