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pour la premiére fois dans un Couvent, j'ac corde ce qu'on me demande. » La Mere Angélique pria Sa Majefté d'obtenir du Roi la permiffion de fe démettre de fon Abbaye, & la de la rendre élective & triennale. La grace Reine fort furprife, lui dit qu'elle ne s'attendoit pas à une pareille demande, & lui promit qu'elle le demanderoit au Roi fon fils. M. d'Andilli s'étoit donné de grands mouvemens pour faire réuffir cette affaire. On s'en railloit dans le monde. On ne comprenoit pas comment il pouvoit être auffi ardent à perdre l'espérance d'une Abbaye pour les fœurs & pour les filles, que les autres le font pour en briguer en faveur de leurs enfans. La Reine demanda la grace au Roi à fon retour de la Rochelle, & les Lettres patentes furent expédiées en 1630. La Mere Angélique fit auffitôt la démission pure & fimple de fon Abbaye, en présence de l'Official de Paris. La Mere Agnès envoya de Dijon où elle étoit la démiffion de fa Coadjutorerie ; & quelques jours après, la premiére Election se fit en préfence du Grand-Vicaire. Ce fut la Mere Geneviéve le Tardif qui fut élue. Elle étoit du nombre de celles que M. de Langres avoit envoyées à Tard. Ainfi on la fit revenir pour prendre le gouvernement de l'Abbaye de P. R. C'est ce qui donna de grandes facilités à M. de Langres pour faire dans la maifon le changement d'efprit & de conduite qu'il projettoit.

La Mere Angélique n'étant plus en place, le laiffoit faire, tant par un grand fond d'humilité & d'éloignement de tout ce qui pouvoit charger fa confcience devant Dieu, que par l'eftime qu'elle avoit conçue de M. de Langres, à qui elle croyoit devoir déférer aveuglément, malgré les difficultés & les répugnances qu'elle

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éprouvoit fur plufieurs points. D'un autre côté la nouvelle Abbeffe la Mere Geneviève le Tar dif n'avoit pas grande autorité ; & tout fe régloit fuivant les vues & par les ordres de la Prieure, qui étoit cette Mere Jeanne de Saint Jofeph venue de l'Abbaye de Tard. La face det la maifon changea par plufieurs endroits. On ne fouffrit plus qu'on mit des piéces aux robes: il en falloit donner plufieurs fois par an. On faifoit blanchir les manteaux une fois l'an avec une grande dépenfe: on les envoyoit au foulon ; puis on les mettoit dans deux ou trois pains de blanc pour les rendre plus beaux. On ôta les godets de grais, & on en fubftitua de fayance fine. Il falloit que les cellules fuffent proprement ornées, pour plaire aux Dames de condition qui entreroient dans la maison. La récréation que la Mere Angélique avoit convertie en une conférence, & enfuite entiérement fupprimée, fut rétablie. Les conversations libres & gaies prirent commencement. Les railleries, les petites plaifanteries, les traits d'efprit s'y mêlérent. Le prétexte étoit de tirer la Communauté d'une fimplicité qui fembloit pouffée trop loin, & de donner plus d'ouverture aux efprits, en les tenant moins gênés. Le filence & la féparation du monde fouffrirent un grand déchet depuis cette époque. La diffipation s'enfuivit, &, ce qui eft encore plus fâcheux, la partialité, les unes tenant aux anciens ufages, les autres approuvant beaucoup les nouveaux les unes étant fortement prévenues d'eftime pour M. Zamet & pour les Religieufes de Tard; les autres très-peinées des innovations du Prélat. Cependant la profonde bnmilité & la grande patience de la Mere Angélique fe faifoient admirer. La manière dont

elle fur traitée, fit également paroître & l'éminence de fa vertu, & le travers de ces bonnes filles, qui croyoient d'ailleurs bien faire. Il n'y eut forte d'humiliations, je pourrois dire d'outrages qu'on ne lui fît à bonne intention. Défenfes furent faites à toutes les Sœurs de lui parler jamais; à quoi elle fe foumit avec une humble exactitude; on la voyoit s'excufer d'entendre celles qui s'approchoient d'elle, jufqu'à ce qu'elles euffent demandé permiffion. Elle étoit prefque réduite au dernier rang, n'en ayant point d'autre que celui qui lui écheoit au hazard: car fuivant les nouveaux ufages des Meres de Dijon, on tiroit les places au fort de tems-en-tems. Bien loin d'y répugner, elle prit même abfolument la derniére place de la maifon pendant trois mois d'une retraite entiére qu'elle fit au Noviciat. On a lu deux ou trois fois fa vie au Réfectoire, c'est-à-dire, un Ecrit où on lui reprochoit groffiérement de prétendus défauts, par exemple, qu'elle étoit à l'Eglife veautrée comme un pourceau; qu'elle avoit fait de P. R. une maifon fans régularité &c. Et pendant cette ridicule fcéne, la Mcre étoit tranquille à fa place, & mangeoit, comme fi on n'eut point parlé d'elle. Un jour on la fit aller au Chapitre la tête & les pieds nuds : une autre fois on la fit lever de table, & on lui pendit au cou un panier plein d'ordures; puis on la mena à toutes les tables en difant : » Mes » Sœurs, regardez cette miférable créature, qui » a l'efprit plus rempli de perverfes opinions que »ce panier n'eft d'ordures. » Encore une autre fois on la fit entrer au Réfectoire avec un

grand mafque de papier, & l'on difoit : » Mes Sœurs, priez Dieu pour cette hypocrite, priez » Dieu qu'il la convertiffe ; » à quoi la Mere ne

GS

VII.

Nouveaux bâ

de Paris.

repliquoit point: elle a dit depuis que la joie qu'elle avoit de n'être point en charge, lui fai foit paffer par-deffus toute la peine que ces traitemens auroient pu lui caufer; auffi-bien que les mauvaises maniéres de plufieurs des filles même de P. R. qui affectoient de témoigner en fa préfence plus d'eftime & d'affection pour la Mere Jeanne de Tard, que pour elle. Les chofes furent fur ce pied-là pendant trois ans, c'està-dire jufqu'en 1633.

gran.

Le même Prélat avoit fait faire à la Mere une timers à P.R. entreprise qui lui a caufé dans la fuite de des peines de confcience. Il voulut qu'elle fît bâtir un grand & beau Dortoir. Une veuve riche, nommée Madame de Pontcarré, s'étoit retirée à P. R. en 1626. & avoit donné 24000. liv. à la maifon. Cette fomme fut employée au nouveau bâtiment, mais elle ne fournit qu'à faire feulement les fondemens, qui furent commencés en 1628. de forte qu'il falloit emprunter tous les jours non-feulement pour achever l'ouvrage; mais encore pour payer dans la fuite les intérêts des premiers emprunts. Ces emprunts anciens & nouveaux allérent jusqu'à la fomme de quarante-quatre mille écus: & on a payé jufqu'à 80000. liv. d'intérêts. Il ne pouvoit pas arriver à la Mere de chagrin plus fenfible : elle n'avoit jamais rien tant redouté que de devoir. Cependant elle porta cette épreuve comme les autres, fans fe troubler ni fe livrer à l'inquiétude. Elle ne fut jamais tentée de refufer pour cela les filles pauvres qui fe préfentoient avec une bonne vocation : & elle n'héfita pas à refufer trois filles de condition, qui auroient apporté 39000. liv. au Monaftére, parce qu'el le s'apperçut que la famille ne les faifoit Religieufes, que pour marier plus richement deux

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Autres Sœurs. M. de Saint Ciran lui difoit de-
puis, » que ce n'étoit pas les filles riches qui
→ devoient payer fes dettes, mais Dieu : qu'elle
» l'avoit offenfé par fa témérité; qu'elle de-
» voit le fatisfaire par fa pénitence ; & que
quand elle auroit fatisfait Dieu, Dieu fatis-
» feroit les hommes & paieroit fes dettes. » En
effet la Providence voulut que pendant que
PE-
vêque de Langres, qui étoit le premier mobile
de cette entreprife indifcrete, n'eut pas le bon
cœur de prêter un fou à la Mere, un étranger
vint lui offrir une fomme d'argent confidéra-
ble à rente, fans autre hypothéque que
les re-
venus de la maison, qu'elle lui avoua être très-
modiques : & ainfi de plufieurs autres reffour-
ces inopinées que Dieu procura à la Mere.

R.

VIII.

Ce fut en 1633. que l'Archevêque de Paris peu fatisfait de M. Zamet, & mécontent de Religieuses de l'autorité qu'il prenoit à P. R. renvoya les Re- Tard renligieufes de Tard chez elles. L'Evêque & elles voyées de P. firent ce qu'ils purent pour parer ce coup. Elles alléguoient pour prétexte de différer le départ, que le Monaftére n'avoit pas alors de quoi faire les frais du voyage. L'Archevêque leva la difficulté en envoyant 100. écus pour cette dépense. Alors la Mere Abbeffe Geneviève le Tardif qui commençoit fon fecond Triennat, fe trouva libre pour gouverner felon les vues, conjointe ment avec une Mere Suzanne du Saint Efprit, qui étoit Prieure. On commença donc à reprendre l'ancienne maniére de vivre, & la régularité revint peu à peu. Mais en fortant d'un écueil, on penfa retomber dans un autre. La Mere Angélique n'étoit pas alors à P. R. Elle étoit Supérieure de la nouvelle maifon du Saint Sacrement, dont nous ferons l'hiftoire inceffament; & la Mere Agnès étoit Abbeffe de Tard.

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