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à la fin d'autre réponse à donner à fon pere que fes larmes. Sa petite four Marie qui étoit malade dans un autre lit, entendant pleurer fa fœur, fe mit auffi à pleurer: les cris vinrent bientôt ce qui défarma pour ce moment le pauvre pere, dans la crainte qu'il eut de caufer la mort à fes deux chers enfans.

Cependant il intéreffa l'Abbé de Morimont dans fa caufe. Cet Abbé étant venu à Andilli fe rangea entiérement du côté du pere,& en qualité de Supérieur défendit à la jeune Abbeffe de penfer davantage à fon projet de réforme: l'exhortant feulement à maintenir l'ordre qui étoit pour lors dans fa maison. Et comme le mal prétendu venoit en bonne partie des confeils des Capucins, il lui fit défense de faire prêcher davantage ces Religieux chez elle, & s'engagea à lui fournir des Religieux de l'Ordre. Il fallut céder à l'impuiffance de faire autrement: mais il ne fut pas poffible à l'Abbeffe de fe débarraffer des réflexions chagrinantes qui la fatiguoient nuit & jour. Elle étoit bien malheureufe, fe difoit-elle à elle-même, de ce » que lorfqu'elle étoit incapable de faire un choix, on l'avoit engagée dans une profef» fion pour laquelle elle n'avoit ni vocation ni inclination, & dans laquelle par conféquent 5 elle ne pouvoit être que miférable : & qu'à cette heure que Dieu par fa miféricorde avoit » réparé la faute de ses parens, en lui donnant l'amour de fon état, ils vouloient encore s'op5 pofer à fon bonheur, & l'empêcher de faire fon falut, en l'empêchant de vivre felon les devoirs de fon état.

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Tout cela ne contribuoit pas à lui faire paffer fa fiévre quarte, avec laquelle elle s'en retourna à P. R. à la fin du mois de Septembre. Elle

prit fon parti qui étoit d'attendre que Dieu lui donnât quelqu'autre ouverture. L'Abbé de Morimont lui envoya, fuivant fa promeffe, un jeune Bernardin pour prêcher l'Avent. L'Abbeffe fut fort furprise de le trouver dans les mêmes principes qu'elle, & encore plus rigide fur la difcipline monaftique, fur tout par rapport à la clôture. Il penfoit que c'étoit un péché mortel de fortir, comme on faifoit, pour prendre la promenade aux environs de l'Abbaye. M. de Morimont s'étoit trompé apparemment fur le compte de ce Religieux, & ne l'avoit pas connu tel. La Mere Angélique reprit alors fes premiéres pensées de Réforme ; & pour être plus libre d'y travailler, elle chercha à fe tirer de la dépendance où elle étoit de cette Religieufe de S. Cir que fes parens lui avoient donnée en qualité de Surveillante, & qui informoit fa famille de tout. Elle y réuffit: car elle obtint de la maifon de S. Cir le rappel de cette Reli gieufe.

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du

VIII.

Commence.

ment de la

Libre de ce côté-là, elle ne l'étoit côté de fes Religieufes, qui fentoient bien ce que leur Abbeffe avoit dans le cœur, mais qui Réforme de n'étoient pas encore difpofées à fa peine continuoit aufli bien que iné Ainfi P. R. par la inélanco- Mere Angélilie; & la fiévre quarte ne s'en alloit point. Un que, âgée de jour de Carême la bonne mere Prieure lui de- bliflement du manda pourquoi elle étoit fi trifte, qu'affuré- Commun & ment c'étoit ce qui la rendoit malade. Elle lui de la clôture. répondit: » Vous fçavez affez le fujet de mon

رو

» chagrin, il ne tient qu'à vous de le faire ceffer.
La mere Prieure lui ayant dit qu'elle n'avoit
qu'à parler, qu'on étoit prêt à la contenter,
elle dit qu'elle fouhaitoit fort
que tout fût re-
mis en commun. La bonne Prieure lui deman-
da fi elle y avoit bien penfé, & lui fit obferver

17. ans. Era

que cela cauferoit une augmentation de dépenfe à la Maifon parce que quand chaque Reli gieufe a fes hardes en propre, elle les conferve & les ménage bien mieux que lorfqu'elles font en commun. L'Abbeffe répondit que ces raifons ne l'arrêtoient pas, quand il s'agit de faire l'acquit de fa confcience. La Prieure fe rendit fur le champ, & gagna auffi à l'heure même toutes les meres, à qui elle alla porter les intentions de l'Abbeffe. Dès le lendemain elles vinrent toutes lui apporter leurs hardes, excepté une nommée Dame Motelle qui héfita longtems à faire la démarche, Elle la fit enfin, » confufe de » la bonté de Madame, difoit-elle, qui malgré 22 mes contradictions me parle toujours avec la plus grande douceur. Son renoncement à la propriété ne fut pas encore entier : elle garda la clef d'un petit Jardin qu'elle avoit à elle. Mais un P. Capucin qui fréquentoit la maison, lui en fit de vifs reproches; elle fe rendit, &envoyą fa clef dans une lettre au Pere pour la remettre à Madame.

Après le rétabliffement du commun, elle penfa à la clôture. Elle déclara donc à fa Commupauté qu'elle vouloit établir la clôture exacte & que déformais les Religieufes ne fortiroient plus au dehors, & les parens des Religieufes n'entreroient plus au-dedans; qu'on ne verroit plus les parens & les amis qu'au Parloir qu'il n'y auroit aucune exception, & qu'elle compre noit dans la régle M. & Madame Arnaud euxmêmes. L'occafion fe préfenta un peu après Pâ ques de la mettre à exécution. Il fe rencontra alors une prife d'habit. Perfonne n'entra. Le repas fe fit au dehors pour la compagnie ; & perTonne n'ofa fe plaindre, lorfqu'on fçût que l'Ab beffe avoit fait la régle pour tout le monde,

t.

fans excepter Meffieurs fes parens.

Elle ne laiffoit pas de redouter le tems des vacations, qui étoit celui où M. fon pere avoit coutume de venir à P. R. parce qu'elle ne voyoit pas comment elle pourroit lui faire agréer fon nouveau réglement de la clôture. Car M. Arnaud étoit dans l'ufage d'entrer dans la maison, comme pere de l'Abbeffe, comme bienfaiteur, & même comme ordonnateur des Ouvrages néceffaires pour les bâtimens. La M. Angélique n'avoit perfonne de qui elle put prendre confeil, que le Religieux Bernardin qui étoit un jeune homme de 27. ans fort zélé, mais non pas affez difcret. Elle avoit beaucoup prié à cette intention. La fille qui la fervoit, la voyoit prefque perpétuellement à genou dans fa chambre. Lorfqu'elle vit le tems critique approcher, elle demanda avis au jeune Religieux. L'avis fut qu'elle écriroit à M. fon pere, qu'elle étoit bien mortifiée de ne pouvoir plus lui donner entrée dans la maison, parce que fa confcience ne le lui permettoit pas ; & que s'il n'acquiefçoit point à fes raisons, il trouvât bon qu'elle perfiitât à ne pas lui ouvrir la porte. Quelque dur que fut le parti propofé, pour une fille auffi refpectueule envers les parens, elle crut devoir le prendre. Cependant elle chercha tous les plus grands ménagemens qu'elle put imaginer,pour adoucir fa démarche. Au lieu d'écrire directement à M. fon pere, elle écrivit à fa fœur Anne-Eugenie, & la pria de faire goûter la chofe à fes parens. Celle-ci n'en parla d'abord qu'à Madame Arnaud, laquelle répondit que ce n'étoit pas la peine de chagriner M, Arnaud,en lui parlant d'une chofe qu'elle fçavoit bien qui n'arriveroit pas parce que fa fille ne feroit jamais affez hardie pour jouer un pareil tour à fon pere.

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pere.

à

IX. Le tems venu, toute la famille part de Paris Journée du pour le rendre à P. R. le pere, la mere, Madame le Guicher. An. Maître leur fille aînée, Mademoiselle Anne Argélique refufe naud, & M. d'Andilli leur fils. La mere Angélique la porte du Couvent à fon en étoit avertie, & fe préparoit par des priéres redoublées à ce jour de combat, où il s'agiffoit de facrifier les fentimens les plus tendres de la nature. Celles d'entre les fœurs de la maison, qui elle avoit confié fon fecret, la fecondoient par la jonction de leurs prières aux fiennes. Elle avoit pris le matin la précaution de retirer à elle toutes les clefs de la clôture. A l'heure du dîner la compagnie arriva, & la mere Angélique qui attendoit dans l'Eglife le moment critique, ayant entendu le caroffe, fort & vient se rendre à la grand'porte de clôture. Quand la compagnie fut defcendue de caroffe, elle vint frapper à la porte pour fe faire ouvrir à l'ordinaire. L'abbesse qui étoit en dedans feule, ouvre le guichet. M. Arnaud fe préfente, & lui dit de lui ouvrir. Elle fupplie M. fon pere de vouloir bien entrer dans un Parloir voifin, où elle lui pourra parler. Il infifte, il preffe, il commande ; & fur les refus réitérés il fe fâche, entre en colère, frappe de plus en plus. Madame Arnaud fe met de la partie, & parle à fa fille avec hauteur & dureté. M. d'Andilli jeune homme de 20./ans, le prend d'un ton encore plus haut, & lâche contre fa fœur tout ce qui lui vient à la bouche de termes injurieux & outrageans. Il appelle les Religieufes, il les fomme de faire ceffer l'infulte qu'une fille dénaturée fait à fon pere, & à un pere bienfaiteur de la maison. Dans la maison toutes les Religieufes fe tenoient à l'écart, & attendoient en filence l'iffue de cette fcéne, approuvant leur Abbeffe pour la plûpart, quelques-unes la condamnant.

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