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marquée pour éclater. Il s'en préfenta une. On de S. Ciram fçait avec quelle chaleur ce premier Miniftre au Donjon de avoit entrepris de faire caffer le mariage de Vincennes en Monfieur, Gaston d'Orléans frere unique du 1638. Roi, avec la Princeffe de Lorraine. On a prétendu que le motif du Cardinal en faifant caffer ce mariage, étoit de faire époufer à Monfieur fa propre niéce veuve de Combalet. Il fit confulter l'Affemblée générale du Clergé, & les plus célébres Théologiens. Prefque tous répondirent fuivant le defir du Miniftre, que le mariage étoit nul, à caufe du défaut de confenment de Sa Majefté. Un petit nombre d'autres confultés à leur tour décidérent que le mariage étoit valide: on fentoit bien que M. de faint Ciran étoit de ce dernier avis, quoiqu'il ne s'ingerât point d'en parler. L'Eminence fe piqua. Elle fit arrêter l'Abbé le 14. Mai 1638. & le fit conduire au Donjon du Château de Vincennes. Il y fut d'abord étroitement refferré, fans livres, fans ancre, fans papier. Tous fes manufcrits furent faifis, dont il fe trouva plufieurs coffres pleins. Ils furent diftribués à différentes perfonnes pour l'examen. On n'y trouva rien de répréhenfible. Ce n'étoit que des Extraits de Peres & de Conciles, & des matériaux d'un grand ouvrage qu'il préparoit pour défendre le Cardinal du Perron contre les Mi niftres Huguenots. De fa prifon il écrivit beaucoup de lettres & de billets avec du crayon ; trouvant le moyen de les faire paffer à fes amis, ou aux perfonnes qui le confultoient pour la conduite de leurs ames. On eft encore étonné aujourd'hui en voyant ce grand nombre de Lettres imprimées en 3. vol. & encore plus, quand on y trouve des régles de conduite les plus fu blimes pour toute forte d'états, pour les Ecclé

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fiaftiques, pour les Vierges, pour les Laïcs pour les perfonnes de condition, pour les peres & meres, pour les pénitens, &c. Il étoit réfervé à fa captivité, qui fut de cinq ans, de manifefter tous ces tréfors de lumière qu'il avoit amaffés pendant les 30. années d'une vie cachée en Dieu. Au bout de quelque tems on lui donna un peu plus de liberté dans fa prison. Il n'en fit ufage que pour rendre fervice à plufieurs prifonniers, qui touchés de la vie édifiante qu'il menoit fe mettoient fous fa conduitę. On n'oubliera jamais le trait du célébre Général Allemand Jean de Werth, qui étoit prifonnier de guerre à Vincennes. Ayant été échangé, il fut conduit par ordre de la Cour dans différens endroits de Paris pour lui faire voir ce qu'il y avoit de cutieux, avant qu'il s'en retournât chez lui. On le mena entr'autres à l'Opéra,pour affifter à un ballet qui étoit, difoit-on, de la compofition du Cardinal. Le Militaire ayant apperçu dans la falle un Evêque qui s'empreffoit pour difpofer tout, ne put diffimuler l'im preffion que cela lui fit: & étant interrogé quel étoit le fujet de fa furprise, il répondit que ce qui l'étonnoit, c'étoit de voir des Saints en pri Jon, & des Evêques à l'Opéra.

Le Cardinal fit faire deux opérations contre Je prifonnier. La premiére fut une information de la Doctrine & de fa conduite, dont il char gea le Sieur de Laubardemont Lieutenant Ci vil. Elle ne produifit pas grande chose. Les té moins n'avoient que des ouï dire à dépofer; & la plupart des chofes qu'ils dépofoient,étoient ou des fauffetés, ou des calomnies groffiéres, ou des paroles mal entendues & prises dans un mauvais fens ou des vérités très-certaines mais peu connues alors, & qu'on prenoit par conféquent

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conféquent pour des erreurs, telles que celles qui regardent la pénitence & la converfion. C'eft de quoi l'on peut s'affurer par la lecture du récit qu'a fait M. Vincent de Paul, Inftituteur de la Congrégation de la Miffion dite de S. Lazare, de l'interrogatoire qu'il fubit au fujet de M. de S. Ciran. On y verra de plus combien eft faux ce qu'on a tant débité depuis, & ce qu'on ne ceffe de rebattre même dans les Chaires chrétiennes encore aujourd'hui que M. Vincent eft canonifé & honoré tous les ans d'un Panégyrique le jour de fa fête, combien, disje, il eft faux qu'il regardât M. de S. Ciran comme un hérébarque. On trouvera tout le contraire dans le témoignage qui a été imprimé à la fin de la troifiéme Lettre de M. de Montpellier à M. l'Evêque de Marseille en 1730. Cette même lettre de M. de Montpellier fournit un affemblage de faits qui montrent combien M. Vincent eftimoit & affectionnoit M. de S. Ciran, tant que celui-ci a vécu, & les marques qu'il en a données même après la mort dudit Abbé quoique dans la fuite on foit en droit de lui reprocher en quelques occafions un filence de foibleffe, ou de mauvaise volonté, lorfqu'il s'agiffoit de juftifierMM.de P.R.qu'on chargeoit de calomnies. J'ai cru devoir faire cette petite digreffion, qui produira tel effet qu'il plaira à la Providence. Elle fervira à faire fentir de quelle indécence il eft à des Prédicateurs, de réalifer, comme ils font aujourd'hui pour faire honneur à leur faint, M. Vincent de Paul, un fait auffi faux que celui-là, & de charger en conféquence d'invectives & de calomnies devant un auditoire chrétien & dans le lieu faint un perfonnage auffi refpectable à tous égards que M. de S, Ciran,

Tome I.

I

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XXI.

La feconde batterie que le Miniftre dreffa contre fon prifonnier, fut un interrogatoire qu'il lui fit fubir devant M. Lefcot Docteur de Sorbonne, depuis Evêque de Chartres. M. de S. Ciran fatigué par fes amis qui le follicitoient de faire toutes les avances, qu'il pourroit faire fans bleffer fa confcience, pour contenter le Cardinal, fe préta un peu fur le point de l'Attri-tion, & voulut bien dire qu'il ne condamnoit point le fentiment des Attritionnaires, & qu'il le regardoit comme probable: il entendoit par ce terme non condamné , par l'Eglife. Il fe repentit enfuite de cette condefcendance, & il fut ravi de voir que fa faute n'eut point de fuite. Le Cardinal nonobftant cette déférence du prifonnier, ne l'ayant pas relâché, il ne fortit de la prifon de Vincennes qu'après la mort du Cardinal, qui arriva le 6. Fevrier 1643. Ce fut M. de Chavigni Miniftre d'Etat, qui lui procura la liberté. Il fe fervit d'une lettre que le prifonnier lui avoit écrite en 1640. dont on ne s'étoit pas contenté pour lors, & dont il perfuada la Cour qu'on devoit fe contenter. On fit entendre au Roi qu'il y avoit à Vincennes depuis 5. ans un faint Abbé accufé d'opinions dangereufes, mais qui s'étoit bien juftifié. L'ordre fut expedié quelque tems après pour le faire fortir.

La nouvelle de fon élargiffement fut fçue à Elargiffe- P. R. dès avant fa fortie. La Mere Agnès qui ment de M. l'apprit au Parloir, pendant que les Religieufes de s. Ciran étoient à table, vint au Réfectoire ; & pour ne mort. Abre- faire aucune infraction du filence religieux qui gé de fa vie. regnoit dans la maison, elle prir fa ceinture &

en 1643. Sa

la délia devant fa Communauté, pour faire entendre que Dieu rompoit les liens de fon ferviteur. Toute la Communauté comprit l'emblême, & la joie se répandit fur les vifages. Elle

fut encore plus grande, quand l'illuftre prifonnier arriva à P. R. le même jour, conduit par M. d'Andilli, qui avoit été le prendre à Vincennes, & l'avoit prié de defcendre tout de fuite à P. R. avant que de retourner à fon logis. En parlant à la Communauté, il dit » qu'il fe feroit eftimé heureux, s'il fut mort dans le bois » de Vincennes, parce qu'il feroit mort pour la » charité. » En effet il étoit réfolu de travailler fur la queftion de la contrition & de l'amour de Dieu, pour laquelle il avoit été arrêté. Il ne furvécut pas long-tems à fa délivrance. Il mourut au bout de neuf mois le 11. Octobre 1643. âgé de 62. ans. Il fut attaqué d'une violente apopléxie dans laquelle il eut néanmoins de bons intervalles, & reçut fes derniers Sacremens, quoiqu'en aient débité au contraire fes ennemis après la mort. Ses funérailles furent honorées par la préfence de plufieurs Prélats, de beaucoup de perfonnes de diftinction, de M. Vincent de Paul lui-même.

Le Lecteur fe plaindroit avec raison, fi on ne lui donnoit pas une idée fuccinte de la vie de ce grand homme. Il fe nommoit Jean du Verger de Hauranne. Il étoit natif de Baïonne, & Abbé de S. Ciran dans le Diocèfe de Bourges. Il avoit fait fes études de Théologie à Louvain avec le célébre Janfénius. Il y puifa la faine doctrine de la grace, qui s'étoit confervée pure dans cette Univerfité. Etant retourné à Baïonne où il mena avec lui fon ami Janfénius, ils s'appliquérent tous les deux à l'étude de l'antiquité. M. de faint Ciran a continué cette étude pendant 30. années entiéres. Il y prit une connoiffance profonde de la religion & de la morale ; mais furtout de la conduite par laquelle

on doit mener les ames à Dieu. Janfénius de

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