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» Je

s'informa fi la Justice étoit bien réglée, & les pria de ne pas trouver mauvais, s'ils apprenoient qu'elle s'informât à d'autres perfonnes de la maniére dont tout fe paffoit. » veux faire des réglemens, ajoutoit-elle; au refte je ne cherche que le bien général des » Villages, votre falut particulier, & l'acquit » de ma confcience. « Elle ne put pas prendre tout le foin qu'elle auroit défiré de plufieurs Baronies qui étoient éloignées de huit ou dix lieues de Maubuiffon. Elle y mit l'ordre qu'elle put. Mais pour celles qui n'étoient pas éloignées, elle s'y appliqua de bonne forte. Le fuccès répondit à fes foins. La face de ces lieux changea beaucoup. Le Curé avertiffoit le Prevôt des défordres qui fe paffoient. Le Prevôt venoit en conférer avec l'Abbesse, & les mefures étoient prifes de concert pour remédier au mal. Les habitans avoient toute liberté de parler à la Mere en tout tems; ils l'informoient de tout ce qui arrivoit en forte qu'elle parvint à avoir une connoiffance de toutes les familles de ces lieux, presqu'auffi détaillée qu'elle l'avoit de fa propre maifon. Elle faifoit tout le bien qu'elle pouvoit à ces pauvres gens, & gagnoit par-là leur amitié. Auffi étoit-elle finguliérement révérée. Elle favoit mêrne se faire craindre des méchans, parce qu'elle favoit les punir dans l'occafion, où les obliger de déferter le pays.

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On étoit étonné de l'autorité qu'avoit dans les terres de l'Abbaye cette jeune Abbesse, qui n'étoit relevée ni par la condition & la naiffance, ni par aucun crédit dans le monde. Il faifoit beau la voir tous les ans le 1. jour de Mai tenir à Maubuiffon fes Affifes avec une dignité qui tenoit tout en refpect. Ce que j'ap

Tome I.

L

pelle fes Affifes, c'est un établissement qu'elle avoit fait pour le premier jour de Mai, jour auquel, felon l'ufage, la Baronie de Pleaucourt, compofée de trois ou quatre Villages, venoit faire hommage à Madame l'Abbeffe. La cérémonie de l'hommage confiftoit à venir en proceffion chanter la Meffe à Maubuisson : après la Meffe, le Curé faifoit à Madame une petite harangue, le Prevôt de même: puis les Marguilliers paffoient au Tour un présent pour Madame: le peuple reftoit dans la cour pendant ce tems-là; & tout fe terminoit par un petit Salut devant l'image de la Vierge qui eft au-deffus de la grande porte de la maison. La Mere des Anges n'étoit pas contente de cela. Elle n'étoit pas d'humeur à fe repaître d'une fumée d'honneur. Elle convertit cette cérémonie en une espéce d'Audience ou de Mercurial.

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Voici comment elle s'y prit dès la feconde année. Elle fit préparer un déjeûné pour le Curé pour les Officiers, donna ordre de diftribuer à tout le peuple répandu dans la cour un morceau de pain & un coup de vin. Ainfi après l'hommage fait & reçu, elle harangua le Curé & les Officiers de Juftice, en présence des principaux habitans, les louant für leur vigilance leur repréfentant quelques fautes qu'ils avoient faites, fe faifant rendre compte de ce qu'étoit devenue telle & telle affaire, s'informant des défordres actuels qui exiftoient, en cherchant la caufe avec les Officiers. Si le mal venoit de quelque habitant, elle faifoit comparoître le coupable, & lui faifoit la mercuriale avec une fermeté mêlée de douceur. Elle avoit eu foin de fe faire un mois auparavant un Mémoire de tout ce qu'elle avoit à dire au premier Mai, Elle le confultoit alors, & quant

aux défordres qui étoient publics, elle faifoit appeller tous ceux qui étoient couchés fur le Mémoire. Comme la Mercuriale fe faifoit en public, on la redoutoit fort à caufe de la confufion à laquelle on s'expofoit, en s'attirant des reprimandes devant tout le monde. Ensuite elle congédioit l'Assemblée, & faifoit appeller les uns après les autres ceux dont les cas n'étoient pas publics, à qui elle donnoit les avis qui convenoient, & faifoit les reproches que les gens méritoient. Elle commençoit par les hommes à qui elle parloit avec beaucoup de charité puis elle faifoit monter les femmes, & prenoit un ton plus ferme, ayant plus d'autorité fur leur fexe. La Sour Candide de fon côté faifoit auffi de l'ouvrage : elle parloit à plufieurs femmes, leur repréfentoit leurs fautes, les ménaçoit de les dénoncer à Madame écoutoit toutes leurs petites affaires pour en rendre compte à la Mere. Le travail de la Mere ce jour-là étoit fi exceffif, qu'on ne comprenoit pas comment elle pouvoit le porter: & les bons effets qui s'enfuivoient de ces opérations étoient tels, que la Mere Angélique qui en entendoit faire les récits, ne pouvoit elle-même fe laffer d'admirer la conduite de fa chere fille. Cette grande autorité que la Mere des Anges s'étoit acquife, avoit un autre fondement que Grandes aule zéle & la fermeté qu'elle montroit au déhors. mônes de la Ces qualités n'auroient opéré dans les vassaux Mere.

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que
la crainte de Madame. Or ils lui étoient
tous affujettis par amour comme à leur mere
commune; & cet amour étoit formé par les
preuves perpétuelles qu'elle leur donnoit de fa
charité. Elle ne thefaurifoit point, & n'accroif-
foit point les revenus de fa maifon : ce qui en
reftoit au bout de l'année après toutes les dé-

XIII.

penfes faites, étoit tout entier pour les pauvres. Les Peres de l'Ordre en murmuroient un peu : ils auroient fouhaité qu'elle eût fait dans l'Eglife & dans la maifon quelque dépense pour la décoration. Elle puifoit donc dans ce fonds de quoi affifter dans leurs befoins & les Villages entiers & les particuliers. Elle écoutoit tous les pauvres payfans qui recouroient à fa charité: elle entroit dans leurs affaires. La Sour Candide tenoit un Régîrre de tous ceux qui avoient befoin d'affiftance, & de ce qu'il convenoit de donner de bled par semaine à chacune des pauvres familles. Le grenier des pauvres étoit dehors, afin que les pauvres fuffent plutôt servis & la maifon moins embarraffée.

Dans une chere année la Mere voyant que les Ufuriers de Pontoife ne vouloient prêter de bled qu'à condition d'être payés au bout de fix mois, moitié au-deffus du prix courant pendant la cherté ; & fentant d'ailleurs qu'elle ne pouvoit pas donner gratuitement à fes vallaux tout le bled néceffaire pour leur fubfistance; fa prudente charité lui fournit un expédient, qui étoit de leur prêter du bled au prix de la halle, leur faifant apporter pour fureté du paiement les tîtres de leurs héritages. Ces pauvres gens pafférent ainfi la mauvaise année facilement, & après les vendanges ils furent plus prompts à payer qu'on ne le fut à leur demander. Dans les amodiations des bois appartenans à l'Abbaye, elle vouloit. que fes Officiers donnassent la préférence pour l'adjudication à fes vaffaux, & qu'ils leur délivraffent l'exploitation à meilleur marché qu'aux autres, afin qu'ils euffent toujours de quoi travailler & gagner leur vie. S'il étoit befoin de preffer les mauvais payeurs, ou fimplement d'aller chercher les redevances,

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elle ne vouloit pas que les gens fuffent chargés de frais c'eft pourquoi elle donnoit des appointemens à fes Sergens, afin qu'ils fiffent la courfe & portaffent les exploits gratuitement. Ses aumônes s'étendoient fur les étrangers. Elle faifoit des pensions annuelles à plufieurs perfonnes qu'elle favoit dans le befoin. Elle fe chargeoit de la nourriture de pauvres enfans orpheTins & abandonnés ; elle les marioit, retiroit à fes dépens leurs petits héritages des mains des créanciers de leurs peres. Enfin elle avoit donné fes ordres à ce que jamais aucun pauvre qui venoit à la porte du Couvent ne fût refufé.

XIV.

Profeffion

de Longue

Tel fut le gouvernement de la Mere des Anges pendant les 22. ans qu'elle fut Abbeffe de de MademoiMaubuiffon; elle foutint la Réforme fur ce felle d'Orpied-là jufqu'à ce qu'elle quitta fonAbbaye pour leans, fille narevenir à P. R. Mais avant que de rapporter fa turelle du Duc fortie, il faut parler d'un événement très-re- ville. marquable tant en lui-même que dans la conduite que tint la Mere; lequel fe paffa dans le cours de fon administration. M. le Duc de Longueville avoit une fille naturelle qu'on nommoit Mademoiselle d'Orleans, que ce Seigneur voulut faire Coadjutrice de la Mere des Anges. La Mere arrivant à Maubuiffon, y trouva cette jeune Demoiselle qui y avoit été mife dès l'âge de fept ans, pour être élevée fous les yeux de Madame de Soiffons fa tante, qui pour lors en étoit Abbesse. La Mere des Anges veilla du mieux qu'elle put à l'éducation de la jeune Demoiselle mais elle n'eut pas tout le fuccès qu'elle auroit défiré de fon travail. La jeune Demoiselle recevoit des vifites de l'Hôtel de Longueville, qu'on ne pouvoit empêcher, & qui lui étoient très-nuifibles par les impreffions d'ambition qu'elles laifoient dans fon efprit.

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