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M. Arnaud voyant l'inflexibilité de fa fille avec qui il ne gagnoit rien, ordonne tout en colere qu'on lui rende àl'heure même fes deux filles qui étoient dans le Couvent, Agnès & la petite Marie. La mere Angelique comprit bien fon deffein, qui étoit que la porte étant ouverte pour faire fortir fes deux filles, il entreroit luimême de gré ou de force. La mere fans fe troubler, & fans perdre la présence d'efprit, donne la clef de la petite porte à une Religieufe, & lui fait figne de faire fortir les deux jeunes fœurs par cette porte, ce qui fut fait fi promptement, que M.Arnaud fut tout furpris de les voir devant lui au dehors, ne fçachant pas par où elles avoient paffé. M. d'Andilli qui fut le premier à les appercevoir,alla au devant de fa fœur Agnès, invectivant contre l'Abbeffe. Agnès répondit gra→ vement que fa fœur ne faifoit que ce qu'elle étoit obligée de faire, & ce qui étoit commandé par le Concile de Trente. » Vraiment nous en » tenons, dit le jeune homme. En voici encore >> une qui cite les Canons & les Conciles. »

M. Arnaud las d'attendre & de difputer, fit mettre les chevaux au caroffe pour s'en retourner. Cependant fa fille l'Abbeffe le preffa tant, qu'il eut enfin la condefcendance d'entrer au Parloir. Elle y entra de fon côté. Le pere avec un visage où la douleur étoit peinte, & qui par contre-coup en produifoit une pareille dans la fille, lui dit d'une voix toute faifie, que » jus» qu'ici elle avoit eu un pere qui l'avoit aimée, mais que fa conduite envers lui l'empêcheroit » de lui donner à l'avenir les mêmes preuves de > l'amour qu'il ne laifferoit pasde conferver pour »elle: & qu'en lui déclarant qu'il ne la reverroit pius, il lui faifoit une derniére prière, qui étoit que pour l'amour de lui elle voulut bien

» ne pas ruiner sa santé par des austérités indif

>> cretes. >>

Jufqu'ici le courage de la Mere Angélique l'avoit rendue infenfible à tous les traits de colére qui étoient tombés far elle. Mais à ce dernier coup,qui étoit tout d'amitié & de tendreffe, elle fut renverfée. Ce témoignage inefpéré d'affection, mêlé dans les derniers adieux pour toute la vie, fit fur elle une fi vive impreffion, qu'elle tomba évanouie. Alors toutes chofes changent de face. M. Arnaud ne fe fouvenant plus qu'il étoit offenfé, mais qu'il étoit pere, croyant fa fille morte, appelle au fecours. Mais perfonne n'ofe approcher. On fe gardoit bien d'entrer où il y avoit du bruit. La compagnie court à la por te du Couvent, frappe avec grand bruit. Les Re ligieufes qui penfent que c'eft que l'on veut enfoncer la porte, au lieu d'approcher, s'enfuient. Enfin M. d'Andilli heureufement fe fit entendre: il leur crioit de toutes fes forces d'aller au fecours de leur Abbeffe qui fe mouroit dans le parloir. Elles y entrent donc & trouvent la pauvre Abbeffe étendue par terre fans fentiment & fans connoiffance. On eut affez de peine à la faire revenir: & lorfqu'elle commença à ouvrir les yeux, ayant apperçu M. fon pere qui étoit à la grille tout tremblant, elle lui dit feulement ces deux mots, qu'elle le prioit de ne pas s'en retourner ce jour-là. Le pauvre pere avoit déja oublié tout fon mécontentement, & ne fe fouvenoit plus que de l'accident arrivé à fa fille. Ainfi il lui promit franchement qu'il feroit ce qu'elle voudroit. On emporta l'Abbeffe dans fa chambre, & on la mit au lit. Mais on prépara un autre lit dans le Parloir, pour l'y placer, quand on la rameneroit, & qu'elle auroit repris fes fens. Elle revint en effet au Parloir,

converfa tranquillement avec M. fon pere, & lui fit entendre fes raifons qu'il goûta : & dès le moment l'affaire fut terminée. Les deux jeunes fœurs qui étoient forties de la maison y rentrérent, le pere s'en retourna pleinement reconcilié avec fa fille ; & depuis il n'entra plus dans le Monaftére, lorfqu'il venoit à P. R. fi ce n'est lorfqu'il s'agiffoit de donner ordre aux bâtimens & aux jardins: fur quoi on obtint une permiffion des Supérieurs pour lui. Quant à Ma dame Arnaud elle ne revint pas fitôt à P. R. pour une raifon particuliére. Dans fa colére elle avoit juré qu'elle ne remettroit jamais les pieds à P. R. & elle fe croyoit liée par fon ferment. Au bout d'un an ayant entendu par hazard un Prédicateur à Paris qui avoit avancé que les fermens faits dans la colére pour quelque chofe de mauvais, n'obligeoient point, elle fut ravie d'avoir appris cela ; & fans différer elle monta en carolle auffitôt après fon dîner, & vint voir fa fille à P. R.

Voilà l'hiftoire mémorable de cette journée, qu'on a toujours appellée depuis la journée du Guichet, & dont les fuites furent très-heureu→ fes. Depuis cette époque la vertueufe Abbeffe ne trouva plus aucune oppofition à fa Réforme. Le Lecteur fe fouviendra que celle qui a fait ce perfonnage étonnant, étoit une fille de dix-fept ans & demi. Car ceci fe paffa en 1608. On demandera peut-être quel jugement on doit porter d'une pareille conduite: fi elle est à approuver en tout point : s'il n'auroit point été convenable de faire prévenir le pere, & de fe bien affurer qu'il auroit été prévenu, plutôt que de le prendre au dépourvû, pour lui faire porter un tel refus: fi la confcience n'auroit pas même permiş de fe relâcher pour cette premiére fois de la

X.

réfolution prife,qui véritablement étoit louable en foi, & tout-à-fait conforme aux régles. Chacun penfera ce qu'il jugera à propos : l'intention de la jeune Abbefle étoit bonne, & le Seigneur l'a bénie par l'événement: il femble même que la Providence ait préfidé d'une façon particuliére à cette combinaison de diverfes conjonctures parfaitement afforties pour le fuccès: C'eft tout ce que j'y vois clairement.

La clôture ayant été bien affermie par cette Autres points action d'éclat,la Mere Angélique travailla à réde Réforme. former le refte. Elle y procédoit par dégrés,

pour ne pas révolter l'efprit de fes filles par une introduction trop fubite & trop brufque de nouveaux ufages qui ne fatisferoient pas les fens. L'année précédente elle avoit fait un premier effai, en retranchant Fufage continuel de la viande pendant les cinq jours de la femaine, & le réduifant à trois. Elle mit les Matines à deux heures de nuit; après quoi on ne fe recouchoit pas. Elle s'attacha fur tout à réformer ce qui n'étoit pas affez conforme à la pauvreté & à l'humilité religieufe. Elle ne voulut point permettre au Réfectoire des taffes de fayance; elle y fit mettre des godets de grais; elle ne permit pas non plus qu'on fe fervit de fourchettes. Elle étaque chacune des Soeurs du Choeur auroit fa femaine pour faire la cuifine avec une Sœur converfe, à qui on obéiroit comme à sa maîtresfe. Elle réforma l'habit, en faifant porter aux Religieufes des étoffes plus groffiéres & du plus bas prix, & en les faifant faire d'une façon moins de bon gout & moins recherchée. Elle s'en fit une elle-même pour fervir de modéle, Pour les robes de deffous elle fouhaitoir qu'elles fuffent de piéces & de morceaux. Elle fupprima les chemises de toile, & y substi

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tua la ferge. Elle trouva quelque difficulté fur ce dernier article dans fes Religieufes. La Prieure s'y oppofoit. Sa raifon étoit que la ferge avoit des inconveniens du côté de la propreté, qu'elle étoit fujette à la vermine ; elle prétendoit qu'avec de la toile fort groffe le corps pouvoit être auffi mortifié qu'avec la ferge. La Mere qui fe décidoit invariablement par le devoir, trouva réponse à tout. Elle dit que quant à l'article de la propreté, il étoit facile d'y pourvoir, en lavant fouvent les ferges: qu'en fecond lieu la toile quelque groffe qu'on la choifit, s'adouciffoit toujours à l'ufer, & qu'ainfi elle ne pouvoit pas remplir aufli bien que la ferge, les vues de mortification qu'on fe propofoit. La Prieure acquiefça & toute la Communauté.

Pour fe rendre plus libre dans les réformes qu'elle fe propofoit, & n'être point arrêtée par aucune complaifance, elle prit la résolution de ne jamais demander d'argent à M. fon pere; ainfi lorfqu'elle réforma l'habit de fes Religieufes, elle ne s'adreffa pas à lui pour avoir des étoffes, quoiqu'elle fçût bien qu'il n'auroit pas mieux demandé que d'en fournir : & lorfqu'elle fupprima la toile pour y fubftituer la ferge, elle renvoya à M. Arnaud des piéces de toile qu'il lui avoit envoyées,en fuppofant que le changement que fa fille vouloit faire, venoit de ce qu'elle n'avoit pas de quoi acheter de la toile. Ce parti pris de ne rien demander à perfonne, occafionna beaucoup de befoins & de manquemens dans la maison. Comme elle n'étoit pas riche, cela ne pouvoit être autrement. L'Abbeffe qui vouloit donner l'exemple, fouffroit fans peine toutes les incommodités qui en réfultoient. Elle vendit ce qu'elle avoit de vaiffelle d'argent, pour fubvenir aux befoins de fes Sœurs. Tome I.

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