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D'ailleurs elle étoit par caractére diffimulée & hypocrite. A l'âge de treize ans elle demanda à entrer au Noviciat. La Mere fort embarraffée de la propofition, parce qu'elle voyoit bien que la Demoiselle vifoit à l'Abbaye, en écrivit à la Mere Angélique pour la confulter, & la prier auffi de demander à M. de S. Ciran fon avis. Les deux perfonnes confultées répondirent qu'on ne pouvoit pas refuser à Mademoiselle d'Orleans ce qu'elle demandoit. Madame de Longueville au bout de fix mois propofa à la Mere de donner l'habit à la Demoifelle. La Mere ne put diffimuler à la Princeffe ses répugnances, & lui en dit franchement les raifons. L'affaire fut encore confultée à P. R.& ailleurs, & la conclufion fut pour l'affirmative. La Mere s'y conforma avec beaucoup de crainte.

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Le jour étant pris, M. le Duc de Longueville envoya la veille le préfent qu'il vouloit faire à fa fille, qui étoit une belle Chapelle confiftant en fix chandeliers, une croix & des burettes d'argent, & une lampe auffi d'argent à deux branches. Le jour de la cérémonie il amena une grande compagnie. Les Dames furent traitées en dedans par la Duchesse, & les Meffieurs au déhors par le Duc. Avant la cérémonie il voulut faire, à la Communauté aflemblée, la lecture de l'acte, par lequel il donnoit une penfion viagére de 2000. liv. à la Demoifelle, à condition que la penfion la fuivroit partout. La même clause se trouvoit pour la Chapelle d'argenterie. La Mere ne paffa point cet article. Elle repréfenta à M. le Duc, que Mademoiselle fa Fille resteroit ainfi propriétaire de ce meuble, ce qui étoit contre les Régles, qui interdisent aux Religieufes toute propriété. Quelques Evê

ques préfens convinrent que la Mere avoit raifon : ainfi l'acte fut réformé fur le champ. L'Abbé de la Charmoie, Supérieur de la Maifon, avoit autant de peine que la Mere fur cette prise d'habit, n'appercevant en la Poftulante aucune marque de vraie vocation. Il l'interrogea en public & en particulier, & la fomma de dire fi ce n'étoit pas par refpect humain qu'elle faifoit cette démarche. Elle répondit toujours que non. Ainfi la cérémonie fe fir.

Dans les premiers mois de Probation, la Novice fçut fe contrefaire très-bien. Elle étoit exacte à toutes les obfervances, même à l'abstinence qui lui étoit contraire. Elle devint un peu infirme, & fe plaignit fous main à M. de Longueville, du peu de menagement qu'on avoit pour elle, & des réprimandes févéres qu'on lui faifoit fans ceffe. La Mere, de l'avis de la Mere Angélique, prit le parti de ne lui rien dire, de la laiffer faire, & de remarquer tout pour en faire ufage quand on parleroit de Coadjutorerie. Le tems de la profeffion étant venu, la profeffion fe fit, & la jeune Profeffe fe conduifit après comme devant. Madame la Ducheffe fouhaita qu'on lui donnât une chambre particuliére où on la fervit. Cela fut accordé. La jeune Demoiselle s'étoit attachée quatre fervantes de la Maison, avec qui elle paffoit fon tems en badinage: elle aimoit fur-tout à contrefaire l'Abbeffe ; elle tenoit Chapitre avec ces filles, elle leur faifoit dire leurs coulpes. Elle avoit auffi gagné, par le moyen de ces filles, le Portier & le Garde-bois, qui la fervoient pour écrire fouvent à l'Hôtel, & faire des rapports trèsdéfavantageux de la Mere. Celle-ci laffe de toutes ces menées, chaffa en un même jour

XV.

les quatre filles & les deux domestiques du déhors. Elle alla enfuite déclarer la chose à la Demoiselle, alléguant qu'elle avoit fçu que quelques-unes de ces filles penfoient à se marier. La Demoiselle foutint fon perfonnage de diffimulation; fit d'abord l'étonnée fur la conduite de ces filles, & dit à la Mere qu'elle avoit bien fait.

Cependant le Duc de Longueville fe mit en La Mere re- œuvre pour faire fa fille Coadjutrice. Il obtint fufe fon con- en Cour de Rome les difpenfes néceffaires à fentement à caufe du défaut de la naiffance. Enfuite il la Coadjuto- vint en faire la propofition à la Mere des Andemoiselle ges. Il l'accompagna de toutes fortes de pro

rerie de Ma

d'Orleans.

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teftations de dévouement au fervice de la Maison, & donna carte blanche à la Mere pour conduire fa fille comme elle le fouhaitteroit. La Mere lui parla nettement; & après quelques explications elle lui dit que fa confcience ne lui permettoit point absolument de confentir à la Coadjutorerie. Le Duc un peu mécontent fe retira, & envoya l'Evêque de Lifieux, qu'il avoit amené avec lui, pour raifonner avec la Mere. Le Prélat n'obtint rien d'elle. Enfuite on fe lépara, & l'affaire en demeura là. Le Duc de Longueville, qui étoit devenu veuf, s'étant remarié à Mademoiselle de Bourbon, fœur de M. le Prince, penfa à faire avoir par fon crédit une Abbaye à sa fille qui mouroit de chagrin à Maubuisson. Mais comme il ne doutoit pas que la Mere ne refufât l'atteftation de vie & mœurs à fa fille, il la retira de Maubuisson & la mit pour mois à l'Abbaye de Montivilliers. Saint Pierre de Reims vint à vaquer: la Demoiselle d'Orleans en fut pourvue, & y demeura jusqu'à la mort de l'Âbbeffe de Maubuiffon, qui avoit

fix

fuccédé à la Mere des Anges. Alors elle fut nommée à Maubuiffon, & en fut Abbefle, ainfi qu'elle l'avoit tant défiré. Voyons maintenant comment la Mere des Anges fe démit de fon Abbaye & fortit de Maubuiffon.

Elle fe démet de fon

Deux chofes lui avoient fait naître la pen- XVI. fée de fe retirer. 19. Elle fe déplaisoit infiniment dans l'impuiffance où elle étoit d'agir Abbaye en fapar confeil, & la néceffité où elle fe trouvoit veur de l'Ab de fe décider toujours par elle-même dans des beffe du Lieuaffaires très- importantes. 2°. Elle fouffroit Dieu. beaucoup du côté des Peres de l'Ordre, qui jettoient toujours dans l'efprit des Religieufes des impreffions & des maximes très-oppofées à fes principes de conduite, enforte qu'il étoit vraisemblable que la confiance ne feroit jamais entiére du côté de fes filles: au lieu que fi l'Abbaye tomboit entre les mains d'une Religieufe contre qui les Peres n'euffent point de prévention, le bien se feroit plus fûrement. Elle confulta la Mere Angélique fur fon deffein en 1648. Celle-ci lui répondit qu'il falloit prendre du tems pour confulter Dieu, & lui indiqua par provifion une ancienne Religieufe de P. R. actuellement Abbeffe du LieuDieu, qu'elle croyoit capable de bien faire, & qu'elle fçavoit d'ailleurs n'être pas en butte aux Religieux de l'Ordre, comme l'étoit la Mere des Anges. C'étoit la Mere Susanne du Saint-Efprit de Roche, qui avoit été ci-devant envoyée à Argenfole pour aider l'Abbeffe de cette Maison, dans une Réforme qu'elle vouloit établir.

Au bout de quelque tems la Mere Angélique envoya à la Mere des Anges, M. Singlin pour conférer avec elle. Le résultat de la converfation fut que la Mere pouvoit faire fa déLS

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miffion en faveur de l'Abbeffe du Lieu-Dieu. Comme elle étoit perfuadée que cette nouvelle feroit fort du goût des Peres, elle prit le parti, pour faire réuffir l'affaire, de les y employer. Elle confia donc fon fecret à deux Abbés de l'Ordre. Mais elle fit précéder une retraite de trois jours, qu'elle paffa dans une priére continuelle. Les deux Abbés firent d'abord en apparence quelque difficulté de confentir à la démiffion, & de l'aider dans cette affaire. Enfuite la voyant fixement déterminée, ils lui dirent que l'affaire ne pourroit réuffir qu'à la faveur d'un grand fecret. Elle le leur promit. Elle écrivit à M. l'Abbé de Cîteaux pour avoir fon agrément : il y acquiefça. Les deux Abbés fe mirent en mouvement pour folliciter en Cour le Brevet pour l'Abbeffe du Lieu-Dieu. Le Roi ayant promis le Brevet, ils envoyérent des Notaires à Maubuiffon pour recevoir la démiffion de l'Abbeffe. Le Brevet fut expédié en cinq jours, & le Courier par-tit fur le champ pour la Cour de Rome. Le jour qu'on prit date en Cour de Rome, la - Mere qui étoit en prière à Maubuisson à l'heure même, fortit, & rencontrant la 'Sœur Candide, qui étoit du fecret, elle lui dit : » Ma

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Sœur, notre affaire eft faite à Rome, Dieu » me l'a révélé ; mais n'en parlez pas. » Les Bulles étant arrivées, un des deux Abbés fit de voyage de Bourgogne pour amener l'Abbesse du Lieu-Dieu.

Le jour que la nouvelle Abbeffe devoit faire fon entrée à Maubuisson, la Mere affembla fes Religieufes pour leur (annoncer fa retraite, & la nomination d'une autre Abbeffe en fa place. Dès qu'elle eut dit deux phrafes, elle fut interrompue par l'émotion qui fe fit dans toute

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