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la compagnie. Toutes les Soeurs profternées à fes pieds & fondant en larmes, crioient & fe lamentoient. Les anciennes étoient auffi confternées que les autres; elles la prirent par fon manteau, difant qu'elles ne la laifferoient pas fortir. Les jeunes Profeffes fur-tout faifoient pitié: elles réprochoient tendrement à la Mere de ce qu'elle leur avoit laiffé faire profeffion à Maubuisson, n'étant pas refolue à demeurer avec elles. La Mere ne pouvant ni se faire écouter, ni calmer les cris, qui étoient tels qu'on les entendoit de l'Eglife du déhors, fendit la preffe & fe retira dans le Chœur, ou elle fe jetta à genoux devant le faint Sacrement. Les Religieufes délibérérent fur ce qu'elles avoient à faire. Les unes veulent envoyer à Pontoife faire acte d'oppofition à l'inftallation de la nouvelle Abbeffe: les autres difent qu'il faut lui refuser la porte. D'autres vont trouver un de ces deux Abbés, le prennent à partie, le chargent de reproches, & le traitent de traître qui les a vendues Il ne fut pas poffible ni de chanter ni de pfalmodier l'Office: ce n'étoit que fanglots & que pleurs. Les deux tiers ne purent point dîner: plufieurs en furent très-malades, de fiévre, de friflon, de faififfement: la plus ancienne de la Maison fut trois jours fans parole.

XVII.

Abbefle eft

Sur les quatre heures après midi la nouvelle Abbeffe arriva. Aucune Religieufe ne La nouvelle voulut aller à la porte la recevoir. La Mere fort mal redes Anges y vint, accompagnée feulement d'u-çue, & l'anne bonne ancienne qu'elle avoit déterminée cienne bien à grande peine à y venir. On mena l'Abbeffe regrettée. dans une chambre qu'on avoit préparée pour elle, où aucune Religieufe ne vint la faluer. Le lendemain matin le Docteur Bail, Coms

miffaire de l'Archevêché, arriva avec des Officiers de l'Archevêque & des Notaires, pour inettre l'Abbeffe en poffeffion. Il assembla la Communauté, & commença à parler : mais on ne l'entendoit pas, la fale retentiffant des lamentations de ces pauvres Religieufes. Il fe tut, & donna ordre qu'on entonnât le Te Deum. Pas une Soeur ne voulut le faire, quelqu'inftance que fit M. Bail. Enfin fur les ordres réitérés des deux Abbés de l'Ordre, préfens, une fille fort fimple l'entonna à voix baffe, & il fut pourfuivi par quelques jeunes Religieufes ou Novices, à peu près du ton d'un De profundis.

On alla à l'Eglife pour faire la cérémonie de la prife de poffeffion. Lorfqu'on en fut à l'inftallation de l'Abbeffe dans fa place du Choeur, il n'étoit pas poffible de faire approcher aucune Religieufe pour ce qu'on appelle faire la reconnoiffance, c'est-à-dire, la promeffe d'obéiffance entre fes mains. Les Abbés de l'Ordre fe retournoient en tout fens pour gagner ces filles : mais elles ne branJoient pas. Quelques anciennes enfin se mirent en marche; les autres ne vinrent que de loin en loin, chacune fe faifant beaucoup attendre; enforte que cette feule opération dura deux heures. Elles ne firent même autre chofe, que de lui baifer la main de fort mauvaise grace, fans lui dire un mot. La pauvre Dame n'étoit pas trop contente: elle ne pur s'empêcher de pleurer; un moment après elle s'évanouit; il fallut l'emporter dans fa chambre, & conclurre la cérémonie, toute imparfaite qu'elle étoit.

La Mere des Anges pendant tout ce tems-là étoit renfermée dans une Chapelle haute, où

elle prioit Dieu de tout fon cœur. Elle vint voir la nouvelle Abbeffe, & eut bien de la peine à y amener quelques anciennes. La douleur redoubla, lorfqu'elles virent dans l'Abbeffe des airs de hauteur, & une espéce d'indifférence à l'égard de la Mere. Le lendemain celle-ci s'appliqua à calmer & à confoler toutes les Sœurs qu'elle rencontroit: elle crut auffi devoir donner quelques inftructions à l'Abbeffe, fur différens points concernant la maifon à quoi l'Abbeffe paroiffoit faire peu d'attention, répondant froidement à chaque article: Je prendrai avis de nos Peres; je » confulterai mon Confeil. » Dès P. R. où elle avoit paffé trois jours avant que de venir à Maubuiffon, elle avoit peu édifié fes anciennes Sœurs, qui virent dès-lors en elle un peu de cet air de fuffifance & de reserve. Elle n'avoit pas daigné demander un feul avis à la Mere Angélique durant ces trois jours. La Mere des Anges demeura fort embarraffée fur ce qu'elle avoit à faire, ou de s'en aller fur le champ, ou de demeurer encore quelques jours. Les Anciennes la décidérent, & ne pouvant fupporter dans l'Abbeffe les airs de mépris à fon égard, elles lui dirent qu'elles aimoient mieux la voir s'en aller, que d'être témoins d'un pareil traitement. Elle prit donc fon parti, & écrivit à la Mere Angélique de l'envoyer chercher au plutôt.

Dans l'intervalle, la Mere fut accablée de vifites des Meffieurs & Dames de Pontoise, avec qui elle avoit à foutenir thèse. Tous argumentoient contre elle, pour lui prouver qu'elle n'auroit pas du fe démettre. Mais rien ne lui fut plus rude à porter, que les reproches tendres des Pauvres, qui venoient fe plain

XVIII.

Anges revient à P. R. en 1648.

dre à elle de ce qu'elle les abandonnoit. Il est vrai qu'elle en fut fi touchée, que n'ayant pas versé une larme au milieu des lamentations de toutes les Filles, elle ne put fe retenir aux cris des Pauvres. Au moment du départ toute la Communauté s'affembla pour les derniers adieux. Nouveaux gémiffemens & nouvelles larmes. La Mere fortit promptement de la Clôture, aimant mieux attendre dans le Tour du déhors, que de continuer une fcène trop trifte pour les Religieufes. Quand tout fut prêt pour le voyage, la Mere monta dans la voiture. Il étoit onze heures du matin. Elle fouffrit beaucoup dans le chemin, fanté étant très-mauvaise. Son filence fut perpétuel, & Madame de Chazé, depuis Religieufe de P. R. qui étoit venue de P. R. la chercher, & qui étoit avec elle dans le caroffe, refpecta ce filence, qu'elle favoit bien être un recueillement religieux en Dieu. On dîna à Saint Denis. La Mere interrompit fon filence pour très-peu de tems, & y rentra bientôt. Elle pria, en paffant par Paris, qu'on la defcendît un moment à Saint Jacques du hautpas, pour faire fa priére fur la tombe de M. de Saint Ciran: elle remonta en caroffe, & arriva à fix heures du foir à P. R.

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La premiére chofe qu'elle fit en arrivant, La Mere des après avoir adoré Dieu, fut de remettre tout ce qu'elle avoit apporté entre les mains de la Mere Angélique. Ce n'étoit pas chofe de conféquence: une petite montre d'argent, quel ques Reliquaires, quelques Ecrits de piété, & autres chofes de dévotion. Elle voulut fe dépouiller de tout, avant que de fe coucher, afin de fe coucher pauvre. Le lendemain elle demanda par grace à la Mere Angélique d'être

à

envoyée au Noviciat, pour y reprendre l'efprit de l'obéiffance religieufe. La Mere Angélique ne jugea pas propos de le lui accorder: mais elle lui ordonna de dépendre pour fa fanté de la Sour Candide, & de lui obéir en tout, de même qu'elle avoit fait à Maubuiffon par l'ordre de M. l'Abbé de la Charmoie Pere de l'Ordre.

Elle fut établie maîtreffe des Converfes Poftulantes. Elle y fit ufage de ce grand don que nous avons remarqué en elle pour confoler, , pour toucher, pour gagner les cœurs. On a obfervé qu'elle s'appliquoit avec encore plus de bonté aux plus pauvres & à celles qui avoient plus de petiteffe, ou d'efprit ou de vertu fans doute, pour avoir lieu d'exercer davantage son bon cœur. La Mere Angélique & toute la Communauté ne fe laffoient pas d'admirer les vertus furéminentes de cette fille, & fur-tout fon humilité & fa fimplicité, qui étoient auffi parfaites après un gouvernement de vingt-deux ans, que fi elle fût fortie du

Noviciat.

XIX.

Au bout de fix ans elle fut élue Abbeffe, Elle est élue en 1654. Elle n'accepta la place que fur la Abbeffe de promeffe que lui firent les Meres Angélique P.R. en 1654. & Agnès, qu'elles partageroient avec elle le fardeau. Auffi elle ne ceffoit de leur demander confeil en toute rencontre ; & elle n'au roit pas discontinué jufqu'à fa mort, fi les Meres n'avoient cru à la fin devoir fe refufer à une chofe qui fembloit faire injure à l'Esprit de Dieu réfidant en cette fainte ame, qui ne pouvoit manquer d'être fon confeil. M. Singlin de fon côté lui fit voir qu'elle étoit obligée en confcience d'agir par ellemême, & de fuivre les lumiéres que Dieu lui

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