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gélique tâchoit de mettre tout en train, & de faire pratiquer en effet tout ce qu'elle avoit à cœur. Elle tâchoit d'infpirer de la joie à fes filles des petites incommodités qui fe rencontroient dans cette nouvelle maison, où l'on manquoit encore de beaucoup de choses. Il y avoit à fouffrir fur-tout pour le logement, n'y ayant pas encore de dortoir. Les Religieufes couchoient plufieurs dans des chambres affez étroites. Pour donner l'exemple, la Mere vouloit qu'il y eût fix lits dans fa chambre, malgré le défagrément qui réfultoit de-là, ces filles ne fe levant pas toutes à la même heure. Elle prenoit auffi plaifir de voir que les obédiences n'étoient pas fournies de tout ce qui étoit néceffaire à chacune: en forte que par exemple les deux cuifines, celle de la Communauté & celle de l'Infirmerie, n'étant pas chacunes accommodées de tous les uftenciles, il falloit que les Sœurs fe les entreprêtaffent perpétuellement, & euffent la peine de les porter & de les rapporter. La caufe de cette difette étoit, que la maison de Paris étant fort endettée, la Mere Angélique n'avoit pas voulu faire une nouvelle dépenfe pour l'établissement des Champs, & qu'elle n'avoit pris dans la maifon de Paris que le moins qu'elle avoit pu des uftenciles, meubles, linges les plus néceffaires. La Mere trouvoit dans l'incommodité que cela produifoit un double avantage, la pratique de la pauvreté, & l'exercice de la

charité.

Elle ne tarda pas à reprendre fa bonne œuvre favorite de l'ancien tems, je veux dire, l'affiftance de tous les pauvres du voifinage. Les bonnes gens avoient la liberté de venir demander au tour tous leurs befoins, & ils

n'étoient jamais refufés: on leur diftribuoit jufqu'à des confitures. Elle s'apperçut néanmoins qu'on abufoit un peu de la bonté, & que des pauvres feignoient quelquefois des befoins qu'ils n'avoient pas. Pour obvier à cet inconvénient, elle chargea un de Meffieurs les Solitaires, M. Pallu qui étoit Médecin de la maifon, de s'informer des befoins des pauvres, en faifant fa tournée chez les malades de la campagne, à qui il étoit tout dévoué. En l'établiffant ainfi œconome des aumônes, elle lui donna plein pouvoir de prendre dans la maifon tout ce qu'il jugeroit à propos pour le foulagement de ceux qui fouffroient. Ce qu'il y cut de vraiment édifiant dans ce digne Médecin, c'eft que jamais il ne prit rien dans la maison, fans en avoir demandé la permiffion à la Mere ou à quelque autre, difant qu'il pourroit fe tromper en donnant trop ou trop peu, & que fa fûreté étoit dans l'obéiffance,

Le filence & la grande féparation du monde étoient encore deux objets principaux que la Mere Angélique s'étoit propofé de mener loin, en revenant aux Champs. Auffi furentils la matière de fon zéle & de fa vigilance dans la formation de fa nouvelle Commu❤ nauté. Outre le grand filence depuis Complies jufqu'à Primes du lendemain, elle voulut encore qu'on le gardât dans la maifon, pendant l'Office de l'Eglife, lorfqu'on étoit dans l'impoffibilité de s'y trouver. Elle vouloit que ce grand filence du foir & de la nuit ordonné par la Régle, ne für pas feulement un filence de la langue, mais un filence de l'efprit, & qu'on ne s'occupât que des chofes de Dieu dans cet intervalle: c'eft pourquoi elle fouhaitoit qu'on ne fit alors aucun ouvrage, excepté celui des

obédiences. Elle ne recommandoit rien tant, que de s'interdire toute communication au dehors: & quant à elle, elle prenoit un moyen bien court pour n'être point diftraite par les vifites du dehors, & pour les écarter entiérement; c'étoit de refufer absolument d'aller au parloir pour les perfonnes qui venoient, fans en excepter les plus proches parens, fes amis & fes amies les plus vertueux, Elle avoit établi que les Solitaires de P. R. n'auroient jąmais de rapport avec aucune Religieufe, fi ce n'eft dans la néceffité; & elle recommandoit en ce cas de ne rien dire de fuperflu. Pour les nouvelles du monde, elles étoient entiérement bannies de la Communauté. Les Religieufes n'entendoient pas même parler des difputes qui s'étoient élevées fur le livre de M. Arnaud & fur celui de Janfénius. Le livre de M, Arnaud qui faifoit tant de bruit, je veux dire le livre de la fréquente Communion, n'avoit jamais été ni lu ni connu dans la maifon. La Mere avoit pour principe, que pourvu que les Religieufes fuffent que fans la grace on ne peut rien, & qu'il faut la demander à chaque inftant, on en favoit tout autant qu'il en falloit pour remplir fa vocation de Religieufe: en forte que ce fut bien mal à propos, quand dans la suite les filles de P. R. furent attaquées au fujet des conteftations fur la grace, & qu'on accusa la Mere & les Meffieurs d'avoir de tout tems endoctriné ces filles fur ces matiéres. En effet hors un petit nombre à qui la perfécution fut une occafion de s'inftruire dans le tems, parce qu'elles avoient plus de capacité & de pénétration que les autres, toute la réfiftance que fit la Communauté aux Docteurs qu'on employa contre elles dans la grande crife de la perfé

cution

cution, n'avoit que la fimplicité & la droiture de cœur pour principe, & non l'intelligence des matiéres difputées.

Si la Mere recommandoit fi fort le filence, la retraite, la féqueftration des affaires dont on n'étoit point chargé perfonnellement, elle ne recommandoit pas moins la difpofition où il faut être de fortir de fa retraite pour aider fon prochain, dès qu'il a besoin de quelque fervice. Elle fouhaitoit que chacune des Sœurs cût grand foin de fon obédience; mais qu'elle ne s'y bornât point abfolument ; qu'elle confidérât toutes les autres comme la fienne propre, dès que la néceffité s'y rencontroit; qu'en un mot les Sœurs fuffent toujours prêtes à s'entr'aider, comme fi toutes les obediences n'euffent été qu'une feule & unique obedience.

Avant que de paffer plus avant, j'annoncerai la mort de trois ou quatre hommes trèsrefpectables qui tenoient à P. R. En 1645. mourut M. Litolfi Maroni Evêque de Bazas, dont il a été fait mention plus haut. Après la retraite qu'il fit à P. R. il fut renvoyé à son Diocèfe par M. Singlin. Il y vécut peu de tems dans un redoublement de ferveur & de zéle pour tous fes devoirs.

En 1646. mourut un jeune homme de 21. ans, nommé Jacques Lindo, Parifien, que les faints Solitaires de P. R. regardoient comme un véritable innocent, qui fanctifioit la fociété des Pénitens.

La même année mourut un excellent Prêtre, M. Manguelain, qui ayant fervi M. de Bazas dans le gouvernement de fon Diocèse, fe retira après la mort de cet Evêque à P. R. où les Solitaires le prirent pour leur Directeur. Nous avons vu que la M. Angélique aimoit Tome I.

N

XI.

Hiftoire a

$648. & en

1652.

bregée des à tenir fermées les grilles des parloirs par le deux guerres grand amour qu'elle avoit pour le filence & de Paris en la folitude. Mais il arriva bien-tôt une occafion où fa charité l'obligea d'ouvrir non pas feulement les parloirs, mais toutes les portes du Couvent. Ce fut la premiére guerre de Paris en 1649. qui y donna lieu, par le grand nombre de perfonnes de toutes conditions qui vinrent y chercher la fureté contre les troupes qui couroient dans la campagne. Voici quel fut le fujet de cette guerre, auffi bien que de la feconde, qui la fuivit de près. Le mécontentement qu'avoit le public de la Régence de la Reine Mere & du Miniftére du Cardinal Mazarin, caufa ces grandes émeutes qui prirent naiffance à Paris, & s'étendirent dans une bonne partie du Royaume. Dès 1648. fur la fin de l'année, il étoit arrivé à Paris une fédition populaire, fufcitée par le parti qu'on appelloit des Frondeurs, & qui alla fort loin. La Régente ayant fait emprifonner de haute lutte deux Officiers du Parlement, qui paffoient pour être les plus vifs des Frondeurs, le peuple s'émut, s'attroupa, fit des Barricades dans les rues pour fermer le paffage aux troupes commandées par la Cour. Un nombre de citoyens efcortés de toute la populace matinée, allérent au Louvre redemander les deux prifonniers: ils le firent d'un ton à fe faire craindre; & la Cour fut obligée d'acquiefcer, crain te de pis. Les deux Magiftrats furent relâchés. Les efprits cependant demeurérent également aigris de part & d'autre ; en forte que la Cour penfa à employer un reméde encore plus vio Jent, qui étoit de faire affiéger Paris, pour réduire par la force les Parifiens. Ce projet eft du commencement de 1649. Les Parifiens de

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