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leur côté prirent leurs précautions. Le Prince de Conti, le Duc de Longueville, plufieurs autres Seigneurs fe rangérent du côté du Parlement & des Parifiens. Le Prince fut nommé Généraliffime, & les autres Lieutenans Généraux de l'armée de la Ville. La Reine Mere commença par faire fortir le jeune Roi de Pa ris; elle l'emmena à S. Germain. Le Parlement fit une députation au Roi, pour fupplier Sa Majefté de revenir dans fa Capitale. Sur le refus d'audience qui fut fait en Cour aux Députés, le Parlement rendit un Arrêt foudroyant contre le Cardinal Mazarin, qu'il déclaroit ennemi du Roi & de l'Etat, lui ordonnant de fortir du Royaume, & permettant à toutes perfonnes de courir fus. Alors le blocus de Paris de la part de la Cour fut publié. Le Prince de Condé qui étoit du parti de la Cour, fe faifit de quelques poftes importans autour de Paris. Mais peu de tems après il y eut un accommodement entre la Cour & les Parifiens, qui mit fin à cette premiére guerre; laiffant fubfifter les troubles qui s'étoient répandus dans plufieurs Provinces, telles que la Guyenne, la Provence, &c. Quant à Paris, l'année 1649. s'écoula dans une espèce de calme fort trompeur. Le Cardinal qui étoit l'objet de la haine publique, tenoit toujours le timon des affaires ; & c'eft ce qui piquoit continuellement les Frondeurs, c'est-à-dire les mécontens. Le parti de ceux-ci fe trouva dans la suite extrêmement fortifié par l'acquifition qu'il fit du Prince de Condé, qui s'étoit brouillé avec le Cardinal, & conféquemment avec la Cour. Le Cardinal & la Régente commencérent à craindre beaucoup, & crurent que pour leur fûreté il falloit fe faifir de la perfonne des Princes ligués. On

XII. Charité ad

leur tendit un piége pour les attirer au Lou
vre, fans qu'ils euffent aucune méfiance; & là
ils furent arrêtés, & conduits en prison, fa¬
voir le Prince de Condé, le Prince de Conti
& le Duc de Longueville leur beau-frere.

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La détention des Princes dura treize mois, partie à Vincennes, partie au Hayre-de-Grace: après quoi pour des intérêts preffants la Cour & le Miniftre furent forcés de leur rendre la liberté, tout le monde les redemandant d'un ton fort haut. Le Prince cependant ne se réconcilia pas fincérement avec le Cardinal. Chacun des deux redoutoit la trop grande puiffance de fon rival, Le Prince eut vent que le Cardinal cherchoit de nouveau à s'affurer de fa perfonne, Il fe mit donc à la tête d'une petite armée qui battoit la campagne. Le Roi en oppofa une autre ; c'eft ici la feconde guerre de Paris en 1652. Le Prince poursuivi de près par les troupes de la Cour, fe jetta dans le Fauxbourg faint Antoine où l'armée du Roi entra auffi. Il s'y donna un combat dont le Prince fe tira heureufement, parce que le canon de la Baftille tira fur les troupes du Roi. Le Prince entra dans Paris chargé de gloire aux yeux des Parifiens. La Cour fut enfin obligée de prendre le parti de la condefcendance au moins en apparence; & le Cardinal fe retira pour un tems dans l'Electorat de Cologne. Je laiffe le refte de l'hiftoire, qui n'eft pas de mon fujet. Ce que je viens d'en rapporter étoit néceffaire pour bien entendre le détroit & l'ex¬ trémité ou fe trouvoient réduites les campagnes, les maifons Religieufes, beaucoup d'honnêtes familles tant à Paris qu'au dehors.

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Ce furent donc ces deux guerres qui donnérent lieu à la grande charité de la Mere Angé

pour les pau

lique de fe manifefter dans toute fon étendue. mitable de la D'abord elle reçut dans fa maison un nombre Mere Angélide Demoiselles & de filles de Fermiers, qui y que dans ces vinrent chercher un afile contre les gens de deux guerres guerre qui couroient dans les campagnes. Une vres gens de Abbeffe du Diocèfe de Chartres, l'Ãbbeffe de la campagne. l'Eau, qui fe trouvoit pour lors à Gif, voulut auffi fe refugier à P. R. avec quelques Religieufes de Gif; le reste de cette maifɔn s'étant déja retiré à Chartres. La Mere eut le bon cœur de lui envoyer le caroffe de M. d'Andilli & une escorte de plufieurs Meffieurs pour la transporter à P. R. Ni le peu de place qu'il y avoit dans une maison auffi petite qu'étoit alors P. R. des Champs, ni le défaut de provifions dans une conjoncture aussi fâcheuse, n'arrêtérent point le cœur généreux de la Mere, & les Religieu fes à fon exemple n'héfitérent point à s'incommoder pour le fervice du prochain. Sa charité ne fe borna point à exercer l'hofpitalité envers toutes ces perfonnes étrangères qui fe retiroient à P. R. pour y mettre leur vie & leur honneur en sûreté. Elle auroit fouhaité pouvoir garantir tous les pauvres payfans des pilleries des foldats; & comme elle ne pouvoit pas les retirer eux-mêmes, elle se réfolut au moins de mettre leurs meubles & leurs grains à couvert.

La petite maison fe trouva fi remplie de tout ce que ces pauvres gens apportoient, bled, pois, fêves, vaiffelle, coffres, paquets, qu'il fallut mettre une partie de tous ces effets dans les bas côtés de l'Eglife qui étoient de la clôture, De quelque côté qu'on fe tournât dans la maifon, on ne trouvoit que chevaux vaches moutons. La cour étoit toute pleine de poules & de volailles : on croyoit voir une répétition de l'Arche de Noé. C'étoit une grande sujétion

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pour le Couvent, dont il falloit ouvrir & fermer fans ceffe les portes, pour recevoir ce que les gens apportoient, & pour les laiffer entrer eux-mêmes, quand ils venoient prendre ce qui leur étoit néceffaire; car ils y avoient apporté jufqu'à leur pain. A toute heure de la journée, quelquefois dès cinq heures du matin ils venoient frapper à la porte, comme font les petites gens qui ne favent ce que c'eft que d'a voir des égards, & de fe gêner pour ne point incommoder le monde. La Mere étoit la premiére à fupporter cette incommodité, & "encourageoit les Sœurs à faire de même. Quelques amis de la maifon effayérent de la détourner de ferrer ainfi tous les biens des paylans pour une raifon tout-à-fait plaufible. Ils tui repréfentérent qu'elle mettoit fon Monaftére endanger d'être pillé ; parce que les Officiers & les foldats ne trouvant rien à prendre dans les maifons des villageois, viendroient tout enle ver dans l'endroit où étoit le dépôt. Mais elle n'eut garde d'écouter ces raifons: elle répondit conftamment que cela n'étoit pas capable de » la faire manquer à la charité qu'elle devoit aux pauvres ; qu'elle verroit avec joie fa inai» fon pillée, fi elle l'étoit pour une fi bonne caufe; mais qu'elle ne craignoit rien & que le Seigneur la garderoit.

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Pendant ce tems-là la plupart des pay fans étant ruinés, les pauvres venoient en foule demander l'aumône. La Mere failoit faire du potage pour leur donner à tous : quelquefois 14. & 15. feaux de potage fuffifoient à peine. Elle veilloit à ce qu'il fût paffablement bon, malgré la quantité qu'on en faifoit : elle y goûtoit, & quand elle ne le trouvoit pas elle le faifoit racommoder avec de l'oignon & au

bon,

tre chofe femblable, & ne plaignoit nullement la dépenfe. Elle penfa long-tems à ce qu'elle pourroit encore donner à ces pauvres après le potage. Comme on avoit recueilli beaucoup de fruit l'année précédente, elle s'avifa de faire diftribuer à ces pauvres tous les jours de grands paniers de poires & de pommes ; à quci elle ajouta enfuite des bettes-raves dont il y avoit une affez grande provifion dans la maison. Autant ces petits foulagemens confoloient les pauvres, autant la Mere en avoit de joie : elle difoit » Dieu nous a fait aujourd'hui la gra»ce de faire ce qu'il ordonne dans fon Ecritu

re, de réjouir & de faire repofer les entrail» les des pauvres. » On peut juger facilement quel furcroît de fatigue tout ce détail de cha rité caufoit aux fœurs; d'autant plus que la grande facilité que la Mere donnoit aux pauvres gens de repréfenter leurs befoins, les avoit habitués à demander librement bien des chofes. On a vu une pauvre femme malade témoigner une grande envie de manger un morceau de veau rôti, & la Mere ordonner fur le champ qu'on la fatisfit, & qu'on lui préparât fort proprement ce rôti. Une autre fois une femme grofle ayant apperçu en paffant dans la cuifine une carpe que l'on faifoit rôtir, eut de même une grande envie. Elle n'ofoit pas cependant le témoigner. La Mere qui s'en ap-. perçut, lui dit qu'elle ne fe mît point en peine, qu'elle lui en feroit donner : & elle le fit en effet. La providence fecondoit d'une maniére toute particuliére le zéle charitable de la Mere: on peut dire même qu'elle le recompenfoit par des efpéces de miracles. Tel eft celui des piéces de cinq fols, & celui des demi-louis, rapportés ailleurs.

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