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XIII.

Cette vertueufe Abbeffe toute occupée qu'elle Les Solitai- étoit à affifter les pauvres dans ce tems d'allarfont la me, ne négligeoit pas de pourvoir à la sûreté garde autour de fa maifon. Elle avoit prié les Meffieurs qui de la maifon. étoient retirés à la maifon des Granges de def

cendre en bas, & de fe loger dans les bâtimens du dehors du Monaftére. Plufieurs d'entr'eux n'étoient pas apprentifs au fait de la guer re, ayant été autrefois dans le fervice, & ayant donné des preuves de valeur. Ces Meffieurs firent réparer les murs aux endroits où il en étoit befoin, & les mirent en bon état ils faifoient le garde autour de la maison avec une vigilance continuelle. Pour plus grande précaution, elle s'avifa de faire demander à M. le Prince qui commandoit les troupes du Roi dans la premiére guerre de Paris, la permiffion de faire porter une cafaque de fes gardes à un de ces Meffieurs qu'on lui nomma, & qui étoit en effet connu de fon Alteffe, bien affurée que cela tiendroit en refpect les Officiers ou les foldats qui auroient quelque mauvais deffein fur la maifon, & qui en approcheroient pour ufer de violence. La précaution fit fon effet. Ce Monfieur revêtu de la cafaque fut un jour averti que quelques foldats étoient entrés aux Granges & commençoient à piller le logis: il y monta, parla d'un ton d'autorité & de menaces à ces pillards, qui eurent peur, voyant fon habit, & fe retirérent après lui avoir fait de très-humbles excufes. Un autre moyen dont elle fe fervit pour mettre à couvert fa maison, fut de fe concilier le cœur des Officiers qui battoient la campagne, dans les occafions occurrentes. Ayant appris que quelques-uns de ces gens de guerre étoient demeurés malades auprès de P. R. elle leur envoyoit du bouil

lon, des remédes, & tout ce qu'elle pouvoit pour leur foulagement, ce qui lui acquit leur eftime & leur vénération.

La maison de Paris étoit encore plus expofée que celle des Champs. Comme elle étoit fituée à l'extrémité d'un Fauxbourg, elle se trouvoit continuellement environnée de de gens guerre ; & d'ailleurs il lui étoit très-difficile d'avoir des vivres de la Ville. La Mere Angélique avoit penfé à faire venir aux Champs toutes les fœurs de Paris, la maifon des Champs étant bien gardée, & de plus affez bien approvifionnée "des chofes les plus néceffaires à la vie. Dans cette vue elle fit travailler à beaucoup de paillafles pour préparer à toute cette Communauté de quoi coucher. Mais elle changea de deffein, parce qu'elle comprit le danger qu'il y auroit fur la route pour des Religieufes qui feroient en chemin, à caufe des partis qui couroient de côté & d'autre. On trouva un autre expédient, qui étoit de faire entrer les Religieufes dans la Ville. M. de Berniéres Maître des Requêtes offrit une maison à lui appartenante, fituée proche faint André-des-Arts: & fur l'avis de M. Singlin on l'accepta.

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XIV.

fes de P. R.de Paris fe refugient dans la

Les Religieufes fortirent donc le 12. Janvier 1649. au nombre de trente, la Mere Agnès LesReligieuà la tête. On laiffa dans le Couvent les plus âgées comme étant les moins expofées. La Mere Marie-des-Anges ci-devant Abbeffe de Ville proche Maubuiffon, & la four Eugenie de l'Incarna- faint André tion Arnaud, y demeurérent pour conduire les des Arts. fœurs, La Communauté fe mit en marche accompagnée de Meffieurs de Berniéres & le Nain revêtus de leurs robes de magiftrature, afin que leur préfence imposât à la populace du Fauxbourg, qui la veille n'avoit pas voulu laif

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fer partir les Religieufes. Cette marche se fit dans un grand filence: La plupart des fœurs ne favoient pas même où on les menoit. En attendant qu'on cut porté quelques meubles à la maifon que M. de Berniéres leur prêtoit, il les mena chez lui. Elles y pafférent tout le jour, Y faisant tous leurs exercices auffi réguliérement qu'il leur étoit poffible, difant leur Office toutes ensemble, & faisant leur affistance c'eft-à-dire, l'adoration du saint Sacrement les unes après les autres dans le cabinet de Madame de Berniéres : le refte du tems fut employé à faire des ouvrages pour les pauvres que la Dame leur donna. On les conduifit le foir à leur maison. La Mere Agnès y amena deux Demoiselles pour affifter les fœurs dans les befoins occurrens, & pour recevoir les perfonnes féculiéres qui venoient à cette maison. On les mit dans une chambre féparée des Religieufes qui étoient en clôture. On avoit fait mettre une grille à un petit cabinet qui fervoit de Parloir. Le lendemain de l'entrée dans cette maison on demanda permiffion au Curé de faint André d'y faire célébrer la Meffe. Il l'accorda, & la Mere Agnès fit tapiffer une fale où l'on dreffa un autèl. On y difoit une Messe tous les jours, & les jours de Dimanche & de Fête on y en difoit deux.

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La régularité fe foutint dans cette maison, auffi-bien fi que on avoit été fort à fon aife dans un monaftére; & l'incommodité qu'on trouvoit en bien des façons dans cette maison étrangère, ne fervit qu'à faire croître dans plufieurs l'efprit de la mortification chrétienne. Elles étoient couchées quatorze dans une grande chambre, huit dans une autre, & le refte à proportion. Les lits étoient fi preffés qu'il n'y

avoit qu'une très-petite ruelle entre deux, qui leur fervoit de cellule, & où elles étoient dans un auffi grand filence, que fi elles avoient été dans les cellules de leur monaftére. Elles avoient les unes une paillaffe, les autres un matelas sur deux ais. Elles furent particuliérement fort incommodées du froid qui étoit grand,& on avoit beaucoup de difficulté à avoir du bois. Pour les befoins de la vie elles eurent auffi à fouffrir. La Mere Angélique leur envoyoit des Champs autant qu'elle le pouvoit, des provifions de farine, de viande, de fruit, &c. & Meffieurs les Solitaires efcortoient ces convois avec une charité qui leur faifoit méprifer tous les périls. Cependant ces envois ne pouvoient pas toujours fe faire aufli abondamment que la néceffité le requéroit. Mais les fœurs fçavoient fe paffer de peu ; & elles ne fe faifoient pas pour cela aucune peine de recevoir à dîner beaucoup de Religieufes étrangères refugiées à Paris dans leurs familles, qui venoient paffer la journée avec les filles de P. R. fur-tout les Dimanches & les Fêtes, foit pour s'édifier de leurs exemples, foit pour confulter la Mere Agnès, foit pour entendre les prédications de M. Singlin. C'étoit un vrai pere qui ne manquoit point au befoin. Il alloit & venoit d'une maison à l'autre pour inftruire fes filles & les confoler. II couchoit à la maison du Fauxbourg, & veilloit à tous les accidens qui pouvoient furvenir. Il avoit l'œil à ce que l'on fit continuellement la garde autour de la maison, pour la mettre à couvert, & faire tranfporter ailleurs celles qui y demeuroient en cas d'attaque. Il faifoit auffi affez fouvent des voyages à P. R. des Champs. Sous la conduite d'un tel homme, bien le foutint toujours dans la Communauté

le

miére guerre

quoique partagée. L'Office se faifoit régulićrement des deux côtés, & au Fauxbourg & au quartier de faint André. Les Matines même fe difoient à deux heures de nuit comme à l'ordinaire.

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XV. Cette premiére guerre étant finie, les ReAprès la preligieufes de Paris retournérent à leur maison la Mere re- du Fauxbourg le 5. Mars de la même année çoit à P. R. 1649. & dans la maifon des Champs toutes plufieurs Re les perfonnes étrangères qui s'y étoient refuligieufes étrangeres, & giées, retournérent chacune chez foi, laiffant la les aggrége à Mere Angélique libte pour remettre toutes chola Commu- fes dans le premier état, & pour vaquer plus affidument à la conduite des ames. Car outre le zéle dont elle étoit animée pour la sanctification de fes filles, elle avoit d'ailleurs un rare talent pour gagner toute forte de personnes, pour les perfuader, & même pour les connoître mieux fouvent qu'elles ne fe connoiffoient elles-mêmes.

nauté.

Quelque tems après la fin de la guerre plufieurs des Religieufes qui étoient forties de leur Couvent, & qui avoient entendu parler de P. R. & de la charité de la Mere Angélique, la firent prier de les recevoir; les unes, parce qu'elles défiroient d'embraffer une vie plus réformée; les autres, parce que leur Couvent de profeffion n'avoit plus de quoi fubfifter. La Mere n'en refufa aucune : elle les diftribua dans les deux maifons, & les traita toujours comme fes propres filles. Car fa charité étoit vraiment catholique & univerfelle; & elle ne vouloit point qu'on fît diftinction d'égards entre les Religieufes de différens Ordres. Elle ne pouvoit fouffrir ces petites préférences de jaloufie qui font fi communes parmi les perfonnes Religieufes, les unes relevant leur Ordre

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