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XIX.

Sa charité

des Requêtes, riche de cent mille écus, la famille s'y porta volontiers, & la Demoiselle crut ne devoir pas contrifter fes parens. Ainfi par pure considération pour leur volonté, elle confentit au mariage. On fut bien trompé dans cette affaire. M. le Maître étoit un homme très-vicieux, fans religion, diffipateur & fort mauvais mari. Tout le public le favoit : M. Arnaud lui feul l'ignoroit. Dès la feconde année de mariage il fit fentir à fa femme ce qu'il étoit ; la traitant dans le particulier avec indignité pendant qu'au dehors il affectoit de bonnes. maniéres à son égard. Madame le Maître souffrit en filence & avec une vertu héroïque ces mauvaistraitemens pendant un nombre d'années; & fa famille n'en auroit jamais rien fçu, fans une maladie.confidérable qui lui furvint & qui fut caufe que les parens la prirent chez eux pour la traiter. Etant interrogée, elle ne put cacher l'état des chofes ; & tout examiné, on trouva qu'il y avoit plus qu'il ne falloit pour demander en juftice la féparation & de corps & de biens. M. Arnaud entreprit l'affaire. Le Chancelier du Vair favorifoit M. le Maître qui s'étoit déclaré de la Religion prétendue Réformée, & pour. qui le Syndic des Huguenots avoit présenté une Requête au Chancelier. Le Magiftrat avoit admis & fcellé la Requête. Mais M. Arnaud ne s'en effraya pas, & dit qu'il fauroit bien faire fondre la cire du Chancelier. Il réuffit ; il obtint fept Arrêts en dix jours, & gagna tout ce qu'il demandoir, d'avoir chez lui & fa fille & tous les enfans de fa fille.

Madame Le Maître, féparée de fon mari, pour le Cou- ne penfa plus qu'à bien élever fa petite favent de P. R. mille, & furtout cinq garçons qu'elle avoit ; & pour les vivant dans la maison de fon pere fort reti

pauvres.

rée, & dans une grande piété. Elle fréquen toit beaucoup P. R. dont fa Soeur Angélique étoit Abbeffe: car la vie religieufe faifoit toujours les délices de fon cœur. Elle y don noit des exemples d'une rare humilité. Lorf qu'elle affiftoit à l'Office divin, qu'elle aimoit beaucoup, elle n'entroit pas dans le Chœur des Religieufes, s'eftimant indigne, comme femme mariée, de prendre place parmi des Vierges chrétiennes. Elle fe rendit fort utile à la maifon, d'abord par l'intelligence & l'adreffe qu'elle avoit naturellement pour toutes chofes. Ce fut elle qui conduifit les nouveaux bâtimens de P. R. de Paris, lorque la Mere Angélique les entreprit. Ce fut elle auffi qui préfida à l'arrangement de la maifon du nouvel Inftitut du faint Sacrement. La Mere Angélique fe déchargeoit en bonne partie fur elle des foins du temporel du Couvent. Il n'y avoit garde-malade qui l'entendit comme elle. Auffi fe conftituoit-elle la garde ordinaire de toutes les Sœurs infirmes ; & s'il y avoit quelqu'un de la famille, ou quelque perfonne amie du dehors qui fût malade, elle y couroit pour lui rendre fervice jour & nuit. Quand la Mere Angélique étoit obligée de s'abfenter d'une des deux Maifons, elle difoit en s'en allant à fes Filles : » Je vous laiffe ma Sœur Catherine pour mere de vos corps. »

:

Elle aidoit auffi beaucoup la maison de fon bien elle pourvoyoit avec une diligence finguliére à tous les petits befoins, dont elle s'informoit avec foin, & fouvent on ne fçavoit pas d'où les choles venoient: tant elle étoit attentive à cacher fes libéralités. Son amour pour les pauvres étoit fans égal. Ayant appris de M. Pallu, Médecin de P. R. l'extrême mi

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XX.

fére où étoit une pauvre femme accouchée depuis quelque tems, qui n'avoit point de lait pour allaiter fon enfant, ni de moyen pour le faire nourrir, elle propofa à la Mere Angélique de faire apporter l'enfant & d'en prendre foin. Elle reçoit cet enfant dans un état pitoyable, couvert d'un méchant haillon de tapiflerie, le corps tout plein de gale; elle le nettoie elle-même, l'habille, le donne à une nourrice dont elle paie les mois. Une autre fois elle fe charge d'une petite fille du voifinage, dont la mere étoit dans un grand befoin, quoique de bonne condition : elle la tient en penfion chez une femme pendant plufieurs années, l'habille proprement & fuivant fa condition; & l'enfant étant venu à mourir, elle lui fait faire un enterrement honnéte.

Elle étoit toujours prête à fervir le prochain. Service im- Deux fois en fa vie elle a bien voulu fe liportant ren- vrer elle-même, pour ainfi dire, à la maison du à Madame de Madame la Duchefle de Longueville pour de Longue- lui faire plaifir: la premiére fois, pour élever ville par Ma la petite Princeffe fa fille : elle y demeura dame le Maî- près de trois ans, faifant violence à fon in

la Duchefle

tre.

clination, & facrifiant la douceur de la retraitte à cette bonne œuvre. Elle fe fit extrê mément aimer de tous les domeftiques, pendant le fejour qu'elle fit à l'Hôtel, par fon caractére ferviable, & par les bons offices qu'elle rendoit à tout le monde. Elle revint une feconde fois chez la même Ducheffe, pour l'affifter dans une petite vérole dont elle fut attaquée étant groffe de trois mois. L'iffue de cette maladie mérite d'être rapportée. Comme la mere étoit en grand danger, & qu'elle craignoit beaucoup pour l'enfant qu'elle portoit,

vie

elle s'étoit réfolae à fouffrir l'opération pour
fauver fon fruit, facrifiant ainfi fa propre
au falut éternel de l'enfant. Madame Le Maître
vint annoncer ce qui fe pafloit à la Mere An-
gélique, fe fentit pleine d'une certaine con-
fiance en Dieu; étant en priére à ce fujet
elle dit à fa Sœur de prier la Ducheffe de
mettre toute fa confiance en Dieu, & de ne
pas hâter l'opération. La chofe réuffit: la
Ducheffe accoucha heureufement; l'enfant fut
baptifé par l'Evêque de Langres, & vécut en-
core quelques heures après. La Ducheffe n'a
jamais douté qu'elle ne fût redevable d'un
auffi grand bienfait de la divine Providence,
aux priéres de la Mere Angélique, & de fa
Sœur Madame Le Maître,

XXI.

Elle fe fait

Madame Le Maître eut le bonheur de connoître faint François de Sales, en même tems que fa Sœur Angélique fe lia avec le faint Religieufe Prélat. Elle fit comme elle un renouvellement P. R. entre fes mains, & y ajouta un vœu de chas teté perpétuelle, du confentement du faint Prélat, parce qu'elle étoit déja féparée de fon mari juridiquement. Elle fit de même dans la fuite un renouvellement entre les mains de M. de Saint Ciran ; & profita beaucoup de ces deux conduites pour croître en yertu & en lumiére. Tant que fon mari vécut, elle ne put pas exécuter fon bon défir pour la vie religieufe; mais elle ne la perdit pas de vue pendant vingt-deux ans que dura la féparation, Auffi dès qu'elle fe vit libre par la mort de fon mari, elle demanda l'habit, & entra au noviciat. Elle auroit bien fouhaité, & elle le pro pofa en effet, qu'on ne la reçût qu'en qualité de Converfe, conduite par ce même efprit d'humilité, qui la rabaiffoit fi fort à fes pro

XXII.

pres yeux au-deffous des Vierges, parce qu'elle étoit une femme mariée. Elle faifoit de plus en cela un grand acte de mortification, patce qu'elle facrifioit ainfi la grande fatisfaction qu'elle goûtoit dans l'Office divin, dont il lui auroit fallu fe paffer, étant Converse. Mais on ne jugea point à propos de lui déférer en ce point. Les affaires de fes enfans demandérent plus de tems qu'elle ne penfoit; ainfi elle ne put pas faire fa profeffion après les deux ans de noviciat: elle ne la fit qu'en 1644. Elle avoit eu auparavant la confolation de voir trois de fes fils embraffer la plus haute piété, M. Le Maître l'Avocat, M. de Sacy, qui devint enfuite auffi célébre dans l'état Eccléfiaftique que fon frere l'avoit été dans le Barreau, & M. de Séricourt dont nous venons de rapporter la mort. Elle vit auffi les deux autres fe donner au bien : l'un des deux, nommé Valmon, eft mort à P. R. en 16520 & l'autre, nommé Saint Elme, a été marié, & a vécu chrétiennement dans fon état. Par fa Profeffion, l'ordre de la nature fe trouva comme renverfé à fon égard: fa mere, qui étoit Religieufe, devint fa four; fes fœurs, qui étoient Supérieures, devinrent les meres; fon fils, Prêtre & Directeur de la Maison, devint fon pere; & fes autres fils Solitaires de P. R. devinrent fes freres.

Quand Madame Le Maître eut fait profefSes maximes fion, elle parut à toutes les Sœurs fe furpalfur la mor- fer elle-même en humilité, en charité, en tification. efprit de pénitence. Sur ce dernier article, je rapporterai une réflexion très - fenfée & trèschrétienne, qu'elle faifoit fouvent aux Sœurs, & qui eft véritablement une leçon très-utile aux Religieufes pour leur conduite. Elle leur

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