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Le commerce des gens du monde l'entraîna dans des Affemblées prophanes, tels que les bals. Elle croyoit pouvoir allier ces amusemens avec la crainte de Dieu qu'elle conferva toujours dans fon cœur: ayant ouï dire dans le monde que la condition des grands leur permettoit plufieurs chofes qui étoient interdites aux petits. Mais cette illufion ne dura pas long-tems. Etant un jour allée à confeffe pour faire fes dévotions, le Confeffeur étonné de la voir extrêmement parée, lui demanda pourquoi elle se préfentoit dans cet état. La jeune Dame lui répondit bonnement que c'étoit qu'elle devoit aller à un bal. Le Confeffeur lui fit une forte remontrance à ce fujet, & fur le champ elle renonça au bal & à tous les plaisirs du fiècle.

,

Elle fe retira donc du grand monde. Elle fe fit un plan de vie très-régulier, dans lequel il n'entroit rien d'extraordinaire pour la nature des exercices, mais où tous les momens de la journée étoient remplis par quelque chofe. Elle fuivoit ce réglement avec une févère uniformité. Elle fe levoit de bon matin; faifoit la priere en commun pour les gens; paffoit enfuite toute la matinée à faire fes oraifons, la récitation du Bréviaire la lecture de l'Ecriture-Sainte ; à entendre la Meffe, à régler les affaires de la maison, & à visiter les pauvres malades. Après le dîner elle fe mettoit au travail avec fes filles, & le continuoit jufqu'au foir, à moins que des vifites de charité ou de bienféance actives ou paffives, ne la détournaffent. Le tems destiné au travail étoit entre-coupé de prières, & fanctifié par une préfence de Dieu continuelle. Elle avoit contracté une telle habitude de penfer à Dieu, que tout la rappelloit à fa préfencs, & il lui venoit toujours à l'efprit quelques

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verfets de Pfeaumes, qu'elle prononçoit même fouvent de bouche. Elle aimoit extrêmement le filence & la retraite ; & quoiqu'elle chérît tendrement Madame fa mere & M. fon époux, elle s'étoit fixé un tems pour les conversations qu'elle avoit avec eux & à moins que la néceffité des affaires ne l'exigeât, elle ne paffoit point les bornes qu'elle s'étoit prefcrites. Son tendre amour pour fon mari, dont je viens de parler, étoit fi chrétien & fi épuré qu'il n'avoit prefque pour objet que le falut de ce cher époux. Quand elle le voyoit s'avancer dans la voie étroite, elle béniffoit Dieu mille fois de fon mariage; & fi elle appercevoit quelque chofe qui eût la plus légere apparence de relâchement, elle étoit pénétrée de douleur, jusqu'à en verfer des larmes devant fon mari, n'ofant pas lui en ouvrir la bouche. M. le Duc de Luines rapporte lui-même qu'ayant paffé une année la Fête de l'Affomption fans communier pour quelques raifons de confcience, la Ducheffe ne ceffa durant plufieurs jours de lui faire des remontrances pleines de zéle & de refpect fur l'attiédiffement de piété qu'elle foupçonnoit en lui. M. fon mari marchoit donc comme elle dans la piété, & la fecondoit dans toutes les vues de régularité : l'un & l'autre y étoient entretenus par le célébre Docteur M. de Ste Beuve. Le mari traduifoit pour fa femme les beaux endroits des faints Peres que lui marquoient des amis gens de bien.

La pieufe Ducheffe ne négligeoit point les devoirs de fa condition au dehors. Elle

pour

XXV.

Son grand

amour pour

voyoit au bon ordre dans fes terres, & elle fça-le filence & voit s'y faire craindre, quand le cas le deman-la folitude. doit. Quelques Officiers du Duché ayant manqué aux devoirs de leurs charges, elle pria M,

le Duc de leur faire fentir leur faute : & le trouvant peu difpofé à le faire comme il convenoit , parce qu'il étoit par caractére fort ennemi de la rigueur, elle ne ceffa de le preffer, jufqu'à ce qu'il eut traité ces gens felon qu'ils le méritoient. Elle fit tous fes efforts pour attirer dans fes terres un excellent Eccléfiaftique, par lequel elle avoit espéré qu'on pourroit réformer les défordres du Duché, & même former de bons fujets pour avoir dans la fuite de bons Prêtres. Si elle étoit fi vigilante pour le dehors, elle ne l'étoit pas moins pour le dedans. Elle veilloit fur fes domeftiques pour entretenir la paix & le bon ordre dans fa maison. ElJe prioit fouvent de vertueux Eccléfiaftiques de venir leur faire des catéchifmes & des inftrutions: auffi ne leur manquoit-elle pas au befoin pour les affiftances corporelles, tant en fanté qu'en maladie. Comme elle voyoit qu'il n'eft pas bien facile d'entretenir ce bon ordre dans un domeftique nombreux, quelque bonne intention que l'on ait,elle fouhaitoit de concert avec fon mari fe retrancher fur cet article, en fe retirant à la campagne, où on peut se pasfer à moins. Les affaires ne le permirent pas d'abord, & elle mourut dans le tems que la chofe alloit s'exécuter. Son grand attrait pour fa retraite > ne l'empêchoit pas de fatisfaire à ce que les bienféances de fon état demandoient d'elle au fujet des vifites. Mais elle avoit une grande attention à ne donner à cette forte de bienféance, que précisément ce qu'elle ne pouvoit refufer. Elle s'expliquera mieux elle-même fur cet article, que je ne le ferois. Nous allons l'entendre parler dans les papiers manuf crits qu'on a trouvés d'elle après la mort.

» Il faut, dit-elle, aimer la folitude pour

"nous guérir de nos bleffures, & fouffrir les

vifites pour ne pas bleffer le prochain': il ne

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» faut donc avoir de visites & de converfations »que par néceffité... Si cela eft, nous ferons > nos vifites rares; nous ne ferons point de con→ noiffances nouvelles; nous ferons nos vifites » les plus courtes que nous pourrons..... Nous » parlerons peu nous ferons ce que nous pour→rons pour laiffer parler les autres: Nous ne nous ingérerons point de parler des chofes » de Dieu, parce que nous devons nous en ré"puter indignes.... Etant réduits à parler de » chofes indifférentes, nous tâcherons avec le plus de prudence que nous pourrons, d'af faifonner nos entretiens de quelques vérités >> utiles, mais fans faire le prédicateur ou le » cenfeur. Une femme ne doit prêcher que par fes exemples.... Nous éviterons de nous in» former curieufement des affaires d'autrui, & >> nous fermerons furtout notre bouche & nos » oreilles à la médifance. Quelques violentes

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que foient les préfomptions contre notre prochain, nous fufpendrons notre jugement..... >> Nous tâcherons d'excufer l'intention, &c. II »faut pourtant prendre garde d'excufer le pé

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ché en excufant le pécheur. Il faut blâmer le » vice en lui même, furtout quand les autres le » louent, comme l'excès dans les feftins & dans ≫ les meubles, les ajuftemens fuperflus, l'affecta>tion des modes, la curiofité, les affemblées » prophanes... Lorfque la vérité eft attaquée » dans les entretiens ou par erreur ou par mali» ce, il eft bon de la foutenir quelquefois : mais quand les gens s'opiniâtrent, il faut fe taire, » de peur de caufer un mal encore plus grand >> par la contention qui n'eft pas de l'efprit du »Chriftianifme. Si on vient à nous faire com

පා

XXVI.

ככ

lité & fes aumôner.

pliment, comme c'eft la coutume du fiéclé, & à nous louer, nous penferons intérieure»ment que le Diable veut nous tenter par là, » & nous aurons ces louanges en horreur; mais » nous éviterons de choquer les perfonnes qui >> parlent de bonne foi, fans aucune intention » de nous nuire... Nous nous garderons bien » auffi de flatter perfonne, de peur d'être occafion au prochain d'élévement & de chûte. » Nous éviterons de parler de nous-mêmes fous quelque prétexte qué ce foit; il y a toujours » du danger, foit qu'on parle de foi en bien ou en mal. C'est une vanité groffiére de dire » du bien de foi ; c'est une vanité couverte d'en → dire du mal. Ce font là les principes févémais fages, que s'étoit faits cette jeune Ducheffe. Le directeur le plus éclairé n'auroit pas mieux rencontré.

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res,

On aura déja reconnu dans tout ce qui a préSon humi-cédé, que la jeune Ducheffe étoit bien vuide de l'orgueil des grands du fiécle; mais il eft à propos de rapporter quelques traits particuliers de cet efprit d'humilité qui la caractérisoit parmi les Dames de fa condition. Elle déféroit en tout ce qu'elle pouvoit à fes inférieurs, & traitoit fes domeftiques avec une bonté merveilleufe: elle fe faifoit fervir plûtôt par forme de prière que par forme de commandement. Elle étoit bien aife intérieurement quand on ne lui obéiffoit pas, & qu'on la faifoit attendre, regardant cette humiliation comme un moyen excellent de fatisfaire à la Juftice Divine, pour s'être révoltée contre Dieu par le péché. Dans les vifites qu'elle recevoit, elle fe plaifoit à donner elle-même les fiéges, & elle facrifioit volontiers toutes les préféances qu'elle pouvoit relâcher fans que cela tirât à conféquence pour

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