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d'autres Dames de même condition qu'elle. Elle fouffroit avec joie les mortifications qu'elle avoit à effuyer de la part des perfonnes de fon rang, qui traitoient de baffeffe fon attrait pour l'humilité, & lui montroient des airs d'indifférence & même de mépris au fujet de fa fimplicité. Quant aux honneurs qu'on rendoit à la perfonne & à fa qualité, elle avoit pour prin

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cipe, » qu'en fait d'honneurs, la grande régle »eft d'en prendre toujours le moins qu'on peut ; ceux-là feulement qu'on ne peut pas raison»nablement refufer: que pour juger de ceux qu'on doit fouffrir, il faut confulter Dieu & » la raifon, & point du tout l'exemple des au» tres, fi ce n'eft de ceux ou celles qui s'humi»lient le plus : qu'il ne faut recevoir ces hon»neurs que par contrainte, & pour obéir à l'or» dre de Dieu qui nous a mis dans un état auquel »ces prééminences font attachées; mais que > nous devons avoir le cœur humilié de nous » voir dans un état fi différent de celui du Fils » de Dieu, & fi oppofé à l'état d'un pénitent qui eft le nôtre.

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Comme le principe de ce détachement extérieur de la grandeur, étoit une ame vraiment humble, fon humilité se manifeftoit en toute chofe. Quand elle parloit de M. le Duc fon époux, elle ne l'appelloit point autrement que fon Supérieur. Elle n'entreprenoit rien, même dans les plus légères rencontres & dans les chofes de piété, qu'elle ne le lui communiquât, & ne fe foumît à fes fentimens. Sa foumiffion à M. Singlin qu'elle avoit pris pour fon Confeffeur, étoit celle d'un enfant. Non feulement elle lui obéiffoit ponctuellement pour les chofes extérieures, mais encore elle foumettoit avec fimplicité fon jugement au fien, Os

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pour fon état intérieur; calmant fes craintes exceffives, & les fcrupules dont elle étoit obfédée, fur la fimple parole du Directeur ; fe rendant fans peine à la défense qu'il lui faisoit de redire des péchés qu'elle s'imaginoit n'avoir peut-être pas bien déclarés dans fes confeffions paflées. Lorfqu'elle avoit quelque correction à faire dans fa maifon elle ne manquoit pas d'entrer auparavant dans son cabinet, pour s'humilier devant Dieu de fes propres fautes, & lui demander la grace de faire la correction fans hauteur. Enfin bien loin de faire la moindre oftentation de fes bonnes cuvres, elle les tenoit cachées le plus qu'elle pouvoit.Ses aumônes n'étoient connues pour la plûpart que des pauvres à qui elle les faifoit. Elle avoit même l'adreffe de cacher quelques-unes de fes vertus, fon grand filence par exemple & fa grande retraite fous le voile de fes infirmités; enforte qu'elle jouiffoit de leur mérite & de leur fruit, fans que perfonne en troublât la poffeffion par des louanges ou par des reproches, dit l'Auteur de fa vie.

Ses aumônes, que je n'ai fait que nommer, méritent quelque détail. Elles étoient prodigieufes. Pour y fuffire, la Ducheffe faifoit toutes les épargnes qu'elle pouvoit, & prenoir beaucoup fur fon néceffaire. Elle avoit prié M. le Duc fon mari de lui fixer une fomme pour fon habillement, afin de pouvoir ménager fur fes habits par d'amples retranchemens de quoi revêtir les indigens. Au refte dans cet habillement modefte, elle évitoit toute affectation de fingularité, étant vêtue comme les Dames de condition les plus modeftes, s'éloignant également du fafte des parures & du fafte de la négligence. Dans une occafion où elle s'ap

perçut que
les pauvres gens fouffroient un peu
plus qu'à l'ordinaire, elle vendit du confente
ment de fon mari toute la crêpine d'or d'un
ameublement très riche, & en distribua sur le
champ le prix qui fe montoit très-haut. Elle
difoit quelquefois agréablement, qu'elle auroit
bien fouhaité que le tabouret en Cour pût fe
vendre, & que ce feroit un grand plaisir pour
elle de demeurer debout devant la Reine, pour
procurer à tant de miférables de quoi le repo-
fer. Ce n'étoit pas feulement de fon bien qu'elle
foulageoit les pauvres, elle les affiftoit de fes
foins; elle les fervoit de fes propres mains;
elle les vifitoit fréquemment: les maladies qui
donnent le plus de dégoût & d'horreur, ne fai-
foient que rendre fes vifites & fes aflistances
plus affidues. Qui la vouloit trouver, quand
elle n'étoit pas au logis, n'avoit qu'à l'aller
chercher dans quelqu'hôpital ou dans quelque
prifon. Sur la fin le grand amour de la retraite
qui croiffoit en elle tous les jours, lui fit ima-
giner un moyen de continuer l'affiftance des
pauvres fans fortir de chez elle: elle fit une ef-
pèce d'Hôtel-Dieu dans l'enceinte de sa mai-
fon.

XXVII.

fpirituelles.

Une chofe qui relevoit toutes fes vertus & fes grandes qualités, étoit un fonds de lumié- L'intelligenre & de fagefle, une trempe d'efprit extrême- ce finguliére ment judicieux, qui dirigeoit l'exercice de fes des chofes vertus. C'est ce qu'on reconnoît avec étonnement dans cette multitude, de réflexions admirables pour leur jufteffe, qu'elle a mifes fur le papier; & dont une bonne partie est rapportée dans fa vie manufcrite compofée par M. Boileau Chanoine de S. Honoré, pour l'édification des deux Dames de Luines fes filles Religieufes Bénédictines de... Il feroit difficile de

trouver ailleurs une morale plus sensée & mieu raifonnée fur toute forte de matiéres ; & ç'auroit été un préfent à faire au public, que de la lui donner imprimée. J'aurois volontiers tranfcrit ici tout ce que l'Auteur de fa vie en rapporte, fi je n'euffe pas cru en le faisant m'é. carter de mon objet, qui eft uniquement l'Hiftoire & les faits. Qu'il me foit permis cependant d'en mettre ici deux morceaux, qui me paroiffent auffi beaux que celui que j'ai donné plus haut fur la matiére des visites & des converfations. Le premier fera fur la vraie idée de la perfection chrétienne.

La perfection de chaque perfonne, dit-el»le, confifte à accomplir exactement la vo>>lonté de Dieu en cette vie, c'est-à-dire à marcher par la voie qu'il nous a marquée de toute éternité pour nous faire arriver à notre » fin qui eft la vie éternelle. Dieu prédeftinant »fes élûs au falut, prépare les moyens par lef

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quels ils doivent y parvenir, ainfi que faint » Paul dit que Dieu prépare les bonnes œuvres, » afin que nous y marchions. C'est donc fortir » de l'ordre de Dieu, & par conféquent du de» voir & de la perfection de chaque Chrétien » en particulier, que de vouloir marcher par une » autre voie. Ainfi toute notre étude doit être de so découvrir cette voie préordonnée, & prépa»rée pour nous en particulier. Les Saints qui »fe font fanctifiés dans le mariage ont accompli la perfection de leur vocation perfonnelle, en telle forte que s'ils fuffent entrés dans la » voie de la virginité, quoique plus parfaite en elle-même, fuppofé la néceffité de la voca» tion de Dieu pour les moyens auffibien que pour la fin, il eft certain qu'ils fuffent dé» chus de la perfection chrétienne, & ne fuf

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fent jamais arrivés à leur fin éternelle, puifqu'ils auroient manqué des graces néceffaires » pour foutenir ce haut état : Dieu n'ayant pas » du leur donner ces fortes de graces felon notre fuppofition. Car il ne fait rien dans le » tems que ce qu'il a réfolu de toute éternité. » Dieu veut fauver les hommes dans toutes les → conditions pour former fa Cité & fon Royau» me célefte. Âinfi il établit une fociété dans fon Royaume terreftre qui eft l'Eglife; laquelle » fociété ainfi qu'une fainte République, con» fifte en divers états, ordres & conditions qui » font conduites différemment ici-bas par les ≫ diverfes formes de fa grace & de fa fageffe, qui divife fes dons & les partage à chacun » felon fon bon plaifir. Mais tous ces états doi » vent être, pour ainfi dire, réunis & confom» més par une même grace de gloire, &c....... » Il faut bien diftinguer l'état de la plus gran» de perfection de la perfection même. Il n'y >> a pas de doute, que de quitter mari, enfans » & toutes chofes, ne foit une action de plus » grande perfection quand elle fe fait dans les régles, que de vivre dans le mariage & dans » l'ufage des biens du monde. Mais cela n'empêche pas qu'une perfonne ne puifle fuppléer » par fes difpofitions intérieures à l'excellence » de ces actions extérieures, & même les furpaffer. Mettons-nous donc dans cette difpo>>fition avec la grace de J. G. que fi l'ufage de

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ces chofes que nous ne pouvons pas encore quitter, nous devenoit un obstacle à la perfe»ction, & à ce que Dieu demande de nous >> nous foyons tous prêts à y renoncer. Il faut » que dans la préparation du cœur nous foyons difpofés à quitter volontiers ce que nous poffédous le plus légitimement, à nous arracher

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