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HISTOIRE

DE L'ABBAYE

DE PORT-ROYAL

PREMIÉRE PARTIE.

HISTOIRE DES RELIGIEUSES.

LIVRE PREMIER.

Entrée de la Mere Angélique Arnaud à PortRoyal, Réforme de cette Abbaye & de celle de Maubuiffon par la Mere; & autres événemens depuis 1600. jusqu'en 1626.

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'Abbaye de Port-Royal Ordre deCiteaux, doit fon origine à Mathilde Origine & de Garlande, femme de Matthieu I. fondation de de Marli, Cadet de la maison de l'Abbaye de Montmorenci. Ce Seigneur en parPort-Royal. tant pour la Terre fainte, laiffa une fomme fa femme pour l'employer en œuvres de piété afin d'obtenir la protection de Dicu fur fa perfonne, & un bon fuccès de fon voyage. Pour fuivre l'intention de fon mari, Mathilde conTome I.

A

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porta

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fulta l'Evêque de Paris. Ce Prélat la fonder un Monaftére. Elle suivit fon conseil & fonda celui-ci pour 12. Religieufes, dans un Fief qu'elle acheta, nommé Port-Royal, fitué dans une vallée proche Chévreuse, à fix lieues de Paris vers l'Occident. Il y avoit déja en ce lieu une chapelle de faint Laurent, dont la Fête a depuis continué d'être célébrée avec beaucoup de folemnité. On voit par l'Hiftoire qu'en 1208. il y avoit des Religieufes à Port-Royal. Pierre de Nemours, Evêque de Paris en 1214. donna à cette nouvelle maison Religieufe droit de Paroiffe, & il permit en 1216. qu'on y élût une Abbeffe.

La conduite de ce Monaftére fut donnée aux Religieux de l'Abbaye des Vaux de Cernai, Ordre de Cîteaux, qui n'en eft éloignée que d'une lieue & demie : & on voit qu'il y avoit en 1225. deux Religieux de cette Abbaye, qui étoient Confeffeur & Chapelain de P.R.Le Pape Honoré III. accorda à l'Abbaye de P. R. plufieurs priviléges dans le goût de ce tems-là. Sa Bulle, qui eft du 18. Janvier, défend aux Evêques d'empêcher l'élection régulière d'une Abbeffe, annulle toutes les cenfures que les Evêques pourroient porter contre les Religieufes & contre toutes les perfonnes qui leur appartiennent; permet de célébrer les Offices divins pendant un interdit général; excommunie tous ceux qui troubleront ce Monaftére dans fes biens, &c. Gregoire IX. prit l'Abbcffe & les Religieufes de P. R. & tous leurs biens fous la protection du S. Siége, & donna une feconde Bulle en 1229. pour la dédicace de leur Eglife, qui fut faite le 25. Juin 1230. pour laquelle folemhité il accorde d'amples Indulgences.

Il fe fit en peu de tems beaucoup de donations

au nouveau Monaftére. Trois Rois de France, Philippe-Augufte, Louis VIII. & S. Louis font comprés parmi les premiers bienfaiteurs de la maiton, & plufieurs autres Seigneurs & Dames de la plus haute qualité, fur tout des Comtes de Montmorenci & des Comtes de Montfort: de forte qu'en 1233. les revenus furent trouvés fuffifans pour nourrir 60. Religieufes ; au lieu quezo. ans auparavant il n'y avoit de biens que pour en entretenir 13. ou 14. S. Thibaud, (*) fils de Bouchard I. de Marli, Abbé des Vaux de Cernai, qui étoit de la famille des fondateurs de P. R. y établit un 3e. Chapelain, qui étoit comme les deux autres, Religieux des Vaux de Cernai.

Depuis ces premiers tems l'hiftoire ne nous apprend aucune particularité de cette Abbaye, jufqu'au fiécle dernier, où elle a eû tant d'éclat, foit par la grande édification qu'ont produite les vertus éminentes des Religieufes, foit par la fingularité des événemens qui l'ont donnée en fpectacle au Royaume & à toute l'Eglife, pour ainfi dire, & dont le dernier a été fa deftruction, telle que tout le monde la connoît. On trouve feulement dans le Nécrologe de cette Abbaye & dans l'Hiftoire abregée qui en a été faite, une fuite des Abbeffes qui l'ont gouvernée jufqu'à la Mere Angélique pendant près de 400. ans. Elles font au nombre de 28. parmi lesquelles fe trouvent des filles de la premiére condition.

Sur la fin du 16e. fiécle le Monaftére de P. R. comme beaucoup d'autres, étoit tombé dans un

* Il y avoit dans la cour de l'Abbaye un petit bâtiment très vieux qu'on appelloit le Logis ou la Chambre de S. Thibaud; parce qu'on prétendoit que c'étoit-là que logeoit ce Saint, que quelques-uns difent avoir été Supérieur du Couvent.

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grand relâchement. La Régle de S. Benoît n'y étoit prefque plus connue : la Clôture même n'y étoit plus obfervée, & l'efprit du fiécle en avoit entiérement banni la régularité. L'ignorance de la Religion y étoit déplorable : il n'y avoit que deux ou trois Religieufes qui euffent reçu le Sacrement de la Confirmation, & ni cellesci, ni les autres ne fçavoient pas même ce que c'étoit. On n'y prêchoit jamais, finon aux Profeffions qui n'étoient pas fréquentes dans un Couvent de 12. filles. Les Confeffeurs Bernardins n'étoient pas mieux inftruits; ils n'avoient aucun autre livre que leur Breviaire, & paffoient le tems à chaffer. On communioit de mois en mois, & aux grandes Fêtes. La Purification. étoit exceptée à caufe du Carnaval, pendant lequel on faifoit des mafcarades. C'est la Mere Angélique elle-même qui rend témoignage de tous ces faits. Les Religieufes ufoient de linge empefé, laiffoient paroître leurs cheveux bien foignés, portoient des gans, des mafques, &c, à la manière des Dames du monde. Tel étoit l'état de la maison, lorfque la Mere Angélique Arnaud y entra avec le titre de Coadjutrice. puis d'Abbeffe, dans un âge & par des voies qui affurément n'auroient pas fait efpérer que Dieu voulut fe fervir d'elle pour les grandes chofes que nous verrons dans la fuite.

M. Marion, Avocat général, qui avoit maAngélique Arnaud Ab-rié fa fille à M. Arnaud, célébre Avocat du Par befle de P. R. lement, obtint du Roi Henri IV. les Abbayes à l'âge de 9. de P.R. & de S.Cir pour deux de fes petites filles,

ans.

fçavoir, Jaqueline Arnaud, qui eft la Mere Angélique,& Jeanne Arnaud qui eft laMere Agnès, Jaqueline l'aînée ne fut d'abord que Coadjutrice de P. R. l'Abbeffe étant encore vivante; & Jeanne fut nommée Abbeffe de S. Cir. Jaqueline

n'avoit alors que huit ans,& Jeanne fix ; la premiére étant née en 1591. & la feconde en 1593. & toutes les deux ayant cû leur nomination en 1599. Ce qui nous choque à préfent, ne choquoit pas alors, parce que les abus étoient devenus fi communs, qu'on n'en étoit plus frappé. Une irrégularité auffi marquée n'en demeura pas à la fimple nomination. La prise d'habit de l'aînée fe fit tout de fuite à l'Abbaye de S. Antoine de Paris, avec une grande folemnité. Celle de la cadette fut remise à l'année suivante 1600. Elle fe fit à S. Cir avec le même éclat. La même année 1600. Jaqueline Angélique fit fa profeffion folemnelle, âgée de 9. ans, & elle fut bénite Abbefse par un Abbé de Cîteaux 2. ans après en 1602. n'ayant que onze ans. On avoit accufé faux dans la fupplique en Cour de Rome pour les Bulles. On l'avoit dite âgée de 17. ans. On avoit encore fait une autre tromperie. Les Bulles ayant été d'abord refufées à Rome, parce que la fuppliante n'étoit que Novice; on en redemanda d'autres après fa profeffion fous un autre nom, fçavoir fous le nom d'Angélique, qu'on lui avoit fait prendre dans la Confirmation, au lieu de celui de Jaqueline qu'elle avoit dans la premiére fupplique.

Six femaines après fa prife d'habit en 1599. on l'avoit retirée de S. Antoine, & on l'avoit mife avec fa fœur à S. Cir où celle-ci étoit déja, afin de les y faire élever toutes deux. Elles restérent ensemble un an, & fe firent finguliérement aimer de toute la Maison. La mere Agnès qui étoit la cadette, s'eft fouvent reproché pendant fa vie un petit trait d'orgueil qui parut alors en elle. Les deux petites Abbeffes ayant quelquefois enfemble des querelles d'enfant, un jour la cadette, Abbeffe de S. Cir,dit à fa fœur aînée,

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