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pour la pau-1

vreté.

fer de ce terme,fa paffion dominante. Elle n'étoit jamais plus animée & plus éloquente, que lorfqu'elle entretenoit fes Sœurs fur cet article. Elle vouloit que les habits fuffent bons & commodes fuivant la faifon : mais elle vouloit auffi qu'ils fuffent faits fimplement, d'étoffes les plus communes & les plus viles. Elle prêchoit d'exemple. Elle ne fouffroit pas qu'on lui fit des habits neufs, & ne les vouloit pas porter, fi on lui en faifoit malgré elle; les donnant tôt ou tard à quelque Sœur mal vêtue, dont elle prenoit les habits: elle témoignoit une fatisfaction infinie, lorfqu'elle voyoit des piéces à fon habit ; & elle difoit que c'étoit les pierreries de fes Religieufes. Dans un tems que les ferges étoient hors de prix, à cause de la déroute des Fabriques dans les guerres de Paris, on préfenta à la Mere d'autres étoffes à meilleur marché,qui étoient très-belles & d'un meilleur fervice. L'éclat de ces étoffes déplut fi fort à la Mere qu'elle ordonna fur le champ qu'on les employât à faire des chauffes & des chauffons, parce que la beauté de ces étoffes n'avoit aucune conféquence dans cet emploi où elles ne paroiffoient pas ; qu'il valloit mieux en acheter de moins belles, pour ne pas donner entrée aux belles dans la Communauté. Ayant reçu un jour de bonne huile en préfent,pour brûler dans la Lampe de fa chambre où l'on fçavoit qu'elle n'en brûloit que de mauvaife, elle fit porter cette nouvelle huile dans l'Eglife pour la Lampe de l'Autel, & continua à ufer de celle qui lui étoit ordinaire. Elle avoit de la répugnance qu'on fe fervît dans l'Eglife de paremens brodés d'or & d'argent, qu'on ornât de beaucoup de pierreries le Soleil où étoit exposé le S. Sacrement, qu'on chargeât l'Autel d'ornemens super

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flus, de bouquets & chofes femblables, qu'on employât des linges pliffés, gaudronnés, &c. difant que cela deshonoroit la pauvreté de Jefus-Chrift, que Dieu ne demandoit que la propreté & la décence, & que l'amour des beaux ornemens d'Eglife eft dans les Religieuses, ce qu'eft l'amour des beaux meubles dans les Dames du monde ; vanité, amour propre de part & d'autre.

La Reine de Pologne avec qui nous verrons dans la fuite qu'elle étoit étroitement liée d'amitié, lui ayant un jour envoyé de Pologne plufieurs piéces de toile d'or & d'argent,pour fai re des Ornemens à P. R. elle n'ofa pas, comme elle l'auroit bien fouhaité, vendre ces étoffes pour en faire l'aumône; mais elle pria la Reine de trouver bon qu'elle ne les employât pas à de grands ornemens bien apparens, qui s'affortiroient mal avec la fimplicité de toute PEglife de P. R. mais qu'elle en prît feulement de quoi en faire deux Dais de proceffion du S. Sacrement pour les deux maifons, un Pavillon pour la fufpenfe, & un Voile pour le Calice ; & qu'elle garderoit le refte pour renouveller dans la fuite ces mêmes Ornemens, quand ils feroient ufés ou trop paffés. Il lui échappa cependant une fois de prier le Confeffeur de la Reine de Pologne, d'obtenir de cette Princesse un tapis de Turquie pour l'Eglife de P. R. Elle ne fut pas longtems fans fe repentir de fa démarche. A l'ordinaire fuivant, elle récrivit au Confeffeur qu'elle avoit eu un très-grand scrupule de ce qu'elle lui avoit demandé par la Lettre précédente, qu'elle le conjuroit que fa prière fût fans effet, & qu'on ne lui envoyât point de tapis: repréfentant que cela étoit trop oppofé à l'esprit de la pauvreté religieufe.

Si elle étendoit ainfi jufque fur le facré fon amour fingulier de la pauvreté, on peut facilement imaginer combien elle le portoit plus loin dans le prophane. Les meubles des Cellules étoient de la derniére fimplicité : c'étoit un Charron, & non un Ménuifier, qui avoit fait les couchettes au tems de la Réforme ; c'étoit ;. bien-là ce qu'on appelle des meubles faits à la ferpe. Elle étoit ennemie de la grande propreté, & difoit qu'un peu de difformité fupplée à la pauvreté. Auffi comme fa chambre étoit au fervice du public, & qu'il y avoit toujours des tas de hardes & de toiles pour travailler, il fe trouvoit que jamais cette chambre n'étoit arrangée ; & elle témoignoit que c'eft ce qui lui donnoit une efpéce de confolation. C'eft par le même principe, que faifant un jour tapiffer une chambre, elle ordonna qu'on tendit la tapisserie à l'envers, trouvant cette invention de fatisfaire à la néceffité, & de fupprimer en même tems la beauté.

Il en étoit des bâtimens de même que du refte. Nous verrons plus bas combien elle s'eft reproché d'avoir entrepris ceux de la maifon de Paris, fur le confeil de M. Zamet, Evêque de Langres. Avec quelle perfévérance refufa-t-elle de confentir à un bâtiment que la Marquife de Sablé vouloit y faire conftruire pour elle-même?Sa raison étoit que la Dame n'en avoit pas besoin, faisant peu de féjour à P. R. & qu'ainfi il faudroit qu'elle eût toujours un autre logis dans la ville, » & que cela faifoit double dépenfe, que je ne faurois fouffrir, difoit-elle: que » autre côté, fi c'étoit l'utilité du Monaftére » que la Dame avoit en vue, il n'en avoit nul >> befoin. » La Mere fe rendit cependant ; mais ce fut par pure obéiffance pour des perfonnes

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que la Marquife employa auprès d'elle, & à qui la Mere croyoit devoir une entiére foumiffion. Elle avoit fur les bâtimens de fa maifon le même principe que fur l'ameublement des chambres; fçavoir, qu'une petite difformité y faifoit merveille, parce qu'elle remplaçoit & ramenoit la pauvreté. Comme on lui difoit un jour que les dortoirs qu'elle avoit fait faire, étoient bien laids, parce que les chevrons n'étoient pas couverts, elle répondit » qu'il falloit aimer cela » pour la pauvreté, & que ne pouvant pas la » pratiquer autant qu'il faudroit dans le refte » des bâtimens, il en falloit du moins garder » les apparences, & que chacune en eut une » dans fa Cellule. » Elle ne faifoit pas plus de grace à la fymmétrie. Un Grand-Vicaire de Paris étant entré pour faire une vifite régulière, apperçut dans un bâtiment des fenêtres tout-à-fait mal placées & mal diftribuées, il demanda à la Mere fi elle ne feroit pas réformer cela Elle » lui répondit que cela étoit bien loin de fa » fée, & que ce n'eft pas dans les maisons des » pauvres que les régles de l'Architecture doi>vent être obfervées. » La Marquife de Crevecœur qui s'étoit retirée à P. R. où elle fe propofoit de fe faire Religieufe, fit un jour remarquer à la Mere un coin de muraille qui faifoit une grande difformité, qu'il falloit en parler à M. le Duc de Luine, qui y feroit rémédier. » Je vous prie, Madame, répondit-elle, n'en » parlez point. Voyez-vous: il faut perdre ces » yeux de Dame, & cet amour des belles chofes. Si vous êtes Religieufe chez nous, & que » vous deveniez ancienne vous direz votre > avis des chofes felon l'efprit du monde, & puis » vous détruirez ma pauvreté. Je ne veux pas » cela. » Je finirai cet article par l'attention

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XVI.

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qu'elle a eue,& qui étoit chez elle un parti pris
de ne point accroître les revenus de fa maison:
elle s'en expliquoit avec une force & une réfo-
lution à laquelle il falloit céder : elle difoit
qu'elle ne vouloit point que fa maison de-
» vînt riche, & qu'elle fçauroit bien l'empê-
»cher; que ce qui entreroit par une porte, elle
»le feroit fortir par l'autre ; » & elle l'a fait
comme elle le difoit : nous en verrons des traits.
Jamais il n'y a eu chez elle, ni épargne, ni re-
ferve, ni acquifition de fonds : le néceflaire de
la maifon pris, le refte étoit distribué aux pau-
vres. >> Tant que nous ferons
difoit-
pauvres,
elle, Dieu pourvoira à tout: dès que nous ne
>> le ferons plus, Dieu nous laiffera. Ne voyez-
→ vous pas qu'on ne nous fait tant & de fi gran-
>> des aumônes , que parce qu'on nous croit
» vraies pauvres de Jefus Chrift. Elles cefferont
» dès qu'on nous fçaura riches. » Concluons cet
article par la défenfe qu'elle a toujours faite à
fes Religieufes, de jamais rien demander à leurs
parens, ni pour elles-mêmes, ni pour la mai-
fon; afin de faire paffer dans toutes les filles
l'amour de la pauvreté qu'elle avoit elle-même.

Elle avoit auffi un attrait fingulier pour la Son amour mortification, & fon exemple étoit d'un grand pour la morpoids pour la faire aimer à fes filles. Elle s'étoit tification. fait en cachette des chemises d'une groffe toile de filaffe où les chenevottes tenoient encore ; & afin qu'on ne s'en apperçut pas, elle les lavoit elle-même. Une Sœur l'ayant priée un jour de lui donner une haire, elle lui dit qu'elle n'en avoit pas, mais qu'elle lui donneroit une chofe qui la vaudroit bien. Elle lui donna une de fes chemifes; & la Sœur reconnut par l'ufage qu'elle en fit, que la Mere avoit dit vrai. Quoique chargée d'infirmités, elle a quelquefois eu fa chambre.

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