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à coucher dans un grenier, où l'eau dégoutoit à travers les tuiles fur les couvertures, & geloit pendant l'hiver. Au commencement de la Réforme, M. fon pere lui fit bâtir une chambre : il fallut le contenter. Mais elle fe promit bien de la faire fervir de Noviciat, comme elle le fit ; & elle fe mit dans une petite chambre qui fervoit de paffage aux Novices : ce qui l'incommodoit beaucoup, furtout la nuit, lorfqu'elles alloient à Matines & qu'elles paffoient toutes l'une après l'autre, faifant bien du bruit avec les portes : elle difoit depuis que ç'avoit été pour elle une grande tentation d'impatience, lorfqu'elle avoit fa migraine; mais elle fe réfolut de s'accoutumer à toute forte d'incommodités, fans en dire jamais rien. Auffi l'a-t-on vu fe charger volontiers de ce qu'il y avoit de plus pénible en toute rencontre. Une fille ayant un mal au doigt fi douloureux qu'elle crioit jour & nuit, la Mere voulut qu'elle couchât dans fa chambre, afin que d'autres ne fuffent pas incommodées : & craignant que la malade ne fe contraignît pour elle, elle lui difoit de tems en tems pendant · la nuit, » crie, ma fille, crie : ne t'en empêche » point. » Une autre fois étant malade & couchée dans la même Infirmerie où étoit une Sœur auffi malade, mais au point qu'elle ne pouvoit s'aider en rien dans fes besoins, la Mere fe relevoir dès qu'elle entendoit l'autre le plaindre, alloit doucement pour ne pas réveiller la garde des malades qui reposoit, donnoit à la Sœur infirme ce dont elle avoit befoin, attendoit auffi longtems qu'il étoit néceffaire: elle faifoit cela quelquefois plufieurs fois en une nuit. Etant obligée de quitter l'abstinence du Carême, & de faire gras, elle faifoit fon dîner d'un petit morceau de veau bouilli, très-fec, & de fi mau

vaife grace qu'il dégoûtoit à le voir; & elle ne prenoit point le deffert, difant qu'il falloit garder ces douceurs pour celles qui faifoient careme: & le foir elle ne faifoit que la collation du Carême. Elle faifoit de fréquentes retraites pendant lefquelles elle jeûnoit au pain & à l'eau. Elle n'a jamais fouffert qu'on lui fervît autre chofe au Réfectoire , que ce qu'on fervoit à toute la Communauté : & fi cela arrivoit, elle renvoyoit à la cuifine ce qu'on lui avoit apporté, où le faisoit fervit à quelque Religieufe qu'elle croyoit en avoir befoin. Elle fe relevoit fouvent la nuit pour aller prier Dieu dans l'Eglife. Elle n'étoit jamais fans travailler lors même qu'elle parloit aux Sours. Quand elle étoit malade, elle filoit dans fon lit autant qu'elle le pouvoit ; & les derniéres années de La vie qu'elle étoit prefque toujours au lit, elle filoit de même.

On peut dire que l'ame de la réforme étoit la pénitence, que la Mere fe proposoit de faire pratiquer dans fa maifon de la maniére la plus parfaite. Tous les changemens qu'elle faifoit, ne refpiroient que la mortification. Les petites filles qu'on élevoit à P. R. s'en apperçurent, & les plus dévotes fe piquoient d'émulation, & faifoient quelquefois des mortifications à leur façon. Il penfa en coûter cher à deux qui entraînérent la petite Marie-Claire fœur de l'Abbelle dans leur pieux, mais dangereux complot. Elles s'aviférent pour fe mortifier à l'imitation des Religieufes, de cueillir dans le jardin de mauvaises herbes, de les piler & d'en avaler le jus. Une perfonne entre dans la chambre lorfque les deux premiéres avoient pris le breuvage, & que la petite Claire alloit le prendre à fon tour. Celle-ci fut empêchée d'exécuter fon deflein:

les deux autres en furent malades. Je ne rap→ porte ceci que pour faire voir jufqu'à quel point on ne refpiroit, s'il eft permis de parler ainfi, qu'un air de mortification dans tout P. R. tant par les exemples de la maison que par les paroles énergiques de la Mere. Il eft bon de rapporter quelques-unes de fes phrases familiéres. Une Sœur lui ayant dit qu'elle mangeoit trop peu, & que fa fobriété nuifoit à fa fanté : » Je » fuis bien éloignée, dit-elle, d'être fobre; » mais fçachez qu'on rendra compte à Dieu des » bouches oifives, auffi bien que des paroles » oifives. » Une autrefois le Médecin s'entreteDant avec elle, & lui difant qu'il faudroit difpenfer du Carême des perfonnes foibles qui pouvoient rendre de grands fervices à l'Eglife, elle lui répondit en ces termes:» Qui fait pénitence, »fert l'Eglife. Elle difoit aux malades qu'il fal»loit fe fouvenir que pour être malade, on ne

ceffoit point d'être Religieufe & obligée à la » mortification. » Auffi avoit-elle réglé l'Infirmerie de telle maniére que les infirmes y trouvoient tout ce qui étoit néceffaire pour leur foulagement; mais qu'il ne s'y rencontroit rien pour nourrir la fenfualité & pour entretenir la molleffe.

XVII. Son amour pour le filen

Elle faifoit obferver un filence fi exact, qu'excepté le tems de la conférence, on paffoit fouvent des jours entiers fans parler : & lorfqu'on ce. étoit obligé de rompre le filence, elle recommandoit qu'on parlât bas & à demi mot: ajoutant que de parler avec cette circonspection, ce n'étoit pas rompre le filence. Elle fait mention dans fes Lettres d'une carte qu'elle avoit faite, pour demander les chofes néceffaires fans parler. Elle vouloit que lorfqu'on travailloit enfemble dans les obédiences, on tâchât d'imiter

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les premiers Religieux de Clairvaux, dont il eft rapporté dans la vie de S. Bernard, qu'on n'entendoit point d'autre bruit dans le Monaftére que celui des outils dont ils fe fervoient pour leur travail. Mais le filence qu'elle recommandoit, n'étoit pas un filence ftupide, purement extérieur : elle vouloit un filence du cœur, qui confifte dans un grand recueillement & un regard continuel de Dieu. Pour l'entretenir, elle défiroit qu'on n'allât point par la maison fans néceffité; & elle difoit » qu'une Religieufe qui » fort de fa Cellute ou de fon obédience par légereté, ou pour fa propre fatisfaction, rompoit en quelque façon la clôture. » C'étoit dans ce même efprit, je veux dire, pour entretenir ce filence intérieur, qu'elle exhortoit fes filles à ne point faire attention à rien de ce qui fe paffoit dans la maison; à faire chacune ce qui lui étoit preferit, fans fe mêler de ce que faifoient les autres & fans ouvrir les yeux pour le voir. Les conférences qui donnoient la liberté de parler, n'étoient point une occafion de diffipation, ni un obftacle à ce recueillement. On ne s'entretenoit que de chofes capables d'édifier on répétoit les conférences qu'on avoit entendues de quelques Eccléfiaftiques au Parloir. La Mere y lifoit ordinairement quelque hiftoire de l'Ecriture fainte, qu'elle expliquoit d'une manière touchante, ou bien elle faifoit quelqu'inftruction fuivant les rencontres ; & loin de trouver de l'ennui dans ces difcours férieux, on paffoit ce tems-là avec une fatisfaction finguliére: tant la Mere Angélique fçavoit tout faire agréablement, & parler d'un air de perfuafion. Elle alla encore plus loin : elle fupprima dans la fuite en bonne partie cette conférence. Quand le Monaftére vint s'établir à Pa

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ris, il y avoit déja trois ans qu'il n'étoit plus d'ufage de parler & de converfer. L'été elle menoit promener fes filles au jardin, fans que l'on dit un feul mot. Quand on s'étoit promené quelque tems, elle fe repofoit ; & pendant ce temsla elle faifoit quelque lecture dans le N. T. puis l'on fe promenoit encore, & elle congédioit fes filles fans leur rien dire.

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l'humi

Par rapport à l'humilité,'elle ne fe contentoit XVIII. pas qu'on tâchât d'en avoir le sentiment dans le Ses maximes cœur, & qu'on ne fe préférât à perfonne :lité, elle vouloit que le fentiment pafsât au dehors en toute rencontre ; qu'on fût bien aise les que autres nous fuffent préférées dans les affistances & corporelles & fpirituelles ; que chacune eut attention à ne rien faire qui put incommoder le prochain le moins du monde ; » parce que, » difoit-elle, » une perfonne humble s'avife de » tout, quand ce ne feroit que de fermer dou» cement une porte, de ne point faire de bruit, » de ne point prendre une place plus commo» de lorfqu'on fe trouve enfemble, de ne point » fe faire rendre de fervice, & ainfi du refte; » l'humilité confidérant toujours plutôt les au» tres que foi-même. Mais le plus grand point de l'humilité felon elle,étoit de fupporter de bon cœur tout ce qui arrivoit d'humiliations, quelles qu'elles fuffent. Ici elle prêchoit plus d'actions que de paroles. Nous verrons à quel point elle édifia par cet endroit, dans les traitemens abfurdes que les Meres de Dijon lui firent, qu'après la démiffion elles eurent le gouverne ment de la maison : & encore dans la conduite pleine de hauteur & d'infolence, que tint à fon égard dans la nouvelle maifon du S. Sacrement une jeune Postulante, qui étoit foutenue dans fes écarts par l'Evêque de Langres. N'ou

lors

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