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blions pas la fidélité qu'elle avoit après la dé miffion, à fe mettre à genoux devant l'Abbeffe nouvelle, lorfqu'elle avoit à lui parler & à lui demander les permiffions avec la même fimplicité que feroient les autres Religieufes. Üne autre maniére de pratiquer l'humilité, selon la mere Angélique, c'étoit d'être attentive à profiter de mille petites occafions de fe mortifier & de faire d'autres bonnes œuvres qui ne paroiffent pas. Elle avoit toujours retenu la maxime de S. François de Sales, fous la direction duquel elle avoit été, » que pour être parfait, » il ne falloit point faire de chofes fingulières, » mais qu'il falloit faire finguliérement bien » les chofes communes. » Elle ne craignoit rien tant que de laiffer perdre le mérite du peu de bien qu'on fait, en le laiffant venir à la connoiffance du public, fuivant la maxime de M. de S. Ciran : » Qu'il faut mourir à la bonne >> œuvre & ne s'en pas fouvenir foi-même.»>Une Religieufe tenoit un petit régiftre des paroles remarquables de la Mere, Čelle-ci l'ayant une fois furprise écrivant, elle l'en reprit trèsfortement, & lui commanda de bruler le papier fur le champ; elle lui dit entr'autres chofes, >>que c'étoit une mifére de ne fçavoir pas fe >> contenter du S. Evangile qui contient les pa→ roles de la vie éternelle, qui ont converti » tant d'ames à Dieu, qu'on le fentoit quelquefois plus touché de quelques paroles » qu'une miférable créature comme elle disoit, »que des vérités effentielles dont le S. Evangile >>eft tout rempli fur lesquelles on ne fait point réfléxion ; & que c'étoit un piége & une >> tentation du Démon. » Autant elle étoit en garde contre la gloire qui pouvoit lui revenir du bien qu'elle faifoit pendant la vie, autant

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elle craignoit qu'on ne parlât d'elle après fa mort, comme elle avoit vu qu'on avoit fait de quelques-unes des plus excellentes Religieufes qui étoient mortes: fon humilité lui mit un jour dans la bouche une parole bien finguliére; elle dit » qu'elle fouhaiteroit de tout fon cœur » tomber en enfance avant que de mourir, afin » de n'être pas pleurée après la mort. »

Quant à l'humilité intérieure qui consiste à avoir de bas fentimens de foi-même, elle avoit grand foin de prévenir les filles fur un écueil très-dangereux, qui eft le découragement & le trop grand abbatement du cœur pour les fautes qu'on commet. Elle enfeignoit qu'il fuffit de fe relever à chaque faute qui arrive, & de fe confier humblement en la miféricorde du Seigneur. Elle avoit pour principe que tout coopére au bien des ames qui aiment Dieu; que leurs fautes mêmes contribuent à les rendre plus humbles, plus vigilantes, plus dépendantes du fecours de Dieu. Auffi elle difoit que pour porter jugement d'une fille, il ne falloit pas tant confidérer fi elle faifoit peu ou beaucoup de fautes, mais qu'il falloit obferver plutôt de quelle mas niére elle s'en relevoit, fi elle recevoit avec docilité les avertiffemens, fi elle étoit foigneufe de fatisfaire pour les fautes, & attentive à s'en corriger.

XIX.

Sa grande charité d'a

envers

La charité pour le prochain alloit de pair avec toutes les autres vertus dans la perfonne de la Mere Angélique. Elle étoit d'une activité ad- bord mirable, fur tout pour le fervice des malades. les malades. Elle les vifitoit fouvent & avec grand fruit ; car elle avoit un don tout particulier pour confo ter. Elle leur rendoit elle-même toute forte de fervices, même les plus bas ; & en faifoit tour autant pour la fille la plus pauvre de la maison

que pour les Sœurs les plus diftinguées. Ce fut pour être plus en état d'être utile aux malades, qu'elle voulut apprendre à feigner: ce qu'elle faifoit depuis en toute occafion, le jour & la nuit avec un grand zéle. Elle fe regardoit comme la premiére Infirmière, & ne quittoit prefque point les Infirmeries. Elle veilloit fouvent elle-même les malades. Les petites véroles, la diffenterie, les maladies contagieufes ne l'effrayoient point, & ne l'empêchoient pas d'être toujours auprès des malades, de coucher auprès de leur lit. Pour exprimer le bonheur qu'il y a à fervir les malades, elle avoit fouvent à la bouche ces deux paroles: J. C. fervi, & J. C. fervant. Un jour on la chercha très-longtems dans la maifon pour une affaire où fa présence étoit néceffaire; on ne fçavoit ce qu'elle étoit deve nue à la fin on la trouva qui étoit affise fur les pieds d'une Sœur converse, pour arrêter par le poids de fon corps le tremblement extraordinaire où la fiévre avoit mis cette Sœur : enforte qu'elle étoit enfermée fous les rideaux de cette pauvre infirme, expofée à l'haleine groffiére & mal-faine de la malade.

Une Religieufe ayant un Panaris au doigt, qu'il fallut ouvrir parce que l'os étoit carié, la Mere Angélique dit au Chirurgien, qu'elle le prioit de panfer ce doigt-là, comme si c'étoit celui de la Mere Abbeffe : & parce qu'il ne pouvoit pas venir affez fouvent, elle le pria de montrer à une des Seeurs de la maifon la maniére de le panfer. Cette Sœur ne fit pas comme on lui avoit montré, de forte que quand le Chirurgien revint, il trouva le mal beaucoup empire, & fut contraint de rouvrir le doigt. Lorfla Mere Angélique vit cela, elle dit qu'il n'y auroit plus qu'elle qui le panferoit en l'ab

que

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fence du Chirurgien ce qu'elle fit ; & dès la premiére fois toutes les douleurs de la malade, qui étoient horribles, cefférent, & le doigt fe referma en peu de tems & guerit tout-à-fait.

Voici un trait remarquable de fa patience envers une malade d'une espéce finguliére. C'étoit une Soeur qui réuniffoit en elle un amour plein de refpect pour la Mere, & des accès d'emporte ment & d'infolence incroyables à fon égard. Elle vomiffoit contre elle les injures les plus atroces; elle en vint une fois jufqu'à lui donner un foufflet en présence de deux autres perfonnes, qui furent témoins de la douceur & de la tranquillité de la Mere, en qui il ne parut pas la plus légére émotion. Une autre fois la Mere étant debout, cette Sœur emportée comme par une furie, embraffe fes jambes, les tire violemment, & la fait tomber de la hauteur à la renverfe fur la tête, d'une telle roideur qu'on n'a jamais douté que fans une protection visible de Dieu, la Mere ne dût être tuée sur l'heure. Elle ne fut point bleffée, & elle se releva tranquille ment, comme s'il ne lui étoit rien arrivé. Com me dans ces états il paroiffoit dans la Sœur des traits d'irreligion & d'impieté, quoique hors de-là ce fut une bonne fille, on a toujours cru, & la Mere le penfoit de même, que c'étoit un efprit étranger qui tourmentoit cette pauvre fille, & dont Dieu fe fervoit pour éprouver la patience de la Mere. Cette épreuve dura dix ans ; & la Mere ne fe laffa point de la fupporter.

XX.

Sa charité

Sa charité étoit la même à proportion pour les fains que pour les malades. Elle en avoit un envers le profoin incroyable: elle leur rendoit dans l'occa- chain, fur fion tous les fervices qui fe préfentoient. Elle bien fpirituel. tout pour fon prenoit fouvent la peine elle-même de faire le feu après Matines, pour chauffer les Sœurs ; & Tome I.

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s'il arrivoit que quelqu'une ne s'y rendit pas, elle alloit la chercher. Elle faifoit auffi le linge & les habits des Sœurs, autant qu'elle en avoit le tems. Elle alloit quelque fois à la cuifine goûter ce que l'on apprêtoit, & l'affaisonnoit, Forfqu'il y manquoit quelque chofe. Trouvant un jour une portion qu'on apportoit à une Po ftulante convalefcente,qui lui parut fort dégoû tante, elle fit appeller la cuifiniére, & lui reprocha fon peu d'égard. La cuifiniére qui crut que c'étoit à la Mere qu'on avoit apporté cette portion, voulut s'excufer fur ce qu'elle n'avoit pas été avertie que c'étoit à la Mere que la por. tion étoit deftinée; alors elle reçut bien d'autres reproches de ce qu'on croyoit n'être pas O bligé de faire auffi bien pour la derniére des Sœurs comme pour la Mere Abbesse.

Elle ne recommandoit rien tant que d'être toujours prêt à aider les autres, & à leur rendre fervice. Elle vouloit qu'on préférât ces devoirs de charité à toutes les dévotions particuliéres : qu'on fit le facrifice d'un tems qu'on fe feroit ré fervé pour lire ou écrire de bonnes chofes, au fervice que quelque Sœur demandoit de nous; quand bien même il ne refteroit plus de tems pour faire ce qu'on avoit envie de faire. Quoi qu'elle craignit beaucoup les entrées des perfonnes féculiéres dans la maison pour y faire des retraites, à cause de la diffipation que cela pouvoit apporter, elle vouloit cependant que l'on ne refufat point les perfonnes de qui on avoit lieu de bien préfumer; difant qu'alors la charité devoit être préférée à la régularité; qu'il ne falloit point avoir de peine à donner quelque chofe de fon tems, quelques affaires qu'on eût d'ailleurs, pour entretenir & même divertir un peu ces bonnes Dames, parce que la charité fupplée à tout,

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