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avoient été racontés avant l'événement, Quand un homme du poids de M. Nicole atteste une chofe qu'il fait par lui-même, il feroit dérai fonnable de la révoquer en doute. Or il feroit bien difficile d'attribuer à un pur hazard des fonges auffi circonftanciés que ces deux-ci, & que l'événement a vérifié aufli exactement. Vois ci le premier de ces fonges prophétiques.

Une Religieufe vit en fonge la Communauté de P. R. à Paris dans le jardin. L'heure vint de retourner au Monaftére pour quelqu'exercice. Les Religieufes furent bien étonnées de voir qu'entre elles & le Monaftére il y avoit un foffé rempli de fange & de boue. Il y avoit fur ce large foffé un pont de bois, mais tellement pourri, qu'on ne pouvoit y paffer, fans courir rifque de tomber dans le foffé. Les Religieufes fe retiroient très-affligées de ne pouvoir pasfer. Mais tout à coup furvint un homme armé d'un gros bâton, qui les frappoit & les meurtriffoit de coups pour les obliger de paffer. Le plus grand nombre perfévéra dans leur réfiftance: elles furent tiraillées & brifées de coups; & en cet état elles fe retirérent fous un arbre dų jardin, où la Mere de Ligni les accueillit & les confola. Celles qui hazardérent de paffer fur ce pont, furent 8. ou 9. Religieufes, qui tombérent dans le foffé, d'où elles fortirent pleines d'une boue noire & affreufe à voir. Il faut avouer que le tableau eft parlant. L'homme au bâton eft M. de Péréfixe. Les Religieufes pleines de boue font celles qui fignérent & à qui la maifon fut livrée. Les Religieufes fous un arbre avec la Mere de Ligni, font celles qui n'ont pas figné & qui furent envoyées à la maifon des Champs avec leur Abbesse la M. de Ligni, comme on le verra dans la fuite. Le

pont de bois pourri, ce font les mauvaises raifons pour porter à la fignature; & le foffé plein de boue eft la fignature.

L'autre fonge reffemble beaucoup à ce premier. Il arriva un jour que les Religieufes anciennes racontant à la conférence après le dîner, les maux que le P. Annat faifoit au Monaftére; à ce mot une Religieufe affez jeune s'écria: Ah! c'eft lui qui m'a été montré dans un fonge. Je vis, dit-elle, un homme monté fur un chariot emporté par des chevaux, qui defcendoient avec fureur du haut de la defcente qui eft au-deffus du Monaftére des Champs. Ce chariot renverfa murailles, bâtimens, enfin tout ce qui fe préfentoit à fa rencontre. La Religieufe en peine de fçavoir qui étoit cet homme cruel qui faifoit ce ravage, entendit une voix qui dit : C'eft Annat. Or elle ne connoiffoit ni le nom ni la perfonne du Jéfuite.

XXXIV.

Chute de

quatre autres Sours: fer

L'Archevêque avoit donné le terme de 12. jours aux Religieufes pour fe déterminer à la fignature. Dans cet intervalle elles eurent la douleur de voir tomber quatre autres de leurs meté de tout Sœurs, Jaqueline, Melthide, Candide & Gertru- le refte. de Robert. Une autre Gertrude céda auffi dans la fuite, Gertrude Dupré, laquelle étoit en exil à S. Denis. L'affliction de la Communauté fut extrême, parce que, fi on en excepte la premiére, c'étoient des filles fort eftimées dans la maifon & très-édifiantes. Nous verrons dans la fuite les cafcades que firent quelques-unes de ces filles, fe rétractant de la fignature, fignant de nouveau puis fe rétractant une feconde fois. Si ces chutes affligeoient, on étoit finguliérement confolé par les difpofitions pleines de foi & de générofité qui paroiffoient dans prefque toutes, & qui éclatoient éminemment

,

la

en quelques-unes. Je ferai mention fpéciale ment de la Sœur Liée, Madame de Chazé, vertueufe veuve, dont je parlerai dans la fuite. Voici ce qu'en difent les Relations. Elle a plus de force & de vigueur dans la foibleffe de fon âge que toutes les Sœurs ensemble. » Elle ne fauroit prefque marcher, même lorf» qu'on lui aide, à caufe qu'elle a eu une cuiffe » rompue. Cependant la Mere Eugénie l'alla » voir il y a quelques jours. La veuve lui paravec une force incroyable, & voulut après » cela la conduire jufqu'à la porte de fa cham »bre, en fe faifant conduire elle-même. La »Mere Eugénie voulut l'en empêcher, & lur » dit qu'elle auroit trop de peine. A quoi cette » généreuse femme répondit: C'eft pour m'a» guerrir, ma Mere, que je le fais. Il faut bien » que j'apprenne à marcher, pour aller où l'on voudra m'envoyer. Tout impotente que vous ɔɔ me voyez, je fuis toute prête à partir, quand il plaîra à M. de Paris ; & il n'y a rien » que je ne fois difpofée à endurer pour la vé

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» rité. »

la Mere

Ce fut pendant ces 12. jours que Eugénie entreprit de faire un acte de fupério rité, qui étoit plus que de Supérieure de filles, & qui étoit proprement un acte de Prêtre. Elle fe mit fur le pied d'interdire de la Communion quand & qui il lui plaifoit. On lui apportoit la table fur laquelle s'étoient fait marquer les perfonnes qui fouhaitoient communier, & elle rayoit les noms qu'elle jugeoit à propos: pour éviter le fcandale, on étoit obligé de ne pas paffer outre. Surquoi la Sœur Marguerite Hamelin faifoit cette réflexion également naturelle & fenfée. » C'eft une chofe admirable de >> voir les effets de la fignature; les folles paf

fent pour fages quand elles ont figné, & les fages pour folles quand elles ne le veulent pas faire. Dormez, parlez, mangez, buvez, divertiffez-vous tant que vous voudrez; pour →vu que vous ayez figné, vous êtes toujours en état de communier. Enfin au lieu de dire avec →S. Auguftin: Aimez & faites ce que vous vou drez; il faut dire : Signez & faites tout du pis que vous pourrez, & tout fera toujours » fort bien.

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Rien n'approchoit de l'exceffive vigilance de cette même Mere Eugénie pour éclairer toutes les actions des Religieufes. Elle les faifoit épier fans ceffe fes émiffaires : elle les fuivoit des yeux par par tout autant qu'elle le pouvoit. Dans la lectu re du réfectoire elle avoit interdit beaucoup de bons livres qu'elle croyoit dangereux, parce qu'il lui fembloit ces livres affermiffoient que encore les Religieufes dans leur prétendue rébellion. Elle en vint jufqu'à fupprimer la vie des Saints pour cette raifon; furtout celle de certains Saints particuliers compofée par M. Andilli, que M. de la Brunetiere Grand-Vicaire appelloit par une mauvaise plaifanterie les Saints mutins de M. d'Andilli.

XXXV.

Juftification des Religieu fes fur quel

ques vivacités

indifcré

De tout ceci il réfultoit une fituation extrêmement pénible pour les Religieufes. Les excès de la Sœur Flavie mettoient le comble à l'afflition. Jufque-là elle avoit caché fon jeu, & avoit fçu affez bien fe contrefaire. Elle avoit & une converfation affectueufe & pleine de dé- tions échapmonstrations. Avec les Soeurs les plus fermes pées. elle parloit de la fignature comme d'une chofe qu'elle n'oferoit pas condamner dans celles qui la feroient, proteftant qu'elle ne condamneroit pas non plus celles qui la refuferoient par délicateffe de confcience. Elle ufoit auffi d'un tem◄

pérament artificieux quand elle parloit des Meres de Sainte Marie & de M. Chamillard, avouant plufieurs chofes fur lefquelles les Sœurs fe plaignoient de ces perfonnes, les excufant en même tems & relevant leurs bonnes qualités. Mais il n'en fut pas de même après la fignature; elle ne gardoit plus de mesure, & déclamoit avec la derniére indécence contre les Directeurs anciens de la maison & contre la conduite précédente de P. R. Une Religieufe, nommée Jeanne de la Croix, en fut un jour fi pénétrée, qu'elle fe laiffa aller à une efpéce d'emportement qui marquoit de l'averfion. On lui fit une douce remontrance, & on la ramena peu à peu à des fentimens de charité & de douceur. Elle alla fe profterner devant le tombeau de la Mere Angélique, pour s'humilier de fa faute & demander à Dieu la vertu de la tolérance : & fur le champ l'occafion s'étant préfentée, elle rendit à la Sœur Flavie de bon cœur un service dont elle avoit befoin. Mais en même tems que la grace agiffoit fur fon cœur, elle laiffa la douleur agir fur fon corps: elle fut frappée fubitement d'apoplexie, perdit la parole & la connoiffance, & mourut après que M. Chamillard lui eut donné l'abfolution & les Saintes-Huiles. Elle difoit fouvent depuis plufieurs jours qu'elle fentoit un morceau fur fon eftomach qui l'étouffoit, & qu'affurément elle en mourroit.

Je ne dois pas différer plus longtems de faire une obfervation fur plufieurs traits d'indifcrétion & de zéle un peu amer, qui ont échappé de tems en tems à ces bonnes Religieufes, & qu'elles n'ont pas même diffimulé dans les Relations où on les trouve écrits. Elles ont quelquefois parlé à leurs Supérieurs, à l'Archevêque & autres, avec une force & une liberté, qui pa

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