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XXII.

Sa charité envers les pauvres.

Nonobftant cet état d'infirmité habituelle, fa Mere lui fit faire fa nouvelle profeffion pour P. R. au bout de 18. mois, & n'a pas ceffé depuis de prendre d'elle tous les foins imaginables. Joignons à tout ceci deux petits traits vraiment aimables de condefcendance, qu'elle fit paroître envers deux Novices ou Poftulantes. Pour l'une, elle s'affujettit à aller tous les jours avec elle prier Dieu devant les. Sacrement pour lui recommander la démarche qu'elle faifoit d'entrer en Religion: & pour l'autre à qui il furvint un mal de jambe confidérable, qui lui fit craindre de n'être pas reçue en Chapitre fi on le fçavoit, la Mere voulut bien fe charger de panfer elle-même fon mal tous les jours fecretement, fans que perfonne en fçût rien; afin que cela ne lui fit point de tort pour fa réception.

La charité de la Mere n'étoit pas renfermée dans l'enceinte de fa maison: elle s'étendoit au dehors. Elle a eu toute fa vie un amour finguHier pour les pauvres. Il y en avoit beaucoup dans pays au commencement de la Réforme. Elle leur procuroit du travail, fecondée par M. fon pere qui étoit auffi fort charitable, & qui fit retablir les murs de la Clôture, pour occuper ces pauvres & leur procurer l'entretien fans fainéantife. Elle pourvoyoit auffi à leurs befoins fpirituels elle leur faifoit faire une lecture de piété, pendant qu'elle leur faifoit donner à dîner dans le jardin. Quand la maifon de P. R. fut établie à Paris, & que la Communauté y fut transférée, la M. Angélique y apporta cette même charité compatiffante pour les pauvres & attentive à les foulager. Mais elle n'oublia pas les pauvres des Champs. Elle apprit que depuis la fortie des Religeufes de la maifon des Champs les pauvres y étoient dans une extrême nécefité:

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elle vendit deux chandeliers d'argent de l'église pour les affifter; & une perfonne ayant fait une aumône confidérable au Couvent, elle l'envoya auffi pour la même fin. Elle a assisté dans le befoin un très-grand nombre de perfonnes dont elle avoit eu connoiffance par quelque rencontre, ou qui s'adreffoient à elle fur la simple réputation qu'elle avoit d'être la mere des pauvres. Elle avoit une joie extrême lorfqu'elle pouvoit retrancher quelque chose de ses befoins ou de ceux de fes filles, qui s'en privoient de bon cœur, pour accommoder ces pauvres perfonnes. Un jour elle emporta une courte-pointe de bonne ferge grife du lit d'une Sœur, pour en faire faire un manteau à un Soldat aux Gardes, qui en avoit grand befoin: c'étoit le fils d'un pauvre Gentilhomme qu'elle nourriffoit avec fa femme & cinq enfans depuis plufieurs années. Dans le tems qu'elle amena fes 30.Filles de Maubuiffon avec 5oo. 1. de rente pour toute la troupe, comme nous le verrons en fon lieu ; quoique la maifon n'eût que 8000. liv. de revenu pour 54. Religieufes dont la Communau té étoit alors compofée, elle eut affez de courage pour prêter à un Bourgeois de Paris une fomme de 2000. livres, qu'elle venoit de recevoir pour une nouvelle Profeffe. Le Bourgeois s'en aida pour acheter une maison & arranger fes affaires : il fe donna le tems de pourvoir fes enfans, & ne rembourfa que peu à peu le Couvent. On l'a vue une autre fois transporter à un Couvent de Province [ les Urfulines de Bazas, en 1655.] qu'elle avoit appris être dans la néceffité, un fonds de trente mille livres en maisons, dont un M. de Quincarnon de Bazas venoit de faire donation par Teftament à la Communauté de P. R. Elle ne fut point arrêtée. Cs

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par l'état étroit où étoit alors fa propre maifon, qui fe trouvoit au dépourvu d'argent ; enforte que l'homme d'affaire de P. R. arriva chez le Notaire pour faire un emprunt, dans le tems même qu'il dreffoit l'acte de tranfport de cette groffe fomme au Couvent de Province. Elle échangea une autre fois de beaux Crucifix de bronze qui étoient dans quelques cellules, con. tre d'autres très- médiocres, & envoya l'argent aux pauvres Urfulines du Canada, dont elle avoit oui parler, & qui étoient dans une grande difet te. La réponse & le remercîment que lui firent ces Religieufes, étoient conçus en ces termes : Il faut, M. R. M. que votre charité s'étende » bien loin, puifqu'elle paffe plufieurs mers » pour parvenir jufqu'à nous. » En un mot, elle n'apprenoit aucune néceffité, qu'elle n'y pourvût autant qu'elle le pouvoit ; & quand elle n'avoit pas de quoi le faire, elle procuroit quelqu'afliftance de la part de quelques perfonnes de condition de fes amis.

Elle s'eft chargée plufieurs fois de pauvres enfans pour les faire nourrir & élever, payant des mois de nourrice & des penfions. Il n'eft pas croyable combien de pauvres familles, & à P.R. de Paris,& à P.R. des Champs fubfiftoient des charités de l'une & de l'autre maison. Celle des Champs a eu long-tems un Médecin & un Chirurgien, qui n'avoient prefque d'autre occupation que de traiter les pauvres malades des environs, & d'aller dans tous les villages leur porter les remédes & les autres foulagemens néceffaires. Il y avoit au dedans du Couvent une efpéce d'Infirmerie, où les pauvres femmes du voifinage étoient faignées & panfées par les Sœurs. Souvent c'étoit la Mere elle-même qui les faignoit, & elle mettoit des piéces de monnoie dans les compreffes. Dans le tems des guer

res de Paris, on envoya à P. R. D. C. un pauvre homme, un petit garçon & deux petites filles qu'on ne pouvoit plus nourrir à la maifon de Paris, à caufe de la grande difficulté d'avoir des vivres. La Mere donna fes ordres pour qu'on eût bien soin du bon homme & du petit garçon au déhors ; & elle fit entrer les deux petites filles au dedans. Elle nettoya l'une de la vermine, dont elle avoit une horrible quantité, tuant les infectes de fes propres mains: l'autre étoit toute pleine de galle à la tête; la Mere lui couauffi elle-même les cheveux, ratiffa fa galle, & la panfa jufqu'à ce qu'elle fut guérie. Elle fçut une fois que le frere d'une Religieufe qui étoit un jeune enfant, avoit gagné un mal dangereux : elle le fit amener, & le fit traiter un an par charité, jufqu'à ce qu'il fut guéri, & enfuite elle lui fit apprendre un métier.

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Il venoit fouvent de pauvres femmes qui n'avoient point de chemises: on lui amenoit de pauvres enfans qui étoient tout nuds ; elle couroit dans les obédiences, & prenoit le linge qu'elle y trouvoit fous fes mains, fans s'embarraffer fi ce linge n'étoit pas néceffaire ; & fi elle étoit furprife dans cette innocente pillerie par quelque Sœur, elle prenoit le ton de fuppliante, & demandoit comme par grace qu'on lui laiffat emporter, promettant d'en remettre d'autre au plutôt. Au lieu de tous ces ouvrages frivoles, ou l'induftrie de la plupart des autres Religieufes s'occupe pour amufer la curiofité des perfonnes du fiècle, on étoit furpris de voir avec quelle adreffe, quelle patience, les filles d'une Abbeffe auffi charitable fçavoient_ramaffer jufqu'aux plus petites rognures d'etoffe, & en faire des tiffus & comme de nouvelles piéces d'étoffe, pour en revêtir des enfans & des fem

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mes qui n'avoient point d'habit. On lui a quel quefois repréfenté qu'elle étoit trompée par les pauvres qui feignoient des befoins qu'ils n'avoient pas,ou par des familles qui demandoient à faire recevoir leurs filles Religieufes fans rien donner, fe difant pauvres ; & qui, lorfque les filles n'étoient point admifes après l'épreuve de la Poftulance & du Noviciat, fçavoient bien trouver de l'argent pour les faire Religieufes ailleurs. Elle répondoit qu'il valoit mieux être trompé en cette forte, que de l'être en ne rendant pas la charité, quand Dieu en préfentoit l'occafion. J'ajouterai, pour achever cet article de l'amour des pauvres, que la Mere aimoit à les recevoir elle-même: ils étoient toujours les bien-venus: elle les écoutoit avec plaifir; elle les confoloit avec une onction admirable. Je réferve à un autre lieu la belle charité qu'elle fit dans le tems des guerres de Paris en 1649. & 1652.

Cette tendreffe & cette libéralité envers les Son défin- pauvres n'étoit pas feulement l'effet d'une hutéreflement meur naturellement compatiffante, qu'elle avoit au fujet des apportée en venant au monde, elle provenoit Dots, d'un efprit de défintéressement qui étoit en elle au-delà de ce qu'on peut s'imaginer, joint à une foi & une confiance fans égale en la Providence. C'est ce qui a paru par bien des endroits, & d'abord par la conduite qu'elle a toujours tenue au fujet des dots. Elle n'a jamais voulu entendre parler ni de contrat, ni de convention tacite pour les filles qu'on recevoit. Si on trouvoit la vocation véritable, la Mere faifoit avertir les parens, que leur fille étoit admife à la profeffion. La profeffion faite, s'ils étoient riches, elle recevoit comme une aumône ce qu'ils donnoient: mais elle mettoit

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