Images de page
PDF
ePub

ra tout à la fœur, qui vaincue par l'héroïque générofité de la Mere, fit fa profeffion; heureu fe fi elle y avoit répondu jusqu'au bout !

J'aurois pu me contenter d'un ou de deux exemples, fans m'étendre autant que j'ai fait, Mais quoique ce foit toujours le même fond de défintéressement, il y a cependant quelque varié té par les différentes formes, fous lefquelles il fe montre ; & cette variété fert à le relever. C'eft pourquoi je raconterai encore celui-ci, qui a quelque chofe de fingulier. Une Dame de Cré vecœur qui s'étoit retirée à P. R. & fe proposoit d'y être Religieufe, avoit amené une fille qui étoit auprès d'elle depuis quatre ans, & l'avoit préfentée à la maifon pour y être reçue Po→ ftulante.Sur la fin du noviciat, la Dame deman→ da à cette fille, fi ces parens ne voudroient pas bien donner quelque chofe. Comme il n'y avoit pas d'apparence de rien tirer de ce côté-là, & que la Dame fe feroit crue obligée de payer pour la fille en ce cas, elle fonda la fille, pour fçavoir fi elle ne confentiroit pas volontiers à n'être que Converfe.Quand la Mere fçut tout ce petit détail, elle fe fâcha très-férieufement; & voici comment elle parla à la perfonne qui lui avoit dit la chofe: »M'a-t'on jamais vu mar → chander une fille? Eft-ce l'argent qui donne → vocation pour être Religieufe? Madame de » Crévecœur m'a d'abord témoigné souhaiter

qu'elle fût Religieufe de Choeur; & à préfent » qu'elle fe croit obligée en quelque maniére, » de donner quelque chofe pour cette fille, elle » veut qu'elle foit Converfe: il n'en fera rien: je n'ai que faire de fon argent.: Nous en » avons reçu plufieurs avant que cette Dame fût » à la maison; & cette derniére fera plutôt reçue qu'elle avec tout fon argent. » La chofe

[ocr errors]

fe fit ainfi. Un tel procédé fait bien fentir à quel point la Mere Angélique étoit faintement jaloufe, de fe conferver toute entiére la gloire qu'el le avoit devant Dieu, de recevoir des filles fans dot, comme S. Paul l'étoit de celle d'annoncer l'Evangile fans aucun intérêt temporel.

J'ajouterai encore ce trait-ci à tous les autres. Deux filles qui étoient fours, fe préfentérent pour être Religieufes. L'une avoit mille écus, qui lui avoient été donnés par fa marreine; l'autre n'avoit rien du tout. Elles furent reçues toutes deux au noviciat, & toutes deux prirent l'habit. Mais on ne trouva pas la même vocation dans toutes les deux. Celle qui avoit les mille écus, fut reçue à la profeffion, & celle qui n'avoit rien, fut renvoyée: mais on lui donna les mille écus de fa fœur. La Mere étoit auffi dans l'ufage de payer aux Poftulantes Converfes, qui n'avoient point de bien, & qu'on étoit obligé de renvoyer, ce qu'elles auroient gagné dans le monde, fi elles y étoient restées.

Une derniére face fous laquelle le montre fon défintéreffement au fujet des dots, c'est la conduite qu'elle tenoit à l'égard des fujets, qui entroient étant maîtres de leurs biens, & qui fouhaitoient faire des donations à la maifon avant que de faire profeffion. J'en rapporterai feulement deux ou trois traits. Le premier regarde Madame de Chazé-Champigni, dont nous parlerons en plufieurs endroits. Après quelques années d'épreuve qu'avoit fait cette pieufe veuve, la Mere ufa de plufieurs détours pour la diffuader de s'engager à P. R. lui confeillant plutôt de fe faire Religieufe à Poitiers, où elle avoit deux filles Religieufes. Son vrai motif étoit qu'elle craignoit la donation que cette Dame feroit de fon bien, qui étoit confidéra

ble, à P. R. & qu'elle vouloit que le Couvent de Poitiers en profitât plutôt que P. R. La Dame cependant demeura à P. R. mais la Mere difputa fi bien le terrain, que de 40000. écus dont la Dame avoit à difpofer, elle fut obligée d'en donner une partie au Couvent de Poitiers, & une autre au Couvent de Beauvais, pour trois de fes niéces qui y étoient Religieufes; & ne put faire accepter à la Mere que 18000. liv. Le

deuxième trait, eft celui de Mademoiselle de Ligny, qui a été la Mere Madeleine de fainte Agnès, une des faintes Abbeffes de P. R. Etant Novice, elle demanda conseil à la Mere fur une penfée qui lui étoit venue, de fuivre l'avis que donne S. Jérôme à des Vierges, de fe dépouiller de leurs biens, & de le donner aux pauvres. Cette fage Mere lui fit réponse, que cela demandoit de la réflexion, & qu'elle devoit beaucoup prier Dieu pour mériter de connoître fa volonté. Quelque tems après elle lui confeilla de fe contenter de donner aux pauvres ce que fes parens, qui étoient très-gens de bien, lui permettroient de donner: elle mit cette condition, qu'elle ne donneroit rien du tout au Monaftére, parce que Madame fa mere avoit déja fait en confidération d'elle, une donation au Monaftére. Ce n'eft pas tout. Quelques jours avant la profeffion, la Mere apporta à la fœur de Ligny un papier en forme de teftament, qu'elle voulut lui faire figner, par lequel elle faifoit déclarer à la fœur, que comme fa défunte mere avoit fait quelques aumônes à la maison, elle défiroit qu'on reçût à perpétuité deux filles pour l'amour de Dieu. La Novice rejetta bien foin la propofition, & tint ferme pour ne point impofer de charges à une maifon qui lui faifoit la grace de fe charger d'elle. Le troifiéme trait re

garde une Novice, qui n'ayant ni pere ni mere, avoit affaire à des parens, qui prenoient fort mal le deffein qu'elle avoit de donner au Couvent le peu de bien qui lui appartenoit, difant quec'étoit les deshériter. La fille nonobstant les remontrances de la Mere Angélique, s'efforça de leur faire entendre raifon, & différa longtems fa profeffion pour cette raison. Comme clle ne gagnoit rien, la Mere la preffa fortement de paffer outre, & de laiffer-là cette affaire par un motif finguliérement chrétien.» Quand vous » réussiriez, lui dit-elle, à déterminer ces Mef» fieurs à force de follicitations, ce ne feroit » de leur part que par des vues humaines de ref » pect humain, de confidération pour vous & » pour le Couvent, qu'ils confentiroient à cet

[ocr errors]

te donation. Il ne faut jamais exciter les » gens à faire une bonne œuvre par des motifs » humains: & un Couvent qui eft la maison de » Dieu, ne doit recevoir rien qui ne vienne de » Dieu, & non de l'homme. »

Cet efprit de défintéreffement produifoit dans la Mere Angélique, la patiente tranquillité avec laquelle elle prenoit tous les malheurs qui arri voient au temporel de la maison. Le feu prit un jour au petit P. R. qui étoit une groffe Ferme du Monaftére. Comme cet accident arriva un Dimanche pendant la Meffe,il n'y avoit à la maifon qu'un petit garçon, qui n'eut pas l'efprit de demander du fecours au voisinage.Ily eut beaucoup de perte: car outre le bâtiment & les fourrages qui furent prefque tous brûlés, il périţ quantité de bétail, cinq chevaux, des vaches, & beaucoup de linge de ménage. On pria M, Arnaud d'annoncer cette fâcheufe nouvelle à la Mere: il le fit avec le plus de ménagement qu'il put, pour ne la pas trop effrayer. Elle l'enten

XXV.

de la Mere

qui pourvoir

à tout.

dit tranquillement,& lui dit enfuite: » hé bien ! » eft-ce-là tout ce que vous avez à nous dire? Dieu foit loué de ce qu'il n'y a eu perfonne » de brûlé; tout le refte eft peu de chose, & je ne m'en puis affliger. » Elle montra le même fang froid dans l'accident du troupeau, qui fut ravagé par le loup. Ce fut encore M. Arnaud qui fe chargea de lui dire la chose. » J'a» vois envie, dit-elle, d'envoyer à la foire » acheter encore des moutons, penfant n'en >> avoir pas affez; mais Dieu a trouvé que nous » en avions trop, ayant envoyé cette nuit le loup dans notre troupeau. » Elle fit auffitôt diftribuer aux payfans tous les moutons bleffés; & ce fut une grande fête pour eux; car il n'y avoit fi pauvre ménage où la broche ne tournât.

Voici quelques traits finguliers, qui monTraits fingu trent tous enfemble la foi généreufe & défintéliers de la foi reffée de la Mere Angélique, & l'attention de Angélique, & la Divine Providence à la récompenfer. Un jour de la Provi- elle fit donner un écu à un pauvre Prêtre Irlandence divine dois qui retournoit dans fon pays: c'étoit prefque tout ce qui reftoit d'argent au dépôt. Un moment après, M. Pinon Doyen du Parlement, oncle de la Mere Abbeffe, vint lui apporter cent écus: c'étoit tout juftement le Centuple. Elle fit rappeller le Prêtre, & lui en donna la moitié, difant » qu'il étoit bien jufte de partager » avec lui cette aumône, puifque c'étoit en fa သ confidération que Dieu l'avoit envoyée. Une autrefois n'ofant demander de l'argent à la Célériére dans un befoin extrême , parce qu'elle fçavoit qu'elle n'en avoit point, elle fe mit en priére;& dès le jour même, un ami de la maison lui fit préfent de deux mille livres. Dans une autre rencontre où elle avoit befoin de 100. écus pour le petit P. R. de 200. pour

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »