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tout public, & alla toujours en croiffant. Le Roi Louis XIII. en étant informé en 1617. donna ordre à l'Abbé de Cîteaux d'en prendre connoiffance, & d'y pourvoir par les remédes néceffaires. L'Abbé voulant traiter cette affaire doucement, envoya de fes Religieux à Maubuiffon, pour inviter la Dame à rétablir l'ordre dans fa maison, & à faire ceffer le fcandale qu'elle donnoit elle-même. Les Commiffaires furent très-mal reçus : l'Abbesse exerça même à leur égard des traitemens indignes: elles les tint enfermés pendant plufieurs jours, les laisfant des jours entiers fans manger. Sa vue en cela étoit d'intimider M. de Citeaux, afin qu'il n'ofat pas paffer outre. Après qu'elle les eut renvoyés, elle prit prétexte d'un voyage à Chartres, pour paffer par P. R. Elle vit la Mere Angélique, s'entretint avec elle des moyens qu'elle pourroit prendre pour remettre l'ordre dans fa maifon, feignant d'avoir des vues de Réforme. Elle demanda même à la Mere quelques perfonnes pour venir à Maubuiffon, & travailler de concert avec elle à la bonne œuvre. La Mere Angélique toujours prête à tout bien, & d'ailleurs pleine de zéle pour un Couvent qui étoit celui de fa profeffion, s'offrit d'aller être Prieure fous elle, afin d'effayer de ramener les Religieufes à l'amour de leur devoir. Mais il n'y avoit rien de férieux du côté de l'Abbefle de Maubuiffon. Ce n'étoit qu'une diffimulation dont elle fe fervoit pour amufer les efprits par cette efpérance de Réforme dont elle parloit.

Les chofes continuant fur le même pied à Maubuiffon, l'Abbé envoya un fecond Commiffaire, qui fut traité encore plus inhumainement que le premier. Elle le fit enfermer lui & fa fuite dans une des tours de l'Abbaye, & les

y tint quatre jours en prifon, jeûnans au pain & à l'eau: elle porta l'infolence jufqu'à faire donner tous les jours les étriviéres à ce Religieux. Il trouva moyen de fe fauver par une fenêtre au bout de quatre jours, & vint rendre compte de ce qui s'étoit paffé au Général de Cîteaux. Le Généralvoyant bien qu'il n'y avoit ab. folument rien à gagner, vint lui-même à Paris, & conféra avec la famille de l'Abbeffe, le Maréchal d'Eftrées fon frere, le Cardinal de Sourdis fon coufin. Ces Seigneurs donnérent les mains au deffein de M. de Cîteaux, d'autant plus volontiers qu'ils étoient d'ailleurs très-indignés d'un mariage que l'Abbeffe avoit fait faire à Maubuiffon de fa jeune fœur avec le Comte de Sancé, fans la participation de la famille.

XXXII.

Enlèvement

M. de Citeaux fit annoncer fa vifite à Maubuiffon, & s'y tranfporta enfuite. Il ne put ja- de Madame mais obtenir de l'Abbeffe qu'elle fe préfentât. Il d'Eftrées Abne laiffa pas d'entrer en chapitre, où il déclara befle de Maule fujet de fa venue. Il vit enfuite felon l'usage buiffon. toutes les Religieufes en particulier : après quoi étant retourné au Chapitre, il envoya prier Madame d'Eftrées d'y venir. Elle refufa. Enfin il lui fit un commandement abfolu de comparoître ; ce qu'elle méprifa comme le refte. Le Général conclut fa vifite, & en dreffa l'acte. Il revint à Paris pour rendre compte à la famille on dit même qu'il en informa le Roi. L'unique moyen de remédier au mal, étoit donc d'ôter l'Abbeffe qui s'oppofoit à tout. L'Abbé de Cîteaux obtint une commiffion de la Cour, pour faire enlever la Dame d'Eftrées, & l'enfermer aux Filles Pénitentes de Paris. Il prend avec lui le Prevôt de I'Ifle & des Archers, & arrive à Maubuiffon le 3. Février 1618. On enfonce les portes, pour fe faifir de la Dame. Elle étoit fortie de fon lit ag

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bruit, & s'étoit cachée. Prefque toute la jour née fe paffa à la chercher; enfin on la trouva toute tranfie de froid, parce qu'elle n'étoit pas vêtue. On la remit dans fon lit pour la réchauf fer, & comme elle reculoit toujours à s'habiller , pour gagner du tems, le Prevôt la fait prendre fur fon matelas par quatre Archers, & la fait porter dans le caroffe qui attendoit. Il la conduifit au lieu de fon exil. M. de Cîteaux avoit ufé des plus grands ménagemens. Car il étoit entré feul d'abord dans la maison; avoit encore fait avertir l'Abbeffe de venir lui parler. Il différa deux jours à faire ufage de l'efcorte qu'il avoit amenée, pendant lefquels il la faifoit continuellement folliciter de fe foumettre. Mais voyant que toutes ces tentatives étoient fans fuccès, il s'étoit enfin déterminé à la livrer au bras féculier, & à faire entrer les Archers.

L'expédition étant ainfi finie, il affembla la Communauté, & déclara aux Religieufes qu'il alloit leur donner une Vice-gérente, à laquelle elles obéiroient comme à leur Abbesse. Pour mé→

nager l'efprit de ces filles, il leur propofa trois fujets, du nombre defquels étoit la Mere Angé lique, qui étoit celle dont il avoit fait choix en lui-même. Il leur donna jufqu'au lendemain pour s r s'aviser. Elles aimoient toutes à la vérité Ja Mere Angélique, mais elles la redoutoient, Ainfi le lendemain elles firent une autre propo fition à l'Abbé. Elles le fuppliérent de prendre parmi les Professes de la maison,celle qu'il fouhaiteroit, & qu'il jugeroit la plus capable. Il acquiefça à la propofition, mais non pas dans le fens que l'entendoient les Religieufes. Il revint à Paris, & après avoir obtenu non fans grande peine, le confentement de M. Arnaud,

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ilenvoya un ordre à la Mere Angélique fa fille, de venir à Maubuiffon. La MereAngélique étant Profeffe de Maubuiffon, le Général acquittoit ainfi la parole qu'il avoit donnée aux Religieufes, de leur donner pour Supérieure, une Profeffe de la maison : & ainsi il arriva qu'elles fu rent jouées innocemment, & fans avoir lieu de fe plaindre.

que à Maubuiflon.

LaMere Angélique accepta l'emploi avec une xxxn. parfaite foumiffion, tant parce que l'obéiffance Entrée de la étoit en elle dans un dégré éminent, que parce Mere Angéliqu'elle entrevoyoit dans fa fortie de P. R. une voie, qui peut-être s'ouvriroit, d'être déchargée de fon Abbaye: ce qu'elle fouhaitoit toujours. très-ardemment. Elle laiffa fa Prieure pour gouverner en fa place, & fit fa fœur Agnès fousPrieure. Elle emmena avec elle trois Religieufes, une ancienne de P. R. & deux jeunes Profeffes, Ifabelle de Château-neuf, & MarieClaire fa jeune fœur. L'Abbé fut témoin de l'état de désolation, où la fortie de la Mere Angélique laiffoit la maison : les larmes couloient" de tous les yeux dans un morne filence: elles fe voyoient enlever une Mere commune & une Mere telle que celle-ci. L'Abbé de Cîteaux la mena chez M. fon pere où elle paffa huit jours, pendant qu'on difpofoit la maifon de Maubuiffon à la recevoir. Les Religieufes furent bien étonnées, lorfque l'Abbé leur fit fçavoir que c'étoit fur la Mere Angélique que fon choix étoit tombé. Elles virent bien qu'il les avoit amusées ; mais elles n'eurent rien à dire, la mere étant comme je l'ai remarqué, Profeffe de Maubuiffon: outre qu'il ne s'agiffoit plus de contester, mais

d'obéir.

Lorfque M. l'Abbé & la Mere arrivérent à Maubuiffon,on étoit à l'Office. La maniére dont

il étoit exécuté, fut un bel échantillon pour la Mere de ce qu'étoit la maison. On croyoit enrendre des gens qui fe querelloient, plutôt que des Religieufes qui chantoient. On laissa finir l'Office, & la porte étant ouverte, toutes les Religieufes préfentes, l'Abbé entra & présenta la Mere: il fit faire la lecture des Ordonnances que la Mere lui avoit demandées pour le bien de la réforme. Le Sécrétaire du Général qui en étoit porteur, penfa gâter tout: il dit en particulier aux Religieufes de ne les point fuivre, parce que c'étoit la Mere qui les avoit dictées. Elle fut reçue des Religieufes avec refpect, mais froidement. Elle de fon côté leur témoigna beaucoup de bonté & de franchise; fe jettant au coû de quelques-unes qu'elle reconnoiffoit de fa petite jeuneffe. On alla au Chapitre, & l'Abbé inftalla la Mere en qualité de Commiffaire de l'Abbaye avec un plein & abfolu pouvoir pour gouverner tant au fpirituel qu'au temporel. Après le départ de M. de Citeaux, la Mere pour commencer fa geftion, continua de témoigner aux Religieufes, fur-tout aux anciennes, toute forte d'amitié. Elle fe gênoit elle-même pour aller au-devant de tout ce qui pouvoit leur faire plaifir, jufqu'à s'affujettir pendant tout le Carême à aller faire fa collation dans la chambre d'une ancienne qui étoit aveugle, afin de la divertir & de la confoler. Ces maniéres douces & aifées de la Mere produifirent d'abord un très-bon effet, qui fut de diffiper tout à coup le grand effroi qu'avoit caufé aux Religieufes l'idée d'une réforme auftére & impérieufe. La piété, le recueillement & la modeftie des trois compagnes de la Mere firent auffi leur effet, & remplirent d'admiration & d'eftime de leur vertu les Religieufes

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