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de Maubuiffon. Elles ne pouvoient fe laffer de les regarder elles n'avoient jamais rien vu de pareil: c'étoient des filles venues d'un nouveau monde: on trouvoit quelquefois celles de la maison arrêtées dans des coins pour se donner le plaifir de contempler de loin celles de P. R. tant le fpectacle leur fembloit nouveau.

XXXIV.

naftére

réformer.

de

Il eft à propos de dire un mot de l'état où la Mere Angélique trouva le Couvent, lorfqu'elle Etat du Moen prit la conduite. Elle y trouva 22. Reli-Maubuiffon gieufes qui n'en avoient guéres que l'habit, la lorfque laMeplûpart ayant été engagées contre leur gré. re Angélique Leur ignorance étoit extrême : à peine fçavoient-y, vint pour le elles les premiers élémens du Chriftianifme. Le Bernardin qui avoit l'emploi de Confeffeur, ne s'occupoit guéres à les inftruire. Il fe contentoit de les entendre à confeffe, ou plûtôt de leur faire lui-même leur confeffion, en leur faisant dire oui ou non aux péchés qu'il leur nommoit. Elles avoient cependant imaginé un expédient fur la fin, pour s'épargner les reproches que le Pater leur faifoit fans ceffe de leur ignorance craffe. Elles avoient dreffé deux ou trois protocoles de confeffion qui étoient écrits, & elles fe les prêtoient, tantôt l'un tantôt l'autre, lorfqu'il falloit aller à confeffe. L'Office du Choeur étoit célébré d'une maniére pitoyable, pour ne pas dire ridicule. Elles chantoient l'Office tout entier en notes; mais c'étoit avec une précipitation incroyable & une difcordance de voix qui révoltoit. Elles paffoient tout leur tems, hors celui de l'Office, à fe divertir ou à s'amufer, comme elles pouvoient, avec les com→ pagnies du dehors qui entroient tout librement dans le Couvent. On y jouoit: quelquefois on y reprefentoit de petites Comédies : quelques-unes donnoient des collations dans des cabinets pra

XXXV. Commence

tiqués féparément dans le Jardin: fouvent la Prieure auffi-tôt après Vêpres & Complies qu'on difoit toujours de bonne heure, menoit toute la Communauté fe promener le long des étangs, qui font fur le grand chemin de Paris: les Religieux de Saint Martin de Pontoife, qui est une Abbaye voifine les y venoient trouver, & danfoient avec elles fur l'herbe fans façon. On peut juger ce qui réfultoit d'une telle licence, & quels défordres plus ou moins fecrets s'enfuivoient.

Voilà quel étoit l'ouvrage qui attendoit la Mere Angélique. Elle ne s'en effraya point, quoiqu'elle en comprît toute la difficulté: elle s'arma d'un courage faintement audacieux, pour me fervir des termes de la Sainte Ecriture, cor ejus fumpfit audaciam ; & elle tâcha d'en infpirer un pareil à fes trois compagnes. Elle ne leur diffimula point ce qu'elle penfoit, qu'il ne s'agiffoit de rien moins que de faire le facrifice. de fa fanté & de fa vie pour cette œuvre : paroles qui furent tour à la fois exhortation & prédiction. L'exhortation fut fuivie & pratiquée à la lettre Car ces trois faintes filles ne s'épargnérent point, & fe livrérent pour cette fois au travail & à la pénitence, fans difcrétion; ce mot avoit été lâché par la Mere : & la prédiction fut vérifiée par la langueur dans laquelle tomba la Sœur Yfabelle, dont elle mourut peu de tems après fon retour à P. R. n'ayant encore que 28. ans, & par le dépériffement total. de la fanté de Marie-Claire, qui pendant une vingtaine d'années qu'elle vécut après la fortie. de Maubuiffon, ne paffa pas deux jours fans avoir la fiévre. Voyons maintenant comment s'opéra la réforme.

La Mere Angélique pour n'être pas diftraite

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de fon objet capital qui étoit le falut de ces ment de la répauvres ames, fe déchargea de l'adminiftration forme. Clôtu du temporel fur un Procureur comptable, qu'el-re établie. le demanda à M. de Cîteaux. Il ne devoit rien Nouveau Noviciat formé. faire au refte fans prendre les ordres de la Mere. La clôture fut le premier pas de la réforme. La Mere fit faire des parloirs, & pofer des grilles, & interdit l'entrée de la maison aux féculiéres. Les anciennes le souffrirent assez doucement, n'ofant pas réfifter à la Mere, pour qui elles ne pouvoient s'empêcher d'avoir un grand refpect & de grands égards. Cette judicieufe fille comprit qu'on ne feroit rien de ftable & de folide, fi on ne formoit de nouveaux fujets pour faire face aux anciens. C'eft pourquoi l'ayant repréfenté à M. de Citeaux, elle eut permiffion de lui de recevoir des Novices: elle y fut même autorifée par la Cour, comme cela étoit néceffaire, à caufe qu'elle n'avoit point qualité d'Abbeffe. La conceffion de la Cour fut pour 40. nouvelles Religieufes, qu'on la mettoit en droit de faire, même fans dot & uniquement fur la bonne vocation qu'elles appor teroient. La maison étoit riche, & avoit été fondée pour 100. Religieufes. Auffitôt que l'on fçût dans le monde que cette maison fe réformoit, & qu'on recevoit les filles pour rien, il s'en préfenta une grande quantité, Mais fur 60. ou 80. qui fe préfentérent, il n'y en cut que 30. de reçues fous la Mere Angélique, parce qu'un grand nombre n'y étoit conduit que par la cupidité. La Mere établit un Noviciat féparé de la Communauté, dont elle fit la Soeur Yfabelle Maîtreffe.

XXXVI.

Les Novices demeuroient dans un quartier à part. La Mere Angélique avec les trois Reli Réforme dit gieufes mangeoit dans le Réfectoire des Novi-chant & de

l'office divin, ces, & faifoit avec elles tous les exercices de Trait fingu- la Religion, excepté l'Office du Chœur, où toulier d'une No- tes fe réuniffoient tant les anciennes que. les nouvice qui n'a- velles. La Mere étoit donc toujours occupée de voit point de l'éducation des filles qu'elle avoit reçues, & elle voix. étoit infatigable dans le foin qu'elle en prenoit. Elle s'appliquoit fur-tout à leur faire bien apprendre le plein-chant, afin qu'elles puffent dans T'office du Chour tenir ferme contre le chant précipité des Anciennes. Car la patience & la difcrétion de la Mere à l'égard des Anciennes étoit telle que pour ne pas les aigrir, elle diffimuloit communément leurs fautes, & la peine qu'elle en reffentoit; ainfi elle ne leur faifoit jamais de reproches fur leur chant, mais elle tâchoit de lui oppofer le fien & celui de fes filles. On conçoit aifément quelle fatigue c'étoit pour elle & pour les jeunes filles pendant l'efpace de cinq ans, d'être obligées de faire des efforts continuels de voix tous les jours depuis le commencement de Matines jufqu'à la fin de Complies, pour couvrir un nombre de voix la plûpart affez groffes, très-rudes & très-difcordantes. La Mere, ne fe contentoit pas de recommander l'étude du plein-chant à la Maîtreffe des Novices; elle affiftoit le plus qu'elle pouvoit elle-même aux leçons pour animer cet exercice par la préfence. On l'a vue quitter des affaires trèsimportantes pour aller faire répéter un répons à une Novice, lorfqu'elle doutoit qu'elle le fçût affez bien pour le chanter au Chœur.On voit parlà, & on le verra encore par beaucoup d'autres traits, dans quel détail fon zéle la faifoit entrer & comment elle fçavoit fuffire à tout dans les petites chofes comme dans les grandes. Il parut dans une occafion que Dieu béniffoit ce grand zèle, Parmi les jeunes Novices, il s'en trouvoit

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une qui n'avoit apporté au Couvent ni dot ni talens ; qui étoit d'ailleurs très-délicate de complexion, & outre cela boiteufe, pour laquelle par conféquent il étoit difficile de fe promettre les fuffrages des anciennes dont on ne pouvoit fe paffer; fille cependant très-vertueufe parfaite dans l'obéiffance, l'humilité & la fimplicité. La Mere l'encourageoit à bien apprendre le chant ; & comme elle n'avoit point de voix, elle lui confeilla de faire quelques priéres particuliéres pour obtenir de la voix, afin que du moins par cet endroit elle pût avoir quelque mérite aux yeux des anciennes, & être reçue par elles à profeffion. La Novice fuivit le confeil: & il arriva qu'un jour étant allée au lieu où l'on apprenoit le chant, elle furprit tout le monde en entonnant un répons avec une voix très-belle, très-forte, très-douce qu'elle a confervée toute fa vie dans l'office de premiére Chantre. On attribua ce changement aux priéres qu'elle avoit faites à la Sainte Vierge fur la parole de la Mere, & en conféquence elle fat admife à faire profeffion.

XXXVI.

Vie auftére de

Le zéle de la Mere Angélique pour tout le refte étoit le même que pour l'Office & le pour la Mere Anchant. Le travail, le filence, l'amour & la pra- gélique & de tique de la pauvreté, les mortifications, tout les jeunes No alloit fur le même pied. La Mere donnoit l'e- vices. xemple à fes jeunes filles, tant Novices que Profeffes, de l'affiduité au travail, Elle étoit la premiére à balayer, à porter le bois, à laver les écuelles, à farcler au jardin : elle animoit fa petite famille dans ces travaux pénibles par des paroles d'édification. Le fervice de la maison & toutes les différentes occupations étoient fi fagement diftribuées, qu'il n'étoit prefque pas befoin de parler, & que tout fe faifoit fans

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