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bruit & fans diftraction. Les anciennes étoient fervies à point nommé, quoique très-difficiles, & exigeant beaucoup de chofes: enforte qu'on auroit dit, à voir la tranquillité de la maison,. qu'il n'y avoit rien du tout affaire. La Mere ne fouhaitoit rien tant que de faire revivre la vie auftére & pénitente des anciens Peres : elle la prêchoit continuellement à fes filles, plus par fes actions que par les difcours. Elle avoit choifi pour fa demeure la cellule du dortoir la plus laide, la plus fombre, & la moins commode. Quoique le lieu fût très-mal fain par la proximité du toit & d'un égout qui paffoit proche la fenêtre, & qui outre la mauvaise odeur engendroit des lézards, des punaifes & autres vermines, on ne put jamais en dégoûter la Mere, ni la réfoudre à changer d'habitation durant plufieurs années. Elle difoit qu'il lui fembloit être dans la grotte de Béthléem où on ne voyoit pas clair, mais où Jesus-Chrift tenoit lieu de lumiére. Elle prenoit pour elle en toutes chofes ce qu'il y avoit de pire, le plus mauvais lit, la plus mauvaise place, le plus mauvais habit. Elle couchoit prefque toujours fur une paillaffe jettée par terre. Auffi établit-elle à Maubuiffon l'ufage de coucher fur une paillaffe avec des draps de ferge. Elle établit auffi qu'il n'y auroit aucun meuble dans les cellules, finon une chaife de paille, une petite table une paillaffe fur trois ais portés par deux bas treteaux, & un crucifix de papier. Elle faifoit toujours chercher les plus viles étoffes pour habiller fa nouvelle Communauté, & avoit grand foin de retrancher de l'habillement toute fuperfluité: condamnant ainfi par la fimplicité des nouvelles Religieufes les ajuftemens affectés des anciennes. Quant au manger, la régle qu'elle introduifit

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introduifit, alloit au-delà de la frugalité : les jeûnes de l'Ordre étoient exactement obfervés: on donnoit à chacune une livre de pain par jour, comme le prefcrit la Régle de Ĉîteaux; on fervoit pour le dîner un bouillon aux herbes ou aux choux, dans lequel les Sœurs rompoient leur pain, & brouilloient deux jaunes d'œufs qu'on leur apportoit : quelquefois au lieu de jaunes d'œufs, on leur donnoit de l'omelette ou des œufs brouillés. L'été on les régaloit de tems en tems d'une falade de chicorée fans huile. La Mere enchériffoit fur cette austérité pour fa perfonne: fouvent au heu de deux jaunes d'œufs, elle fe faifoit apporter les reftes des herbes du bouillon des Soeurs, & les mangeoit avec fon pain: ou bien elle fe faifoit fervir de vieux. reftes de plufieurs façons d'eufs gardés de plufeurs jours. Le même efprit de mortification la fuivoit dans fes maladies. Non feulement elle ne fe plaignoit point des chofes mal apprêtées qu'on lui préfentoit, mais elle ne vouloit pas même qu'on lui apprêtât autre chofe en la place, difant que » c'étoit certainement la Provi»dence qui l'avoit ordonné ainfi, & que de fa » main il ne falloit rien refufer.

XXXVIII.

La

Tous ces points de réforme s'exécutérent dès Saint Franl'année 1618. La Réformatrice étoit âgée de 27. çois de Sales ans. Il femble que Dieu ait voulu autorifer d'u- vient à Maune maniére marquée l'œuvre de la Mere Angé-buiffon. lique, en lui fufcitant un approbateur tel que Mere Agnès Saint François de Sales, Evêque de Genêve. Elle Coadjutrice eut le bonheur de faire connoiffance avec ce fon avec Mafaint perfonnage en 1619. Une rencontre ino- dame de pinée l'amena a Maubuiffon. M. de Bonneuil, Chantal. Introducteur des Ambafladeurs, l'avoit prié de venir donner la Confirmation à fa jeune fille, qu'il avoit mife entre les mains de la Mere An

Tome I.

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de P. R. Liai

gélique. Dès cette premiére entrevue Dieu for ma une liaison de grace entre le Prélat & la Mere, qui dura tant que le premier vécut. La Mere conçut pour lui les fentimens d'une vraie fille en Jefus-Chrift, & lui ceux d'un vrai pere. On a des Lettres du Saint Evêque à la Mere, entr'autres la 43. du 1x. livre, où se manifeste cette grande union des deux ames. La Mere ne manqua pas l'occafion d'un auffi bon guide, Elle voulut fe renouveller entre fes mains par une confeffion générale qu'elle lui fit. Elle pafla plufieurs jours dans une retraite entiére, & dans de faints entretiens foir & matin avec le Prélat. Comme elle prévoyoit bien qu'elle ne jouiroit pas long-tems d'un tel Directeur, qui n'étoit qu'en paffant à Paris, elle mit à profit tous les momens, & le confulta fur tout, entr'autres fur le deffein qu'elle avoit toujours au fond du cœur, de fe démettre de fon Abbaye. Elle lui propofa d'entrer dans le nouvel Ordre de la Vifitation, , que ce Saint Evêque venoit d'inftituer. Il ne s'en éloigna pas d'abord. Elle de fon côté imagina un moyen de se démettre de fa place;ce fut d'écrire à M.Arnaud que l'œuvre de Maubuiffon feroit de longue haleine, & qu'ainfi il étoit à propos de pourvoir la maifon de P. R. d'une nouvelle Supérieure,parce que le bien d'une maifon demandoit qu'elle ne fût pas fi long-tems fans quelqu'un qui eût autorité. Elle lui indiqua fa Sœur Agnès pour la remplacer.

M. Arnaud qui s'apperçut du piége, n'y donna pas. Il écrivit à fa fille que ce qu'elle difoit étoit raisonnable, & qu'il alloit y travailler. En effet il follicita en Cour pour la Mere Agnès un brevet, non pas de l'Abbaye, mais de la Coadjutorerie de P. R. Il l'obtint, & en fit expédier les Bulles en Cour de Rome. Ainfi lę

coup fut manqué. D'un autre côté Saint François de Sales, après plufieurs réflexions, trouva beaucoup de difficulté à recevoir dans fon Ordre la Mere Angélique, fur-tout à caufe du preffentiment qu'il avoit, & qu'il lui communiqua, que Dieu la deftinoit à de grandes chofes. Elle ne put s'empêcher 30. ans après, de fe rappeller cette espèce de prédiction, qu'elle crut voir s'accomplir dans ce que la maison eut à faire & à fouffrir pour la vérité. Elle s'en ouvrit dans fa derniére maladie, en 1662. & c'est par ce moyen-là qu'on a fçu cette anecdote, que l'on auroit ignorée comme beaucoup d'autres. Car elle a toujours fcrupuleufement tenu fous le fécret tout ce qui la regardoit perfonnellement : & par rapport à cet article de la communication avec Saint François de Sales, tout eft demeuré enféveli dans l'oubli par un accident qui fait un grand honneur à la vertu de la Mere Angélique. Lorfqu'elle fut hors de place dans la fuite par la démiffion de fon Abbaye, l'efprit de la défappropriation dont elle étoit remplie, la porta à remettre toutes les Lettres du Saint Evêque entre les mains d'une mere étrangère de Dijon, que M. Zamet Evêque de Langres avoit établie Prieure à P. R. dans l'occafion qu'on verra en son tems. Cette Sainte Religieufe qui fe voyoit fimple particuliére, ne vouloit avoir rien du tout en propre. Or cette Mere Prieure jetta toutes ces Lettres au rebut, & elles ont été ainfi perdues.

Le premier voyage de M. de Genêve à Maubuiffon s'étoit fait après Pâques en 1619. Ilen fit encore trois autres. Le dernier fut à la fin du mois d'Août. Comme il étoit fur fon départ pour la Savoie, il voulut donner plus de tems à cette derniére entrevue. Il refta neuf jours à Maubuif

que

fon, il y prêcha, il fit la Confécration du grand Autel, il donna de bons avis aux anciennes & témoigna à toutes les Religieufes une charité très-particuliére, en confidération de leur fainte Mere, pour qui il étoit pénétré d'eftime & rempli d'affection. Il confola beaucoup celleci fur le peu de fruit qu'elle avoit fait jufquelà auprès des anciennes : il l'assura toutes les inftructions qu'elle leur avoit procurées, ne feroient pas perdues, & que ces femences qui fembloient mortes, produiroient leur fruit dans leur tems. L'événement a vérifié la prophétie, & la Mere ne douta point que ce ne fût les priéres du Bienheureux qui obtinrent de Dieu pour ces anciennes la grace, que nous verrons dans la fuite, qu'il leur a faite. M. de Genêve partit donc fon Diocèfe, & laiffa la Mere pour Angélique très-fenfiblement touchée de fon départ. Elle avoit procuré fa connoiffance à toute fa famille. M. & Mde Arnaud le poffédé rent quelques jours à Andilli, où il édifia beaules chefs de la maifon, & donna fa bénécoup diction à leurs enfans, du nombre defquels étoit M. Arnaud le Docteur, qui n'avoit alors que fix ans.

La Mere Angélique dans fa Rélation combat le préjugé populaire, qui a été fi fort répandu fur Saint François de Sales, que c'étoit un Directeur doucereux. Elle protefte qu'elle a trouvé en lui un homme très-ferme, dont la conduite n'étoit nullement molle & douce. Elle rapporte qu'ayant réformé dans fon Diocèse un Couvent de filles de l'Ordre de Cîteaux qui étoit fort dérangé, il le remit autant qu'il put dans les austérités de l'Ordre, entr'autres dans l'ufage de la ferge au lieu du linge ; & que lorsqu'elles fe plaignirent à lui que cela leur donnoit de la

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