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à tous vos Maîtres. Vous me retenez parmi vous jufqu'à la réponfe; & par prudence en attendant, vous pofez au loin des fentinelles. Si vous découvriez quelque piége, fi la réponse n'est point favorable, fi vous n'obtenez pas les avantages dont je vous ai parlé, fi enfin mon Maître ne revient pas lui-même pour vous en inftruire, chargez vos fufils, & quand il en fera tems, vous. les déchargerez dans ce cœur,qui vous aura féduit par de fauffes promeffes.

La réponse des Négres à ce difcours, que je n'avois pû préparer, fut un cri général de joie & de tendreffe, & un acquiefcement formel à mon heureux projet. Ils voulurent tous fe jetter aux genoux de Monfieur Ducolard, mais ils ne purent y parvenir; car mon Maître qui jufqu'à ce moment s'étoit tenu à genoux lui- .

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même, attendant le coup de la mort, transporté alors d'une joie exceffive, vint me fauter au cou, me donner mille baifers, & m'innonder de fes larmes.

Il prit enfuite la parole lui-même; il ratifia tout ce que j'avois promis, écrivit les noms, & fe tournant vers moi, m'affura que je ferois inceffamment libre. Plufieurs Marons répandirent des pleurs. L'un nommoit un ami, l'autre fa femme, un autre deux maîtrefles. Mais furtout, d'une voix commune, ils changerent un point aux conventions propofées. Ils voulurent que nous repriffions nos fufils, & que j'accompagnaffe mon Maître aux habitations. Da

bord par crainte de furprise je refufai cet avantage; mais les Négres me repliquerent ingénuement, que ma raifon & mon efprit les ferviroient peut-être auprès de leurs Maîtres, & léve

roient les difficultés qui pourroient fe rencontrer dans l'exécution du traité. Je n'infiftai plus fur ce fujet. L'aube du jour commençoit à paroître: je donnai mon bras à Monfieur Ducolard, nous reprîmes nos armes, & nous fortîmes de la caverne chargés de louanges & de bénédictions.

Mon Maître extafié de joie croyoit à peine tout ce qui venoit de fe paffer; & il me dit d'abord avec gayeté que j'avois un talent fupérieur pour les ambaffades.. Auffi m'attends-je quelque jour lui répliquai-je fur le même ton, à devenir le plénipotentiaire du genre humain. Je veux alors pacifier pour jamais tous les freres de la grande famille, l'Afrique, l'Afie, l'Europe, l'Amérique, les Blancs, les Noirs, les Bruns, les fourrés, les habillés, les nuds les batifés, les circoncis, les poilras & les barbes.

En tenant ces propos & beaucoup d'autres femblables, nous. approchions de la maison, où nous étions attendus avec beaucoup d'impatience. Nous rencontrâmes en chemin plufieurs compagnons de la veille, qui avoient paffé la nuit dans le creux de quelque arbre, ou fur le gazon, ou dans l'eau. Ils juroient tous & fe plaignoient de la mauvaise chaffe qu'on avoit faite. Mon Maître leur dit qu'il avoit un peu moins à fe plaindre. Combien en avez vous tués ? lui repliquerentils vivement: mais Monfieur Ducolard ne voulut pas s'ouvrir davantage, jufqu'à ce que nous fuffions parvenus aux habitations, où il les engagea tous de vouloir bien l'accompagner. Les Maîtres des Négres Marons ayant d'abord été affemblés par un billet circulaire, Monfieur Ducolard les inftruifit de tout ce qui nous étoit

arrivé dans la nuit. Mais les avis fur ce qui nous restoit à faire ne furent point uniformes. Il fe trouva dans le nombre quelques plaifans qui ne vouloient pas perdre l'occafion d'aller faire la plus belle des chaffes. On fe conforma néanmoins enfuite aux intentions de mon Maître. Quelques-uns de la troupe accompagnés d'une foule de curieux, fe tranfporterent à la caverne, & en ramenerent en pompe tous mes nouveaux convertis.

CHAPITRE XI.

PEU de tems après cette époque, qui fit de moi à la Martinique un objet de curiofité générale, Monfieur Ducolard s'embarqua pour la France avec fon Bibliothécaire fameux. Nous hazardâmes la traverfée fur un petit vaisseau marchand, qui fans dou

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