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par les guerres et les désastres publics, songèrent à bâtir un hospice, ou, pour mieux dire, un oratoire dans l'intérieur même de la cité. Ils destinèrent à l'exécution de ce projet un terrain qu'ils y possédaient de longue date. Ils espéraient ainsi échapper aux malheurs des invasions. La suite des événements donna raison à leur prévoyance. La dédicace de l'Eglise se fit avec une grande pompe, le 26 mai 724. On en trouvait le récit dans le Livre des Obits de Saint-Loup.

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Le nom d'Alcuin éveille généralement plutôt l'idée d'un savant que celle d'un moine. Toutefois, s'il fut le maître de Charlemagne, il avait été le disciple du vénérable Bède, et il en avait conservé l'esprit. Rien de touchant comme ses adieux à sa chère cellule, quand il lui fallut paraître à la cour du grand Empereur. « O ma cellule, s'écriait-il, douce et bien-aimée demeure, adieu pour toujours! Je ne verrai plus ni les bois qui t'entouraient de leurs rameaux entrelacés et de leur verdure fleurie, ni tes prés remplis d'herbes aromatiques et salutaires, ni tes eaux poissonneuses, ni tes vergers, ni tes jardins où le lis se mêlait à la rose ! Je n'entendrai plus ces oiseaux qui chantaient Matines comme nous et célébraient à leur guise le Créateur, ni ces enseignements d'une douce et sainte sagesse qui retentissaient en même temps que les louanges du Très-Haut, sur des lèvres toujours pacifiques comme les cœurs! Chère cellule, je te pleure et te regretterai toujours! Mais c'est ainsi que tout change et tout passe, que la nuit succède au jour, l'hiver à l'été, l'orage au calme, la vieillesse fatiguée à l'ardente jeunesse. Aussi, malheureux que nous sommes! pourquoi aimons-nous ce monde fugitif? C'est toi, ô Christ, toi qui le mets en fuite, qu'il nous faut seul aimer; c'est ton amour qui doit seul

remplir nos cœurs, toi, notre gloire, notre vie, notre salut (1)! »

C'est en 782 qu'Alcuin fut gratifié par Charlemagne de l'abbaye de Saint-Loup. S'il n'y résida point habituellement, il avait avec elle d'assez fréquents rapports pour y entretenir la piété et donner une impulsion nouvelle à l'étude des belles-lettres. Son épitre 56° à sa « très-chère sœur en J.-C. » nous en est une preuve évidente. Cette religieuse lui avait fait présent d'une croix qu'il avait offerte à son abbaye de SaintLoup. Il lui écrivit à cette occasion :

« A ma très-chère sœur en J.-C.

>> J'avoue franchement que j'ai bien désiré vous aller voir pour certains intérêts que je voulais traiter avec vous. J'en ai été empêché par des accès de fièvre qui me tourmentent encore par intervalle. Aussi devancerai-je la saison d'hiver pour me rendre à la cour du roi. J'ai été grandement réjoui de votre sollicitude pour la prospérité de votre église de Notre-Dame et pour la culture des lettres: aussi me ferai-je un bonheur de vous aider dans ces travaux, autant qu'il sera en mon pouvoir. Le jeune Fridegise vous portera secours également en temps opportun. Vos progrès dans la science spirituelle sont une grande joie pour mon âme. Apportez donc tous vos efforts à parfaire, avec la grâce de Dieu, ce que vous avez commencé. Chacun recevra une récompense proportionnée à ses travaux. Celui qui travaille davantage recevra une plus belle récompense. C'est maintenant le temps de travailler; le temps de la rémunération viendra ensuite. Devenons maintenant ce que nous voudrons être alors. A bon entendeur demi-mot. La sagacité de votre esprit aura compris tout cela mieux que je ne l'écris ; et vos œuvres accompliront ce que je puis à peine exprimer par la parole.

(1) Voir à la fin la pièce justificative A.

T. XXXIX.

2

» Puisse bientôt arriver le moment où je pourrai vous confier les angoisses de mon cœur, afin de recevoir quelque soulagement de vos pieuses consolations! Ce qui m'a été surtout agréable, c'est la croix que vous avez bien voulu m'adresser. J'ai la confiance que, pour cette œuvre, Dieu vous récompensera pendant l'éternité; le bienheureux saint Loup vous accordera constamment ses suffrages, et vous aurez mérité la reconnaissance de ceux qui ont coutume de recourir à sa protection.

» Et maintenant, sœur vénérée, adieu, ô sœur chère à mon cœur, douce amie, maintenant et toujours, adieu (1)! ›

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On voit par cette lettre que si cette religieuse était la sœur d'Alcuin, elle n'était pas indigne de son frère et faisait marcher de front, soit à Chelles, soit à Notre-Dame-aux-Nonnains, la science et la piété.

Quelques auteurs supposent qu'il s'agit ici plutôt de Giselle, sœur de Charlemagne, fondatrice et première abbesse de Chelles.

Alcuin consacra une terre, qu'il tenait de la libéralité de Charlemagne, à Pont-sur-Seine, à la fondation d'un hospice pour les pauvres et les étrangers. Son exemple détermina quelques autres donations dans les environs, à Ferreux notamment, pour augmenter les revenus du nouvel établissement. Alcuin fit de nouveaux achats dans le même but, et mit le tout sous la protection de Dieu et de Charlemagne. L'oratoire de cet hospice était dédié à la Sainte-Vierge. Le donateur adjure les fidèles au nom de Dieu, de leur Rédemption et de leur Baptême, de favoriser cet établissement dans la mesure de leur possible ou de leur puissance; il les menace, dans le cas contraire, de se porter leur accusateur, avec la Vierge Marie et saint Martin, quand le Seigneur

(1) Voir à la fin la pièce justificative B.

viendra juger tous les hommes. Cet acte n'est pas daté; on pense qu'il fut passé vers l'an 792 ou 794 (1).

On prétend qu'Alcuin eut pour élève Otulphe ou Bertulphe, plus tard évêque de Troyes. Nous ignorons sur quoi est fondée cette supposition.

Alcuin mourut à son abbaye de Saint-Martin de Tours, le 19 mai 804 (2). Il a laissé dans son épitaphe des marques trop sensibles de sa foi et de son humilité pour que nous nous dispensions de la traduire :

<< Passant, arrête-toi un peu ici et médite mes paroles dans ton âme. Tu reconnaîtras ta destinée dans ce qui m'est arrivé; change seulement la figure du personnage : la mienne sera la tienne. Ce que tu es maintenant, je l'étais autrefois, quand je parcourais avec gloire les routes de la vie; ce que je suis maintenant, tu le seras bientôt. Je poursuivais d'un chaste amour les délices du monde, et maintenant je suis cendre et poussière et la pâture des vers. Aussi n'oublie pas de t'occuper plutôt de mon âme que de mon corps celui-ci périt, l'autre demeure éternellement. Pourquoi veux-tu acquérir les richesses de la terre? Dans ce sépulcre étroit j'ai trouvé le repos : tous tes biens s'amoindriront à cette mesure. Pourquoi désires-tu si vivement revêtir ton corps d'une pourpre brillante, qu'un ver affamé dévorera bientôt dans la poussière? Comme les fleurs périssent sous la

(1) L'original de cette charte a disparu. Une des plus anciennes copies renfermée dans la Pancarte noire de Saint-Martin de Tours a péri dans les flammes à la Révolution. Il reste encore deux copies fidèles de ce document: l'une dans le Cartulaire de Cormery, à la Bibliothèque de Tours; l'autre à la Bibliothèque nationale, armoire de Baluze, t. XLVII, p. 148. Mais la charte en question a été souvent imprimée Mabillon, Sæculum Benedict. IV, Pars 1a, p. 177-178; Migne, Patrol. Lat., t. C, col. 71 et t. CI, col. 1432; Cartulaire de Cormery, édit. Bourassé, p. 13, n. 4.

:

Mabillon rappelle seulement la fondation de Pons par Alcuin dans ses Annales ord. S. Bened., 1. XXVII, col. 30, t. II, p. 367.

(2) Quercetanus, Vita Alchwini; - Cousinet, Op. cit., t. III, p 23.

violence du vent, ainsi périra ton corps et toute sa beauté. Lecteur de ces vers, je t'en prie, paie-moi de retour pour ces leçons et dis Seigneur, pardonnez à votre serviteur. Je demande qu'aucune main sacrilege ne viole les droits sacrés de ce tombeau, avant que la trompette de l'ange n'ait résonné du haut des cieux, en s'écriant: Mort, qui gis dans le sépulcre, sors de la poussière. Voici le juge suprême des innombrables générations des hommes. Mon nom était Alcuin, amant assidu de la sagesse. Lecteur, laisse échapper de ton cœur une prière à son intention. »

A cette épitaphe on ajouta ces mots :

<< Ici repose le seigneur Alcuin, abbé, de bonne mémoire, qui mourut en paix le 14 des calendes de juin. Vous tous qui lisez ceci, priez pour lui et dites : Que le Seigneur lui donne le repos éternel (1) »

Diverses donations.

C'est à cette époque qu'il faut rapporter les nombreuses donations faites à l'abbaye de Saint-Loup par l'empereur Charlemagne. Les diplômes authentiques en ont péri par l'injure du temps. A peine l'abbé Guitère put-il en retrouver quelques débris. Ce qu'il en put lire nous apprend que Charlemagne avait donné à cette abbaye plusieurs arpents de terre à Luyères, un terrage d'un grand rapport à Colaverdé (Charmont), le clos qui environnait l'abbaye et les moulins à blé de Villa mendicorum (2).

A ces libéralités, Charles-le-Chauve en ajouta d'autres, reconnues plus tard, en 1161, par le comte Henri. Ce fut : une vigne dans le clos situé derrière l'abbaye, une autre aux

(1) Pièce justificative C.

(2) Cousinet, Op. cit., vol. III, p. 25, et mss. Morel, Recherches chron., etc., p. 142.

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