Images de page
PDF
ePub

Javelles (de Hastis), celle du Trésor et celle du Labouras (1). Toutes ces possessions furent transférées à Saint-Loup dans la cité (2), et l'abbé Guitère fit un rescrit terminé par une terrible menace contre quiconque oserait y porter la main (3).

Les religieux d'ailleurs ne furent pas ingrats. Ils inscrivirent dans leurs nécrologes l'anniversaire de Charlemagne et de Charles-le-Chauve comme celui de leurs plus insignes bienfaiteurs. Ils donnèrent même à ces princes le titre de fondateurs de leur abbaye, et chaque dimanche, ils les recommandaient aux prières (4).

Nous ne pouvons douter que Charlemagne ne s'intéressât, à cause d'Alcuin, à l'abbaye de Saint-Loup. Quant à Charles-le-Chauve, il voulait sans doute suivre la tradition de son aïeul. Mais de plus, il avait traversé la ville de Troyes au temps de Pâques 840, en marchant avec Louis-leGermanique contre Lothaire, son frère, qui voulait procéder à un nouveau partage de l'héritage paternel. Courtalon raconte à l'occasion de ce voyage un épisode assez curieux et dont s'enorgueillirent longtemps les honorables savetiers de la ville de Troyes. Comme l'innommable vêtement du bon roi Dagobert, le haut-de-chausses du roi Charles était en assez piteux état : il demandait réparation. Il était probablement de cuir, car des savetiers furent appelés pour rendre à l'habit royal l'indispensable service qu'il réclamait. Par reconnaissance, le roi accorda à la corporation troyenne qui devait un jour donner un pape au monde catholique la faveur de célébrer la fête patronale de saint Crépin dans

(1) Cousinet, ibidem.

Camusat, Prompt., fol. 307 et 308.- Des Guerrois, La Saincteté chrestienne, p. 233 v, et Memoralia Guitheri,

Bibl. de Troyes, mss. 2275.

(2) Voir à la page 23.

(3) Camusat, Prompt., fol. 308 v, et 309.

(4) Cousinet, Op. cit., vol. III, fol. 25.

l'abbaye de Saint-Loup. Quoique cet honneur dût appartenir à l'antique abbaye qui s'appela dans la suite Saint-Martinès-Aires, c'était la nouvelle abbaye de l'intérieur de la cité qui célébrait cet office, et les artistes en chaussure conservaient précieusement le titre de cette permission dans le coffre de leur communauté (1).

CHAPITRE II.

Depuis l'usurpation des Comtes jusqu'aux abbés réguliers de St Augustin.

[blocks in formation]

Le huitième siècle ne fut pas l'âge d'or du régime monastique. Le souffle divin semble alors n'être plus aussi puissant dans les antiques refuges de la piété et de la vertu ; les affaires du siècle prennent le pas sur les intérêts de l'éternité. Les seigneurs usent de violence pour s'emparer des biens des monastères et s'en faire nommer abbés. Le couvent de Saint-Loup ne fut pas à l'abri de ce dernier malheur.

Après Alcuin, mais sans que nous puissions préciser l'époque, le gouvernement de l'abbaye de Saint-Loup fut aux mains d'un nommé Adélerin, non pas comte de Troyes, comme l'a pensé Courtalon, mais plus probablement, selon M. d'Arbois de Jubainville, comte de Vexin et proche parent des ducs de France. Il aurait indifféremment porté le nom

(1) Courtalon, Topogr. hist. du diocèse de Troyes, t. II, p. 286.

d'Adélelin, Adélerin, Aledran, ou Aledramme (1). Ce n'était pas un moine, mais un séculier et un laïc, un de ces grands seigneurs qui se faisaient donner par les rois, ou qui usurpaient les biens de l'Eglise. Il vit arriver à Troyes les hordes normandes qui brûlèrent la ville, pillèrent et détruisirent la cathédrale. Le monastère, situé en dehors de la ville, ne fut pas épargné. Il fut complètement rasé et les religieux dispersés. Il ne resta plus que le sol qui fut planté d'arbres fruitiers et se trouve désigné sous le nom de clos ou verger, clausum quem hortum explico sive pomarium (2).

Toutefois la frayeur n'avait point paralysé le sentiment du devoir. Raginaire, archiclave ou trésorier de l'abbaye, aidé de ses religieux, avait pieusement enlevé sur ses épaules les dépouilles sacrées de saint Loup, et les avait mises en lieu sûr. L'évêque Bodon avait donné son consentement à cette mesure de précaution.

Un des prédécesseurs d'Adélerin avait, en 724, eu la prévoyance de bâtir une sorte de refuge dans l'intérieur de la ville. C'est là que le comte-abbé transporta, avec les reliques du bienheureux fondateur, le nom et le personnel du couvent. L'hospice de Notre-Dame-de-la-Cité devint l'abbaye de Saint-Loup, 891 (3).

Le nouveau monastère jouit de tous les revenus et priviléges de l'ancien champs, terres, possessions de tout genre, revenus de toute sorte lui furent attribués (4). Adélerin prit soin d'en dresser un rescrit authentique que l'on trouve dans Camusat (5).

(1) Hist. des Comtes de Champagne, tome Ier, p. 67-68, et note. (2) Cousinet, Op. cit., vol. III, fol. 26.

(3) C'est l'emplacement actuel de la Bibliothèque et du Musée. (4) Cousinet, Op. cit., vol. III, p. 27 et 48.

(5) Camusat, Prompt., fol. 296.- Des Guerrois, Saincteté chrest., fol. 235-236. D. Bouquet, XIV, 491.

Depuis 891 jusqu'à 1104, l'antique abbaye extra muros cesse d'avoir son histoire. Tout ce que les annales rapportent de Raginaire, des prévôts Pierre I°, Jean ler, Wilancus et Sylvestre doit s'entendre de la nouvelle maison de SaintLoup. L'emplacement situé hors les murs n'est plus qu'une dépendance du nouveau monastère. Seule, une petite chapelle, échappée aux ruines, atteste la grandeur de l'ancienne basilique, mais on ne voit pas que des religieux aient établi leur résidence à l'entour.

Abbaye de Saint-Martin-ès-Aires proprement dite.

Au commencement du xır° siècle, Gérard, prévôt de SaintLoup, fut le restaurateur ou plutôt le fondateur véritable de l'abbaye qui porta désormais le nom de Saint-Martin-èsAires. C'était un homme de talent et de piété, revêtu des principales dignités ecclésiastiques. D'abord archidiacre de la Cathédrale, puis chanoine de Saint-Loup, il remplissait depuis environ l'an 1097 les fonctions de prévôt de cette abbaye. Il figure dans les actes importants de son époque. Ainsi, nous le trouvons, entre autres, dans les donations que fait le comte Hugues à l'abbaye de Saint-Loup (1) et dans le rescrit de l'évêque Philippe, qui établit les religieux de Molesine au monastère d'Isle (2).

L'an 1104, d'après le Gallia Christiana, ou en 1111, d'après le manuscrit de Cousinet (3), Gérard prit l'agrément des chanoines de Saint-Loup, et, encouragé par l'évêque de Troyes, Philippe, et Richard, évêque d'Albano et légat du Pape, il jeta les fondements de la nouvelle abbaye. Quatre prêtres d'une grande piété s'établirent dans le

(1) Archives de l'Aube, et Cousinet, Op. cit., vol. III, fol. 34. (2) Camusat, Prompt., fol. 170 vo.

(3) Cousinet, Op. cit., vol. III, fol. 35, et mss. Morel, Recherches chronol., etc., p. 180.

clos de l'ancien couvent et s'engagèrent à suivre la règle de saint Augustin. Ils avaient à leur tête ce même Gérard, qui remplissait les fonctions de prieur.

Pour que les religieux ne fussent pas distraits de leurs saints exercices par la préoccupation de l'avenir, les chanoines de Saint-Loup leur assurèrent quelques revenus. C'était une partie de leur terre de Luyères (carrucam, une charrue), des vignes, etc.

Ces possessions furent bientôt augmentées par les largesses des fidèles. Le comte Hugues, pour ne citer que lui, donna les moulins situés entre la maison de Saint-Jacques et les moulins d'Osmont, et le cours d'eau appelé vulgairement les Etuves ou Bains du Comte. Nous en reparlerons en 1134, au sujet de la contestation élevée par Gauthier, abbé de Montiéramey.

Il fallait un nom à la nouvelle communauté. Elle adopta celui de Saint-Martin-ès-Aires, in aeris, dans les champs, à cause de sa situation, et pour la distinguer de tant d'autres, qui s'étaient déjà placées sous le vocable du grand Evêque de Tours.

Ces religieux suivaient donc la règle de saint Augustin et menaient une vie si édifiante qu'ils furent bientôt appelés à donner par la réforme la vie spirituelle à ceux qui pourvoyaient à leur vie temporelle. Le 12 juin 1137, le prieur Gérard fut élu abbé de Saint-Loup et occupa ces fonctions pendant quatre ans, cinq mois et douze jours; puis il se retira à Saint-Martin-ès-Aires, où il mourut le 12 des calendes de septembre; mais l'année nous est inconnue (1).

L'abbaye de Saint-Martin suivit nécessairement la fortune de l'abbaye de Saint-Loup. Celle-ci, bien que gouvernée par des prévôts, n'en était pas moins soumise à l'autorité d'un abbé laïc. C'était un comte de Chappes, Clarembaud I°, qui

(1) Camusat, Prompt., fol. 297 et 309. Des Guerrois, p. 268 vo et 282 vo.

« PrécédentContinuer »