Images de page
PDF
ePub

délicatesse à la fois recherchée et austère, et comme Pérugin serait plus illustre encore si Raphaël ne l'avait pas suivi et comme absorbé dans les rayons de sa gloire et de son génie !

Nous voici arrivé au maître des maîtres, au divin Sanzio. Il a, dans les salons du Corps législatif, trois œuvres authentiques et toutefois d'une valeur inégale.

La première est une étude de grandeur naturelle de la tête de sainte Elisabeth, peinte en détrempe pour La Visitation, jadis au palais de l'Escurial et maintenant au musée de Madrid. La toile est grosse, les coups de pinceau énergiques et sommaires. Ils indiquent que Raphaël a cherché l'effet plutôt que le rendu, car le tableau est de son meilleur temps et se distingue par une couleur vigoureuse qu'on ne rencontre pas dans toutes ses œuvres. Cette étude appartient à M. Eugène Piot.

Quant au Portrait de jeune homme de la collection Czartoryski, il est tout simplement adorable. Les critiques ne lui ont cependant pas manqué et l'on a même été jusqu'à contester son authenticité. Cela tient à deux causes : la première c'est que la glace qui le couvre estompe la peinture et l'affadit au point de la faire ressembler à un pastel; la seconde, c'est qu'il me semble que le portrait seul est de la main de Raphaël et que le mur sur lequel il se détache, ainsi que la campagne qu'on aperçoit au loin par une fenêtre ouverte, ont dû être peints après coup. Mais la tête, le regard, les cheveux, la toque, les vêtements et les mains sont bien du divin maître, et lui seul a pu dessiner avec cette grâce, ce naturel, et peindre de ce coloris clair, léger, diaphane, cet élégant portrait. Ce qui ajoute à sa valeur, c'est qu'il passe pour être l'image de Raphaël lui même, à cette époque de sa vie, où sa physionomie ravissante de jeunesse et de modestie enamourait partout les femmes sur son

passage.

Voici maintenant le maître tableau de l'Exposition, celui

auquel tout le monde court et devant lequel il faut stationner et prendre son rang afin de pouvoir l'approcher, je veux parler de la Vierge de la Maison d'Orléans. Ce n'est pas qu'elle soit grande, 28 centimètres de hauteur sur 20 cent. de largeur. Mais, en dehors du Louvre, qui peut se flatter en France de posséder un Raphaël authentique et complet? Ce n'est pourtant pas que ce tableau n'ait aussi sa légende, mêlée comme toutes les légendes de lumière et d'ombre, de succès et de revers. Qu'il nous soit permis de la dire, quand ce ne serait qu'à titre de curiosité.

Il paraît que cette Vierge fut achetée en Italie pour Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV. On raconte qu'un accident emporta une partie du fond du tableau qui laissait voir une verte campagne par une fenêtre ouverte. Grand émoi pour réparer le mal, et à quel pinceau s'adresser? On se décida, après maintes délibérations, à envoyer le tableau à David Téniers qui passait pour le copiste par excellence et le pasticheur le plus habile à cette époque. Mais il n'était qu'accessoirement paysagiste, et comment refaire un paysage du xvi° siècle et de la main de Raphaël surtout? Téniers, avec une incontestable dextérité, fit un rideau tombant et ces modestes vases de terre, sortes d'ustensiles plus flamands qu'italiens, qui décorent la tablette du fond. La fenêtre et la campagne furent ainsi remplacées, et quelque regret qu'en éprouva Monsieur, on dut conserver l'œuvre de Téniers, par respect pour l'œuvre de Raphaël. On ne pouvait pas y porter deux fois la main.

Après le Régent et le duc d'Orléans-Penthièvre, la Vierge de Raphaël arriva à Philippe-Égalité qui ayant, un certain jour de male chance, perdu au billard une somme énorme contre M. de Laborde de Méréville, banquier de la Cour, offrit, pour s'acquitter, de lui céder toute sa galerie. M. de Laborde l'envoya à Londres et la revendit à trois grands seigneurs anglais, le duc de Bridgewater, le comte de Carlisle et lord Gover, moyennant un million soixante-quinze

mille livres. Ceux-ci, après avoir choisi les tableaux qui leur plaisaient et se les être partagés, revendirent le surplus un million soixante-trois mille sept cent cinquante livres, de sorte qu'ils eurent pour onze mille livres environ un choix de tableaux dont la valeur était de plus d'un million. C'était simplement leur bénéfice, et, chose à jamais regrettable, il n'avait fallu que quelques billes malheureuses pour les faire perdre à la France.

Au nombre des tableaux vendus à l'amiable figuraient, à ce qu'il paraît, douze Raphaël dont une sainte Famille et trois Vierges. L'une d'elles était celle du duc d'Aumale. Achetée par M. Hibbert, en 1790, moyennant 13,125 fr., elle passa successivement dans les mains de M. Vernon, puis de M. De la Hante qui s'en dessaisit en faveur de M. Aguado. C'est à la vente de sa galerie, en 1843, qu'elle fut achetée par M. François Delessert moyennant 27,250 fr. Après sa mort, arrivée en 1869, ses enfants ayant vendu sa collection, le duc d'Aumale racheta la Vierge de la Maison d'Orléans au prix de 150,000 fr., plus les frais. Les faiseurs de calculs ont prétendu qu'elle lui coûtait à peu près 200 fr. le millimètre carré, comme si un tableau de Raphaël pouvait s'évaluer d'après ses dimensions.

Celui-là, d'àilleurs, peut d'autant moins s'évaluer, qu'il est impossible, en dehors des grandes collections publiques, de rencontrer une œuvre plus magistrale et plus précieuse, et qu'elle suffirait seule à l'illustration d'un musée.

Ce tableau représente la Vierge assise se penchant avec amour sur l'Enfant-Jésus étendu sur ses genoux et qui tourne la tête en regardant d'un petit air boudeur. La main droite de la Vierge soutient l'un des pieds de l'Enfant-Jésus qui porte ses deux mains au corsage de sa mère.

La Vierge de la Maison d'Orléans appartient à la seconde manière de Raphaël, à cette époque de sa vie où, s'éloignant de ses premiers essais, il s'affranchit du style du Pérugin qui enserrait son génie dans un dessin convenu et une or

donnance symétrique, qui n'était ni la vérité, ni l'idéal qu'il rêvait. Peinte en 1506, pendant le séjour que Raphaël fit à Urbin, son pays natal, pour mettre ordre à ses affaires que la mort de son père et de sa mère avait laissées à l'abandon, elle ornait, à l'époque où Vasari écrivait les vies des peintres italiens, la galerie de « l'illustre Guidobaldo, duc d'Urbin (1).» La Vierge au voile du Louvre fut peinte une année plus tard (2), et la Belle Jardinière en 1508, encore bien que les auteurs du Livret du Louvre aient cru lire, sur le bord de la robe de la vierge, la date de 1507 (3).

La Vierge du duc d'Aumale est surtout remarquable par un relief étonnant obtenu pour ainsi dire sans couleur, sans artifice de pinceau. Le panneau est à peine couvert, les ombres sont transparentes et légères comme si elles étaient pétries avec de l'ambre. Et les étoffes, la robe rouge de la Vierge, très-accentuée dans les parties ombrées, s'atténue jusqu'au rose le plus tendre lorsqu'elle est baignée par la lumière; le manteau aussi est d'un bleu intense sous le bras et la main de la Vierge, mais il s'apaise insensiblement pour s'évanouir tout-à-fait dans un azur qui, peu à peu, devient vert. La manche est d'une belle couleur de brocard d'or effumé. Le voile paraît impalpable au milieu des cheveux de la Vierge d'un blond très-doux. Il n'y a que le rideau vert et le fond surmonté de la tablette aux vases flamands que je trouve terne, d'une pâte alourdie et d'une facture qui ne rappelle en rien la légèreté des premiers plans.

Quant à la composition, quel noblesse et quel charme intime! Comme la Vierge enveloppe de son regard caressant et de son amour ce divin enfant, qu'elle soutient avec

(1) Vasari, Vies des Peintres, Sculpteurs et Architectes, t. IV, p. 212.

(2) Passavant, t. II, p. 64, 108. (3) Ibid., p. 67 à 70.

respect de ses belles mains aux doigts effilés! Et l'enfant, quelle merveille de dessin et de pose! Que sa tête aux rares cheveux est expressive et charmante ! L'Enfant-Jésus vientil de pleurer? Sa mine attristée semblerait le faire croire, et son œil est encore chargé de la dernière humidité des pleurs. Il indique que Raphaël tendait à serrer de près la nature, et cet enfant boudeur, qu'il a certainement vu, qu'il a fixé pour l'immortalité sur un minuscule panneau, est bien un enfant véritable, qu'un peu plus tard il exaltera jusqu'à l'intelligence souveraine et l'idéale majesté de l'enfant-Dieu de la Madone de Saint-Sixte.

Nous sommes arrivé presque au terme des tableaux italiens, et ceux qui nous restent à voir ne nous arrêteront pas longtemps. Voici le Christ au prétoire de Mazzolini, provenant de la galerie de lord Nortwick, à la vente de laquelle le duc d'Aumale en fit l'acquisition au prix de 8,398 fr.

Le Christ couronné d'épines et couvert d'un manteau écarlate, vient de monter l'escalier du prétoire, qu'un vaste bas-relief décore, au bas la foule ameutée pousse des clameurs homicides. Toutes les figures, d'un fini incroyable, sont remplies d'expression, les accents et les poses sont naturelles, seulement la noblesse est absente, si ce n'est dans la personne du Christ. Le coloris est éclatant, mais il tire trop sur le rouge, on dirait d'une composition allemande relevée par la finesse et l'éclat d'un pinceau italien.

Les conservateurs du Musée du Louvre ont placé dans le Salon carré un Portrait de Sculpteur vêtu de noir et tenant une statuette de bronze. On prétend qu'il représente Baccio Bandinelli, peintre et sculpteur florentin, ami du Bronzine. S'ils avaient à exposer le Portrait de Gentilhomme, sorti du même pinceau, ils le mettraient aussi à une place d'honneur, car il est impossible de voir plus noble prestance, exprimée par un dessin plus magistral, un coloris plus exempt de recherche. Provenant de la galerie du prince de Canino, l'admirable portrait du Bronzino a traversé la collection Pour

« PrécédentContinuer »