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talès avant d'entrer dans celle de la princesse de Sagan, qui n'a pas cru l'acheter trop cher en le payant 93,000 fr.

Debout dans son cabinet, la main gauche appuyée sur la hanche, la main droite posée sur un livre entr'ouvert, que soutient une riche console, le jeune patricien, vêtu d'un pourpoint de soie foncée à crevés, une toque de velours sur la tête, regarde le spectateur avec cette dignité fière que le Bronzino a souvent donnée à ses modèles. Le dessin est serré, le modelé très-ferme, le coloris sobre et clair. On sent que le personnage est de race, car il est impossible d'imaginer plus grand air et plus noble attitude.

La duchesse de Galliera possède une Assomption de Lorenzo Sabbatini qui est peut-être le projet achevé de l'Assomption du Musée de Bologne, provenant de l'église Degli Angeli. Ce qui le ferait croire, c'est que les anges, qui sont ravissants, paraissent être le sujet principal et que la vierge a quelque peine à se faire voir au milieu du chœur nombreux qui l'enlève au ciel en chantant ses louanges. L'ordonnance du tableau est ingénieuse, les personnages sont bien dessinés et les raccourcis d'une grande justesse. Quant à la touche, elle est des plus délicates et se rapproche de celle du Parmesan. Seulement, je me demande pourquoi ce pinceau, si souple et si gracieux, s'est laissé entraîner à des tons bleutés, qui donnent presque un aspect de camaïeu à la peinture et lui enlèvent une partie de son charme.

Voici une Jeune Femme fière de son opulente beauté et des attraits qu'une robe montante, d'un gris argenté et soyeux, dissimule à peine. Elle tient un livre, mais c'est par contenance, car elle est avant tout heureuse de vivre et de se faire admirer. Pourquoi fatiguerait-elle ses beaux yeux à des lectures? Un joli petit épagneul est assis sur une table, près d'elle, que lui faut-il de plus? Un amoureux peut-être ? Elle est si belle qu'il ne doit pas être loin. La gondole discrète les réclame pour les emporter hors de Venise, sur ces flots bleus qui entourent les îles fortunées que le soleil dore et em

pourpre le soir. Cet admirable portrait, qui a successivement appartenu au Régent et au comte de Pourtalès, a été acheté Mme Lyne-Stephens 20,500 fr. Si, comme on le croit, il représente la fille de Paul Véronèse, on peut penser avec quel amour il a été peint par lui.

par

Je ne dirai rien du Sommeil de Vénus, d'Annibal Carrache, appartenant au duc d'Aumale; c'est un grand tableau de plus de trois mètres sur deux. La décadence est arrivée pour l'école bolonaise, et cette pâle imitation du Corrège nous laisse froid, car rien ne la relève, ni le dessin, ni le coloris.

Que je préfère cette Vue de Venise de Francesco Guardi, dont l'exécution est pleine de vivacité et d'entrain. Elève du Canaletto, il a peut-être moins que lui l'exactitude et la savante harmonie, mais il est plus vrai dans son abandon, plus original, plus vibrant, et si ce n'est pas toujours la Venise alignée et correcte de son maître, c'est la Venise vivante, avec son peuple remuant et bariolé, ses vaisseaux, ses gondoles et ses gondoliers chantant des barcarolles langoureuses, en conduisant au Lido les jeunes couples qui rient et murmurent toutes sortes de propos charmants au fond du Felze.

Ce beau tableau appartient à la comtesse Duchatel.

Si les Espagnols n'étaient pas nombreux à l'Exposition d'Alsace-Lorraine, au moins étaient-ils représentés par leurs deux plus illustres maîtres, Vélasquez et Murillo.

Me Lyne-Stephens avait envoyé un admirable portrait de ce Philippe IV d'Espagne, qui ne fut certes pas un grand roi, quoiqu'il s'entendît chaque jour comparer au soleil, qui, au temps de son aïeul Charles-Quint, ne pouvait pas se coucher sur ses Etats. Il s'y coucha sous son règne, et s'il se fût prolongé, le soleil aurait peut-être fini par ne plus s'y lever, car jamais monarque indolent n'apprit avec plus d'insouciance, un matin, qu'il avait perdu le Roussillon; un autre matin perdu les Flandres; un peu plus tard perdu le

Portugal. C'était vraiment bien de ces choses-là qu'on s'occupait à la cour des Espagnes. Caldéron avait annoncé une comédie de Cape et d'Épée, on l'attendait; et Vélasquez, le portrait de l'infant don Carlos, galopant, à l'âge de six ans, le bâton du commandement à la main, sur un grand cheval de bataille, et il était intéressant de savoir de quelle façon il s'en tirerait.

Il s'en tira merveilleusement le grand artiste, car il s'est essayé et a réussi dans tous les genres. Histoire sacrée et profane; paysages historiques et réels; portraits en pied et à cheval, d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards; chasses, batailles, animaux, intérieurs, fleurs et fruits. C'est au Museo del Rey de Madrid qu'il faut voir Vélasquez, et les soixante-quatre toiles qu'il renferme peuvent seules donner la mesure de ce prodigieux génie.

Quelques rares échantillons ont pourtant quitté l'Espagne et, grâce à M. Salamanca, nous pouvons contempler Philippe IV debout, vu jusqu'aux genoux et vêtu d'un riche costume rouge et blanc, qui étincelle et chatoie comme le brocard et les étoffes orientales.

Personnage et accessoires sont si vrais, qu'en s'isolant de l'extérieur, on croit que Philippe IV va marcher ou parler. C'est une seconde création, vraie comme la première, simple comme elle, et j'ose le dire, plus saisissante, tant la puissance d'imitation s'élève au sublime. Il semble que la nature, avec tout son prestige, soit passée de la réalité sur la toile, en traversant l'œil de Vélasquez et en guidant sa main. «< Il >> avait, dit Charles Blanc, commencé par peindre le mo» dèle sèchement et crument; ensuite il tint compte des >> phénomènes visibles : il s'aperçut que la forme n'est pas >> abstraite, qu'elle est modifiée par la présence de l'air, que >> la couleur dépend de la distance des objets et de la lumière >> plus ou moins vive qui les frappe. Alors, il peignit la na>>ture comme elle se présente à nos yeux pour ne les point » blesser, pour leur plaire. Enfin, arrivé aux limites de la

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perfection, il supprima les apparences de l'art, et il ne >> resta sur la toile que la nature elle-même (1). »

Rien ne peint mieux que ces lignes le beau portrait de Philippe IV.

Le livret de l'Exposition annonçait sept tableaux de Murillo. Est-ce préoccupation involontaire? Attrait des œuvres environnantes? Aucun ne m'a frappé. Ce n'était pourtant pas indifférence. Car l'auteur du Miracle de San Diego, du Christ à la Colonne, de la Sainte-Famille et de l'Immaculée-Conception du Louvre, est un peintre incomparable qui, avec son prestigieux pinceau, a passé en revue la création, non-seulement telle que nous la voyons et que Dieu l'a faite, mais telle aussi que certaines natures privilégiées l'entrevoient par delà les mondes visibles. Vélasquez avait été le peintre de la nature, Murillo fut celui de la religion, car personne, pas même Raphaël, ne l'a surpassé dans l'expression des extases de l'âme et du sentiment religieux qui transfigure la physionomie humaine et lui donne ce rayonnement, cette auréole qui semblent venir des cieux.

Je voulais voir cependant le célèbre tableau du Pastorcito (le petit berger) dont il a été beaucoup parlé dans ces derniers temps, à cause de son illustre origine : Dado à M. François Guizot, por la reyna de Espana, et aussi de l'aventure qui avait contraint son illustre possesseur à s'en défaire.

Hélas! que ma désillusion fut grande! Imaginez un Jésus adolescent, représenté debout et se détachant sur un fond d'arbres et de paysage; vêtu d'une robe rose dont la partie supérieure est recouverte d'une peau d'agneau, il tient de la main gauche une houlette sur laquelle il s'appuie, et de la main droite une brebis qu'il ramène au troupeau. La toile a 56 centimètres de haut sur 41 centimètres de large.

Est-ce là un tableau de Murillo ? La reine Isabelle l'a cru,

(1) Hist. des Peintres. Vélasquez, p. 15.

puisqu'elle l'a donné à M. Guizot à l'occasion du mariage du duc de Montpensier avec l'infante d'Espagne. Mais quelle peinture doucereuse, monotone et sans accent! Quel dessin dépourvu de grâce et de caractère, quel coloris lourd et terne! Où sont donc, je ne dis pas les éclairs du génie de Murillo, mais seulement ses qualités habituelles, sa souplesse de pinceau, sa facilité à tout représenter? Ici le paysage est vulgaire, les moutons emmêlés, et Jésus n'a ni ce regard ouvert, pénétrant, à la fois vif et doux, ni cette noblesse que Murillo savait lui donner. Il ramène la brebis égarée au bercail, et à voir l'expression de sa figure, elle lui semble presque indifférente. C'est cependant lui, à qui tout obéit au ciel et sur la terre, qui s'est lassé à la poursuivre, et à force d'amour, à triompher de sa résistance. Puis Murillo, si varié, si chaud, si doré, si vaporeux, si éclatant et si radieux dans ses peintures, où le retrouver dans cette toile qui pourtant restera célèbre, parce que partie d'une main royale, comme témoignage de gratitude à un ancien ministre de France, elle a quitté son austère demeure pour l'accomplissement d'un devoir et la fière revendication d'une liberté à son insu enchaînée; enfin, qu'elle est allée se placer dans une galerie, qui a cru ne pas la payer trop cher en donnant 120,000 fr. qui sont peut-être un don généreux dont le nom de Murillo est devenu le prétexte.

A ce titre-là, je salue le Murillo de M. François Guizot. J'arrive maintenant aux tableaux des écoles Flamande et Hollandaise.

II.

L'Italie, depuis la fin du xiv° siècle, avait su s'affranchir des formules rigides de l'art byzantin. Ses vierges étaient devenues plus humaines, plus tendres, ses pères éternels moins sombres et moins sévères; ils ne se contentaient plus

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