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qui avait excité les derniers troubles; il y avait des gens qui n'étaient pas rentiers qui s'y mêlaient, comme le diable dans l'orage. On savait qu'on avait envoyé des courriers dans les provinces. » Pussort se joignait au chancelier et disait aussi que c'était la Fronde; mais que tout irait bien, et que celui qui attacherait le grelot serait bien hardi1.

L'émotion causée par le remboursement des rentes ne tarda pas, en effet, à se calmer, et tout se termina par des épigrammes:

De nos rentes, pour nos péchés,
Si les quartiers sont retranchés,
Pourquoi nous émouvoir la bile?
Nous n'aurons qu'à changer de lieu :
Nous allions à l'Hôtel de Ville,

Et nous irons à l'Hôtel-Dieu.

Toutefois l'agitation des esprits était réelle et favorable à Fouquet. Ses amis l'entretenaient avec soin. Les poëtes et les artistes, dont le zèle pour sa cause ne se démentit jamais, ne cessaient de travailler en sa faveur. Hesnault, un des moins connus entre les poëtes qui recevaient des pensions de Fouquet, s'illustra par le vigoureux sonnet qu'il lança contre Colbert :

Ministre avare et lâche, esclave malheureux,

Qui gémis sous le poids des affaires publiques.
Victime dévouée aux chagrins politiques.

Fantôme révéré sous un titre onéreux :

Vois combien des grandeurs le comble est dangereux;
Contemple de Fouquet les funestes reliques.

1 Journal d'Olivier d'Ormesson, t. II, p. 153.

Ces vers sont du chevalier de Cailly, connu sous le nom de d'Aceilly, mort en 1673. - Les rentes se payaient alors à l'Hôtel de Ville.

Et tandis qu'à sa perte en secret tu t'appliques.
Crains qu'on ne te prépare un destin plus affreux !
Sa chute, quelque jour, te peut être commune;
Crains ton poste, ton rang, la cour et la fortune;
Nul ne tombe innocent d'où l'on te voit monté.

Cesse donc d'animer ton prince à son supplice,
Et près d'avoir besoin de toute sa bonté.
Ne le fais pas user de toute sa justice.

Je ne parlerai pas de la multitude de chansons et de satires, la plupart médiocres ou mauvaises, qui furent alors composées contre les ennemis de Fouquet'. Ce qu'il importe de constater, c'est que, à tort ou à raison, l'opinion publique avait complétement changé, qu'elle s'était déclarée en sa faveur, et qu'à la tête de ce mouvement étaient les poëtes encouragés jadis par le

On trouve plusieurs de ces pièces dans les mss. Conrart. in-f, t. XI p. 225. En voici quelques passages:

Malgré les juges courtisans.

Le cordeau de Fouquet, filé depuis trois ans,

Est maintenant à vendre.

Mais nous avons Colbert, Sainte-Hélène et Berryer,

C'est assez de quoi l'employer;

C'est assez de voleurs à pendre,

C'est assez de fous à lier.

On prétendait, comme on le verra au chapitre suivant, que Berryer était devenu fou, et fou à lier.

Les poëtes du temps attaquent sans trop de discernement toutes les réformes de Colbert. Un anonyme, dont la satire se trouve dans les portefeuilles de Vallant (mss., Bibl. imp., t. XIII, p. 130), fait allusion au retranchement de certaines fêtes et aux ordonnances qui modifièrent les lois :

Quel est donc ce chaos et quelle extravagance

Agite maintenant tout l'esprit de la France?
Quel démon infernal, ami des changements,

Fait tant de nouveautés dans tous nos règlements?

On fait, on redéfait, on rétablit, on casse;
Rien ne demeure fait, quelque chose qu'on fasse :
On retranche les saints, on les refête après;

On plaide au Châtelet quand on fête au Palais,
On trouve à réformer même sur la réforme,
L'ancien code à présent est un code difforme, etc.

surintendant. Le gazetier Loret se contenta d'abord de garder un silence prudent; c'était déjà du courage. Puis il osa douter des crimes dont on chargeait Fouquet1:

J'en doute de la moitié,

Et par raison et par pitié,
Et même pour la conséquence
Je passe le tout sous silence.

Pierre Corneille aussi resta fidèle au surintendant disgracié. Sa pension avait été supprimée après l'arrestation de Fouquet (septembre 1661); elle fut rétablie dans la suite par Colbert, qui voulait à son tour jouer le rôle de Mécène. Mais Corneille, bien loin de se montrer empressé auprès du successeur de Fouquet, resta une année entière sans demander le brevet de sa pension et sans adresser de remerciments à Colbert. Le ministre en fit des reproches à l'abbé Gallois, qui amena enfin Corneille à l'hôtel Colbert. Il est, du reste, remarquable que le nom de Colbert ne se trouve qu'une fois dans les œuvres de Pierre Corneille; c'est dans une adresse au roi écrite au nom des marchands de la ville de Paris en 16743. Au contraire, Pierre Corneille a composé une longue épître à la louange du talent et du caractère de Pellisson, où il célèbre ainsi son dévouement à Fouquet :

1

Lettre du 2 octobre 1661. Voyez l'Appendice.

Ces détails se trouvent dans la Défense du grand Corneille, par le P. Tournemine. Voy. Taschereau, Histoire de la vie et des ouvrages de Pierre Corneille. 2e édition (1855), p. 342.

3

* Voy. OEuvres diverses de Pierre Corneille, 1758, p. 84.

Ibid., p. 225-226.

En vain, pour ébranler ta fidèle constance,
On vit fondre sur toi la force et la puissance;
En vain dans la Bastille on t'accabla de fers;
En vain on te flatta sur mille appas divers;

Ton grand cœur, inflexible aux rigueurs, aux caresses,
Triompha de la force et se rit des promesses;

Et comme un grand rocher par l'orage insulté
Des flots audacieux méprise la fierté,

Et, sans craindre le bruit qui gronde sur sa tête,

Voit briser à ses pieds l'effort de la tempête,

C'est ainsi, Pellisson, que dans l'adversité

Ton intrépide cœur garda sa fermeté,

Et que ton amitié, constante et généreuse,
Du milieu des dangers sortit victorieuse.

De tous les amis et défenseurs de Fouquet, la Fontaine fut celui qui se signala le plus par son dévouement et par ses efforts pour le sauver. Aussitôt après l'arrestation du surintendant, et sous le coup de la première émotion, il écrivit l'élégie célèbre adressée aux Nymphes de Vaux. C'est le cri du cœur, le gémissement d'une âme attristée à la vue d'une si grande ruine; puis un retour amer sur les caprices de la fortune, un contraste poétique entre les trompeuses grandeurs de la cour et le calme du bonheur champêtre que Fouquet eût pu goûter dans cet asile de Vaux; enfin un appel à la clémence du roi :

Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes,
Pleurez, nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,
Et que l'Anqueuil enflé ravage les trésors
Dont les regards de Flore ont embelli ses bords.

On ne blâmera point vos larmes innocentes;

Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes.
Chacun attend de vous ce devoir généreux;

Les destins sont contents: Oronte est malheureux.

1 Ruisseau dont les eaux alimentaient les fontaines et les bassins de Vaux.

Vous l'avez vu naguère aux bords de vos fontaines,
Qui, sans craindre du sort les faveurs incertaines,
Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevait des honneurs qu'on ne doit qu'aux autels.
Hélas! qu'il est déchu de ce bonheur suprême!
Que vous le trouveriez différent de lui-même!
Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits :
Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis,
Hôtes infortunés de sa triste demeure,

En des gouffres de maux le plongent à toute heure.
Voilà le précipice où l'ont enfin jeté

Les attraits enchanteurs de la prospérité !
Dans les palais des rois cette plainte est commune.
On n'y connait que trop les jeux de la Fortune,
Ses trompeuses faveurs, ses appas inconstants;
Mais on ne les connaît que quand il n'est plus temps.
Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles,
Qu'on croit avoir pour soi les vents et les étoiles,
Il est bien malaisé de régler ses désirs;

Le plus sage s'endort sur la foi des zéphirs.
Jamais un favori ne borne sa carrière;

Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière;
Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit
Ne le saurait quitter qu'après l'avoir détruit.
Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte
Ne suffisaient-ils pas sans la perte d'Oronte?
Ah! si ce faux éclat n'eût point fait ses plaisirs,
Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,
Qu'il pouvait doucement laisser couler son âge!
Vous n'avez pas chez vous ce brillant équipage,
Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour
Saluer à longs flots le soleil de la cour;
Mais la faveur du ciel vous donne en récompense
Du repos, du loisir, de l'ombre et du silence,
Un tranquille sommeil, d'innocents entretiens.
Et jamais à la cour on ne trouve ces biens.

Mais quittons ces pensers: Oronte nous appelle.
Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appas,
Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage;
Il aime ses sujets, il est juste. il est sage;

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