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tuation des parties, ou la durée, ou le nombre, et les autres propriétés que nous apercevons clairement en tous les corps, comme il a été déjà remarqué; que non pas ce que c'est que la couleur dans ce même corps, ou la douleur, l'odeur, le goût, la saveur, et tout ce que j'ai dit devoir être attribué au sens. Car encore que voyant un corps nous ne soyons pas moins assurés de son existence par la couleur que nous apercevons à son occasion que par la figure qui le termine, toutefois il est certain que nous connoissons tout autrement en lui cette propriété qui est cause que nous disons qu'il est figuré que celle qui fait qu'il nous semble qu'il est coloré.

Il est donc évident, lorsque nous disons à quelqu'un que nous apercevons des couleurs dans les objets, qu'il en est de même que si nous lui disions que nous apercevons en ces objets je ne sais quoi dont nous ignorons la nature, mais qui cause pourtant en nous un certain sentiment fort clair et fort manifeste qu'on nomme le sentiment des couleurs. Mais il y a bien de la différence en nos jugements. Car, tant que nous nous contentons de croire qu'il y a je ne sais quoi dans les objets (c'est-à-dire dans les choses telles qu'elles soient) qui cause en nous ces pensées confuses qu'on nomme sentiments, tant s'en faut que nous nous méprenions, qu'au contraire nous évitons la surprise qui nous pourroit faire méprendre, à cause que nous ne nous emportons pas sitôt à juger témérairement d'une chose que nous remarquons ne pas bien connoître. Mais lorsque nous croyons apercevoir une certaine couleur dans un objet, bien que nous n'ayons aucune connoissance distincte de ce que nous appelons d'un tel nom, et que notre raison ne nous fasse apercevoir aucune ressemblance entre la couleur que nous supposons être en cet objet et celle qui est en notre pensée; néanmoins, parceque nous ne prenons pas garde à cela, et que nous remarquons en ces mêmes

objets plusieurs propriétés, comme la grandeur, la figure, le nombre, etc., qui existent en eux de la même sorte que nos sens ou plutôt notre entendement nous les fait apercevoir, nous nous laissons persuader aisément que ce qu'on nomme couleur dans un objet est quelque chose qui existe en cet objet et qui ressemble entièrement à la couleur qui est en notre pensée; et ensuite nous pensons apercevoir clairement en cette chose ce que nous n'apercevons en aucune façon appartenir à sa nature.

CHAPITRE IX.

De l'activité et de la passivité de l'ame, de ses propriétés et de ses phénomènes.

SI.

Tout ce qui se fait ou qui arrive de nouveau, est généralement appelé par les philosophes une passion au regard du sujet auquel il arrive, et une action au regard de celui qui fait qu'il arrive; en sorte que, bien que l'agent et le patient soient souvent fort différents, l'action et la passion ne laissent pas d'être toujours une même chose qui a ces deux noms, à raison des deux divers sujets auxquels on la

peut rapporter.

Nous ne remarquons point qu'il y ait aucun sujet qui agisse plus immédiatement contre notre ame que le corps auquel elle est jointe, et par conséquent nous devons penser que ce qui est en elle une passion est communément en lui une action; en sorte qu'il n'y a point de meilleur chemin pour venir à la connoissance de nos passions, que d'examiner la différence qui est entre l'ame et le corps, afin de connoître auquel des deux on doit attribuer chacune des fonctions qui sont en nous.

A quoi on ne trouvera pas grande difficulté si on prend garde que tout ce que nous expérimentons être en nous, et que nous voyons aussi pouvoir être en des corps tout-àfait inanimés, ne doit être attribué qu'à notre corps; et, au contraire, que tout ce qui est en nous, et que nous ne concevons en aucune façon pouvoir appartenir à un corps, doit être attribué à notre ame.

Lorsqu'on aura considéré toutes les fonctions qui appartiennent au corps seul, il sera aisé de connoître qu'il ne reste rien en nous que nous devions attribuer à notre ame, sinon nos pensées, lesquelles sont principalement de deux genres à savoir les unes sont les actions de l'ame, les autres sont ses passions. Celles que je nomme ses actions sont toutes nos volontés, à cause que nous expérimentons qu'elles viennent directement de notre ame, et semblent ne dépendre que d'elle; comme, au contraire, on peut généralement nommer ses passions toutes les sortes de perceptions ou connoissances qui se trouvent en nous, à cause que souvent ce n'est pas notre ame qui les fait telles qu'elles sont, et que toujours elle les reçoit des choses qui sont représentées par elle.

Dans les choses corporelles toute action et passion consistent dans le seul mouvement local, et on l'appelle action lorsque ce mouvement est considéré dans le moteur, et passion lorsqu'il est considéré dans la chose qui est mue; d'où il s'ensuit aussi que, lorsque ces noms sont appliqués à des choses immatérielles, il faut considérer en elles quelque chose d'analogue au mouvement, et qu'il faut appeler action celle qui est de la part du moteur, telle qu'est la votition dans l'ame, et passion de la part de la chose mue, comme l'intellection et la vision dans la même ame. Toutes les façons de penser que nous remarquons en nous peuvent donc être rapportées à deux générales, dont l'une consiste à apercevoir par l'entendement, et l'autre à se déterminer par la volonté. Ainsi sentir, imaginer et même concevoir des choses purement intelligibles, ne sont que des façons différentes d'apercevoir; mais désirer, avoir de l'aversion, assurer, nier, douter, sont des façons différentes de vouloir.

J'ai dit que les propriétés de l'ame se rapportent toutes à deux principales, à savoir à la perception de l'entende

ment et à la détermination de la volonté : mais l'auteur (d'un écrit intitulé: Explication de l'esprit humain ou de l'ame raisonnable) les appelle d'un nom fort impropre l'entendement et la volonté, après quoi il divise ce qu'il a appelé entendement en perception et jugement; en quoi il s'éloigne de mon opinion car pour moi, voyant qu'outre la perception, qui est absolument requise avant que nous puissions juger, il est encore besoin d'une affirmation ou d'une négation pour établir la forme d'un jugement; et prenant garde que souvent il nous est libre d'arrêter et de suspendre notre consentement, encore que nous ayons la perception de la chose dont nous devons juger, j'ai rapporté cet acte de notre jugement, qui ne consiste que dans le consentement que nous donnons, c'est-à-dire dans l'affirmation ou dans la négation de ce dont nous jugeons, à la détermination de la volonté, plutôt qu'à la perception de l'entendement.

L'acte de la volonté et l'intellection diffèrent entre eux comme l'action et la passion de la même substance; car l'intellection est proprement la passion de l'ame, et l'acte de la volonté son action : mais comme nous ne saurions vouloir une chose sans la comprendre en même temps, et que nous ne saurions presque rien comprendre sans vouloir en même temps quelque chose, cela fait que nous ne distinguons pas facilement en elles la passion de l'action. . Nos volontés sont de deux sortes: car les unes sont des actions de l'ame, qui se terminent en l'ame même, comme lorsque nous voulons aimer Dieu, ou généralement appliquer notre pensée à quelque objet qui n'est point matériel; les autres sont des actions qui se terminent en notre corps, comme lorsque de cela seul que nous avons la volonté de nous promener, il suit que nos jambes se remuent et que nous marchons.

Nos perceptions sont aussi de deux sortes, et les unes

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