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mouvement. Enfin, je crois que chaque corps approche plus ou moins de ces deux extremités, selon que ses parties sont plus ou moins en action pour s'éloigner l'une de l'autre.

S'il est vrai que les parties des corps durs ne soient jointes ensemble par aucun ciment, et qu'il n'y ait rien du tout qui empêche leur séparation, sinon qu'elles sont en repos les unes contre les autres, ainsi qu'il vient d'être dit, et qu'il soit vrai aussi qu'un corps qui se meut, quoique lentement, a toujours assez de force pour en mouvoir un autre plus petit qui est en repos, on peut demander pourquoi nous ne pouvons avec la seule force de nos mains rompre un clou ou un autre morceau de fer qui est plus petit qu'elles ; d'autant que chacune des moitiés de ce clou peut être prise pour un corps qui est en repos contre son autre moitié, et qui doit ce semble en pouvoir être séparé par la force de nos mains, puisqu'il n'est pas si grand qu'elles, et que la nature du mouvement consiste en ce que le corps qu'on dit se mouvoir est séparé des autres corps qui le touchent. Mais il faut remarquer que nos mains sont fort molles, c'est-à-dire qu'elles participent davantage de la nature des corps liquides que des corps durs; ce qui est cause que toutes les parties dont elles sont composées n'agissent pas ensemble contre le corps que nous voulons séparer, et qu'il n'y a que celles qui, en le touchant, s'appuient conjointement sur lui. Car, comme la moitié d'un clou peut être prise pour un corps, à cause qu'on la peut séparer de son autre moitié, de même la partie de notre main qui touche cette moitié de clou, et qui est beaucoup plus petite que la main entière, peut être prise pour un autre corps, à cause qu'elle peut être séparée des autres parties qui composent cette main; et parcequ'elle peut être séparée plus aisément du reste de la main qu'une partie du clou du reste du clou, et que nous

sentons de la douleur lorsqu'une telle séparation arrive aux parties de notre corps, nous ne saurions rompre un clou avec nos mains mais si nous prenons un marteau, ou une lime, ou des ciseaux, ou quelque autre tel instrument, et nous en servons en telle sorte que nous appliquions la force de notre main contre la partie du corps que nous voulons diviser, qui doit être plus petite que la partie de l'instrument que nous appliquons contre elle, nous pourrons venir à bout de la dureté de ce corps, bien qu'elle soit fort grande.

CHAPITRE XV.

Du mouvement.

S 1.

Le mouvement (à savoir celui qui se fait d'un lieu en un autre, car je ne conçois que celui-là, et je ne pense pas aussi qu'il en faille supposer d'autre en la nature), le mouvement donc, selon qu'on le prend d'ordinaire, n'est autre chose que l'action par laquelle un corps passe d'un lieu en un autre. Et partant, comme nous avons remarqué ci-dessus qu'une même chose en même temps change de lieu et n'en change point, de même aussi nous pouvons dire qu'en même temps elle se meut et ne se meut point. Car, par exemple, celui qui est assis à la poupe d'un vaisseau que le vent fait aller croit se mouvoir quand il ne prend garde qu'au rivage duquel il est parti, et le considère comme immobile; et ne croit pas se mouvoir quand il ne prend garde qu'au vaisseau sur lequel il est, parcequ'il ne change point de situation au regard de ses parties. Toutefois, à cause que nous sommes accoutumés à penser qu'il n'y a point de mouvement sans action, nous dirons que celui qui est ainsi assis est en repos, puisqu'il ne sent point d'action en soi, et que cela est en usage.

Mais, si au lieu de nous arrêter à ce qui n'a point d'autre fondement que l'usage ordinaire, nous désirons savoir ce que c'est que le mouvement selon la vérité, nous dirons, afin de lui attribuer une nature qui soit déterminée, qu'il est le transport d'une partie de la matière ou d'un corps du voisinage de ceux qui le touchent immédiatement, et que nous

considérons comme en repos, dans le voisinage de quelques autres. Par un corps, ou bien par une partie de la matière, j'entends tout ce qui est transporté ensemble, quoiqu'il soit peut-être composé de plusieurs parties qui emploient cependant leur agitation à faire d'autres mouvements; et je dis qu'il est le transport et non pas la force ou l'action qui transporte, afin de montrer que le mouvement est toujours dans le mobile, et non pas en celui qui meut; car il me semble qu'on n'a pas coutume de distinguer ces deux choses assez soigneusement. De plus, j'entends qu'il est une propriété du mobile, et non pas une substance; de même que la figure est une propriété de la chose qui est figurée, et le repos de la chose qui est en repos.

Et d'autant que nous nous trompons ordinairement, en ce que nous pensons qu'il faut plus d'action pour le mouvement que pour le repos, nous remarquerons ici que nous sommes tombés en cette erreur dès le commencement de notre vie, parceque nous remuons ordinairement notre corps selon notre volonté, dont nous avons une connoissance intérieure, et qu'il est en repos de cela seul qu'il est attaché à la terre par sa pesanteur, dont nous ne sentons point la force. Et comme cette pesanteur, et plusieurs autres causes que nous n'avons pas coutume d'apercevoir, résistent au mouvement de nos membres, et font que nous nous lassons, il nous a semblé qu'il falloit une force plus grande et plus d'action pour produire un mouvement que pour l'arrêter, à cause que nous avons pris l'action pour l'effort qu'il faut que nous fassions afin de mouvoir nos membres et les autres corps par leur entremise. Mais nous n'aurons point de peine à nous délivrer de ce faux préjugé și nous remarquons que nous ne faisons pas seulement quelque effort pour mouvoir les corps qui sont proches de nous, mais que nous en faisons aussi pour arrêter leurs mouvements lorsqu'ils ne sont point amortis par quelque

autre cause; de sorte que nous n'employons pas plus d'action pour faire aller, par exemple, un bateau qui est en repos dans une eau calme et qui n'a point de cours, que pour l'arrêter tout-à-coup pendant qu'il se meut; et si l'expérience nous fait voir en ce cas qu'il en faut quelque l'arrêter peu moins pour que pour le faire aller, c'est à cause que la pesanteur de l'eau qu'il soulève lorsqu'il se meut, et sa lenteur (car je la suppose calme et comme dormante) diminuent peu à peu son mouvement.

Mais parcequ'il ne s'agit pas ici de l'action qui est en celui qui meut ou qui arrête le mouvement, et que nous considérons principalement le transport et la cessation du transport ou le repos, il est évident que ce transport n'est rien hors du corps qui est mû, mais que seulement un corps est autrement disposé lorsqu'il est transporté que lorsqu'il ne l'est de sorte que le mouvement et le repos ne sont que deux diverses façons.

en lui

pas,

Je ne suppose aucunes qualités réelles en la nature qui soient ajoutées à la substance comme de petites ames à leurs corps, et qui en puissent être séparées par la puissance divine; et ainsi je n'attribue point plus de réalité au mouvement, ni à toutes ces autres variétés de la substance qu'on nomme des qualités, que communément les philosophes en attribuent à la figure, laquelle ils ne nomment pas qualitatem realem, mais seulement modum. La principale raison qui me fait rejeter ces qualités réelles, est que je ne vois pas que l'esprit humain ait en soi aucune notion ou aucune idée particulière pour les concevoir; de façon qu'en les nommant, et en assurant qu'il y en a, on assure une chose qu'on ne conçoit pas, et on ne s'entend pas soimême. La seconde raison est que les philosophes n'ont supposé ces qualités réelles qu'à cause qu'ils ont cru ne pouvoir expliquer autrement tous les phénomènes de la

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