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gueux comme un loup. J'avais la tête de moins que lui, ses mains étaient larges deux fois comme les miennes, mais du premier coup il fut culbuté, les jambes par-dessus la tête, et je lui posai les genoux sur la poitrine, pendant qu'il me serrait en

criant:

"Ah! brigand ah! tu oses!...

...

Oui, j'ose, lui dis-je," en écumant et lui donnant des coups terribles sur la figure.

Nous roulions dans les copeaux, il allongeait ses larges mains calleuses pour m'étrangler; mais ma fureur était si grande, que malgré sa force j'avais presque fini par l'assommer, lorsque le père Nivoi et trois hussards accoururent à nos cris, et m'arrachèrent de dessus lui, comme un de ces dogues qu'il faut mordre pour les faire lâcher. Ils me tenaient en l'air par les bras et les jambes, j'avais des tremblements et des frémissements.

Le grand Jâry se leva en criant:

"Je te rattraperai!"

Mais à peine avait-il dit: "Je te rattraperai!" que je me lâchai d'une secousse, et que je le bousculai sur la table comme une plume. Il criait:

"A l'assassin!... à l'assassin!...

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Il fallut m'arracher encore une fois, et m'entraîner dans la chambre voisine. Le père Nivoi demandait :

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Ah! il a cassé ta table exprès ... Eh bien! tu as bien fait, JeanPierre. Mais il peut se vanter d'en avoir reçu

tant la colère d'un honnête homme qu'on vole."

...

24 Voilà pour

Les hussards me regardaient tout surpris et se disaient entre

eux:

"Tonnerre! c'est pire qu'un chat sauvage!"

La femme de M. Nivoi venait de porter dans l'atelier un

baquet d'eau fraîche, où Jâry se lavait la figure. Je l'entendais gémir; il disait:

"Je ne travaillerai plus avec ce brigand, il a voulu m'assassiner." En même temps, il sanglotait comme un lâche, et M. Nivoi étant retourné le voir, lui dit:

"Tu as reçu ton compte... c'est bien fait. Tu ne veux plus travailler avec cet enfant, tant mieux! C'est une bonne occasion pour moi d'être débarrassé d'un envieux, d'un imbécile. Va te faire panser chez M. Harvig. Tu pourras revenir ce soir ou demain, si tu veux, pour recevoir ton arriéré. Mais tu ne rentreras pas dans l'atelier; tu viendras dans cette chambre, car si JeanPierre te voyait, il te déchirerait.

Lui! cria Jâry.

Oui, lui! Ne crie pas si haut, il est encore là; les hussards le retiennent, mais il pourrait s'échapper."

Nous n'entendîmes plus rien! Quelques instants après, M. Nivoi revint en disant:

"Le gueux est parti. J'ai regardé le trou de la table; nous allons changer tout de suite la planche du milieu, Jean-Pierre, et demain tout sera prêt pour la fête de la mère Balais. Ainsi console-toi, sois content, tout peut être réparé ce soir."

Je me remis alors, et je fus bien étonné de voir que j'avais battu le grand Jâry. Je pensai en moi-même: "Ah! si j'avais su cela plus tôt, tu ne m'aurais pas tant ennuyé depuis deux ans, mauvais gueux! J'aurais commencé par où j'ai fini; mais il vaut mieux tard que jamais."

ERCKMANN-CHATRIAN

La jeunesse est généreuse, sensible, brave, et les vieillards la disent prodigue, inconsidérée, téméraire. La vieillesse est ménagère, sage, prudente, et les jeunes hommes la disent avare, égoïste, poltronne.

TÖPFFER

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125

Comme un bruit de foule,

Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s'écroule

Et tantôt grandit.

Dieu! la voix sépulcrale

Des Djinns...!— Quel bruit ils font!
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond!
Déjà s'éteint ma lampe;
Et l'ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant.
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.3

Ils sont tout près! - Tenons fermée
Cette salle où nous les narguons.
Quel bruit dehors! hideuse armée
De vampires et de dragons!
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée,
Tremble, à déraciner ses gonds!

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure
L'horrible essaim, poussé par l'aquilon,
Sans doute, ô ciel! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée.
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon!

Prophète si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs!
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs!

Ils sont passés!-Leur cohorte
S'envole et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.

L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines,
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés!

De leurs ailes lointaines

Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible que l'on croit

Ouïr la sauterelle

Crier d'une voix grêle,

Ou pétiller la grêle

Sur le plomb d'un vieux toit.

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