Images de page
PDF
ePub

parlerait de lui-même et m'épargnerait l'embarras terrible des premières ouvertures

[ocr errors]

M. Ratin venait pour me donner ma leçon. Sans voir le livre, il posa son chapeau, il plaça sa chaise, il s'assit, il se moucha. Pour avoir une contenance," je me mouchai aussi; sur quoi M. Ratin me regarda fixement, car il s'agissait de nez.

Je ne compris pas d'abord que M. Ratin sondait l'intention que j'avais pu avoir en me mouchant presque au même instant que lui, en sorte que, m'imaginant qu'il avait vu le pâté, je baissai les yeux, plus décontenancé par son silence scrutateur que je ne l'aurais été par ses questions, auxquelles j'étais prêt à répondre A la fin, d'un ton solennel: "Monsieur! je lis sur votre figure. Non, monsieur

[ocr errors]

Je lis, vous dis-je .

[ocr errors]

Non, monsieur, c'est le chat," 88 interrompis-je ..

Ici, M. Ratin changea de couleur, tant cette réponse lui sembla dépasser toutes les limites connues de l'irrévérence, et il allait prendre un parti violent, lorsque, ses yeux étant tombés sur le monstrueux pâté, cette vue lui produisit un soubresaut qui, par contre-coup, en produisit un sur moi.

C'était le moment de conjurer l'orage. "Monsieur, pendant que j'étais sorti . . . le chat ... pour acheter une plume parce que j'avais perdu la clef . . . hier au bain

[ocr errors]

...

le chat.
... le chat . . .”

...

...

A mesure que je parlais, le regard de M. Ratin devenait si terrible, qu'à la fin, ne pouvant plus le soutenir, je passai sans transition à l'aveu de mes crimes. "Je mens... monsieur Ratin... c'est moi qui ai fait ce malheur."

Il se fit un grand silence.

"Ne vous étonnez point, monsieur, dit enfin M. Ratin d'une voix solennelle, si l'excès de mon indignation en comprime et en retarde l'expression. Je dirai même que l'expression me manque pour qualifier ...” Ici une mouche ... un souffle de fou rire parcourut mon visage.

Il se fit de nouveau un grand silence.

Enfin M. Ratin se leva. "Vous allez, monsieur, garder la chambre pendant deux jours, pour réfléchir sur votre conduite, tandis que je réfléchirai moi-même au parti que je dois prendre dans une conjoncture aussi grave . . .”

...

Là-dessus M. Ratin sortit en fermant l'appartement, dont il emporta la clef.

L'aveu sincère m'avait soulagé, le départ de M. Ratin m'ôtait la honte, de façon que les premiers moments de ma captivité ressemblèrent fort à une heureuse délivrance; et, sans l'obligation où je me voyais de songer deux jours à mes fautes, je me serais fort réjoui, comme on y est disposé au sortir des grandes crises.

Je me mis donc à songer; mais les idées ne venaient pas. Quand je voulais approfondir ma faute, je n'y voyais de grave que le mensonge, réparé pourtant par un aveu que je me plaisais à trouver spontané. Toutefois, pour la bonne règle," je tâchais de me repentir; et, voyant la peine que j'avais à y parvenir, je commençais à craindre que mon cœur ne fût effectivement déjà bien mauvais, immoral, comme disait M. Ratin, en sorte que je formais avec contrition le projet de renoncer désormais au fou rire.

J'en étais là 40 quand vint à passer dans la rue le marchand de petits gâteaux. C'était son heure. L'idée de manger des petits gâteaux se présenta naturellement à mon esprit; mais je me fis un scrupule de céder à cette tentation de la chair, dans un moment où c'était sur l'âme qu'il m'était enjoint de travailler, de façon que, laissant le marchand attendre et crier, je restai assis au fond de ma chambre.

41

Mais ceux qui ont observé les marchands de petits gâteaux savent combien ils sont tenaces envers la pratique. Celui-ci, bien qu'il ne me vît point paraître encore, ne tirait de cette circonstance aucune induction fâcheuse pour son affaire,11 mais, bien au contraire, continuait à crier avec la plus robuste foi en ma gourmandise. Seulement il ajoutait au mot de gâteaux l'épithète pressante de tout chauds, et il est bien vrai que cette épithète

faisait des ravages dans ma moralité. Heureusement je m'en aperçus et j'y mis bon ordre.

Je crus devoir cependant ne pas laisser dans son erreur cet honnête industriel à qui je faisais perdre un temps précieux; je me mis à la fenêtre pour lui dire que je ne prendrais pas de gâteaux pour ce jour-là. "Dépêchous, me dit-il, je suis pressé

[ocr errors]

J'ai déjà dit qu'il croyait en moi plus que moi-même.

"Non, repris-je, je n'ai point d'argent.

[ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors]
[ocr errors]

Crédit.

Et puis, je n'ai pas faim.
Mensonge.

Et puis, je suis très-occupé.
Vite !

Et puis, je suis prisonnier.

Ah! vous m'ennuyez," dit-il en soulevant son panier comme pour s'éloigner.

Ce geste me fit une impression prodigieuse. criai-je.

"Attendez!" lui

Quelques instants après, une casquette artistement suspendue à une ficelle hissait deux petits gâteaux. . . tout chauds.

"Bête de hanneton, pensais-je en mangeant mon gâteau, qui, avec quatre ailes pour s'envoler, se va jeter dans un puits! Sans cette stupidité inconcevable, je faisais 42 mes devoirs tranquillement, j'étais sage, M. Ratin content, et moi aussi: point de men songe, point de prison Bête de hanne on!"

[ocr errors]

Heureuse idée que j'eus là! J'avais trouvé le bouc expiatoire, en sorte que, peu à peu, le chargeant de tous mes méfaits, ma conscience reprenait un calme charmant. Ce qui y contribuait, je m'imagine, c'est que l'indignation de M. Ratin avait été si forte qu'il avait entièrement oublié de me donner des devoirs à faire. Or, deux jours et point de devoirs, c'était peut-être, de toutes les punitions, celle que j'aurais choisie comme la plus délicieuse. TÖPFFER (1799-1846).

[blocks in formation]
[ocr errors]

Une gare. Chemin de fer de Lyon, à Paris. - Au fond, barrière ouvran! sur les salles d'attente. Au fond, à droite, guichet pour les billets. Au fond, à gauche, bancs. A droite, marchande de gâteaux; à gauche, marchande de livres.

SCÈNE PREMIÈRE.

MAJORIN, UN EMPLOYÉ DU CHEMIN DE FER, Voyageurs, Commissionnaires.

MAJORIN (se promenant avec impatience). Ce Perrichon n'arrive pas ! Voilà une heure que je l'attends . . . C'est pourtant bien aujourd'hui qu'il doit partir pour la Suisse avec sa femme et sa fille ... (avec amertume). Des carrossiers qui vont en Suisse! Des carrossiers qui ont quarante mille livres de rentes!

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

je

Des carrossiers qui ont voiture! Quel siècle! Tandis que moi, je gagne deux mille quatre cents francs un employé laborieux, intelligent, toujours courbé sur son bureau... Aujourd'hui, j'ai demandé un congé j'ai dit que j'étais de garde... Il faut absolument que je voie Perrichon avant son départ. veux le prier de m'avancer mon trimestre . . . six cents francs! Il va prendre son air protecteur . . . faire l'important! . . . un carrossier! ça fait pitié! Il n'arrive toujours pas! on dirait qu'il le fait exprès! (s'adressant à un facteur qui passe suivi de voyageurs). Monsieur à quelle heure part le train direct pour Lyon?...

[ocr errors]

LE FACTEUR (brusquement). Demandez à l'employé. (Il sort par la gauche.)

[ocr errors]
[ocr errors]

MAJORIN. Merci manant! (S'adressant à l'employé qui est près du guichet.) Monsieur, à quelle heure part le train direct pour Lyon?

...

L'EMPLOYÉ (brusquement). Ça ne me regarde pas! voyez l'affiche. (Il désigne une affiche à la cantonade,1 à gauche.) MAJORIN. Merci (A part.) Ils sont polis dans ces administrations! Si jamais tu viens à mon bureau, toi! . . . Voyons l'affiche (Il sort à gauche.)

[ocr errors]

...

SCÈNE II.

L'EMPLOYÉ, PERRICHON, MADAME PERRICHON, HENRIETT (Ils entrent

[merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]

(Regardant à droite; à la cantonade.) Ah! très-bien! Qui

[merged small][ocr errors]

PERRICHON. Et le sac de nuit? . . . les manteaux?
MADAME PERRICHON. Les voici !

« PrécédentContinuer »