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Mais, entre les hommes, quelques-uns ont plus de force ou de corps, ou d'esprit, ou de volonté, et ce sont ceux-là qui cherchent à assujettir les autres, lorsque l'orgueil ou la convoitise étouffe en eux l'amour de leurs frères.

Et Dieu savait qu'il en serait ainsi, et c'est pourquoi il a commandé aux hommes de s'aimer, afin qu'ils fussent 10 unis, et que les faibles ne tombassent point sous l'oppression des forts.

Car celui qui est plus fort qu'un seul, sera moins fort que deux, et celui qui est plus fort que deux sera moins fort que quatre; et ainsi les faibles ne craindront rien lorsque, s'aimant les uns les autres, ils seront unis véritablement.

LAMENNAIS (1782-1854).

V. ÉLOGE FUNEBRE DE FRANKLIN.

A l'Assemblée Constituante (Séance du 11 juin, 1790). MESSIEURS, Franklin est mort!... Il est retourné au sein de la Divinité, le génie qui affranchit l'Amérique, et versa sur l'Europe des torrents de lumière.

Le sage que deux mondes réclament, l'homme que se disputent l'histoire des sciences et l'histoire des empires,1 tenait sans doute un rang élevé dans l'espèce humaine.

Assez longtemps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre. Assez longtemps l'étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites. Les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs. Les représentants des nations ne doivent recommander à leur hommage que les héros de l'humanité.

Le Congrès a ordonné dans les quatorze États de la Con fédération un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et l'Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération pour l'un des pères de sa constitution.

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Ne serait-il pas digne de nous, messieurs, de nous unir à cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu, à la face de l'univers, et aux droits de l'homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre? L'antiquité eût élevé des autels à ce vaste et puissant génie qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. La France, éclairée et libre, doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l'un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté.

Je propose qu'il soit décrété que l'Assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin.

MIRABEAU (1749-1791).

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VI. INDÉPENDANCE DE DUCIS,'

UN trait distinctif du caractère de Ducis, c'était quelque chose de fier, de libre, d'indomptable. Jamais il ne porta, ne subit aucun joug, pas même celui de son siècle; car dans son siècle il fut constamment 2 très-religieux.

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Quand l'ordre social se rétablit avec pompe, lorsqu'on fit l'empire, l'homme qui voulait être la gloire publique de la France et s'occupait d'attirer, d'absorber dans l'abîme de sa renommée toutes les célébrités secondaires, tourna les yeux vers Ducis; il voulait le faire sénateur, Ducis n'en avait nulle envie. Le maître de la France le chercha donc, et voulut l'honorer, le récompenser, l'avoir enfin. En général, il séduisait si facilement, qu'il était tout étonné de trouver quelqu'un qui osât résister, ou même échapper à ses bienfaits.

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Un jour, dans une réunion brillante, il l'aborda comme on aborde un poète, par des compliments sur son génie; ses louanges n'obtiennent rien en retour; il va plus loin, il parle plus nette

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ment; il parle de la nécessité de réunir toutes les célébrités, toutes les gloires de la France, autour d'un pouvoir réparateur Même silence, même froideur. Enfin, comme il insistait, Ducis, avec une originalité toute shakspearienne, lui prend fortement le bias et lui dit: "Général, aimez-vous la chasse?" Cette question inattendue laisse le général embarrassé. “Eh bien, si vous aimez la chasse, avez-vous chassé quelquefois aux canards sauvages? C'est une chasse difficile, une proie qu'on n'attrape guère, et qui flaire de loin le fusil du chasseur. Eh bien, je suis un de ces oiseaux, je me suis fait 10 canard sauvage.” Et, en même temps, il fuit à l'autre bout du salon, et laisse le vainqueur d'Arcole et de Lodi fort étonné de cette incartade.

VILLEMAIN (born 1790).

VII. LA CIGALE ET LA FOURMI.

La cigale ayant chanté

Tout l'été,

Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue:1
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine 2
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
Je vous paîrai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,*
Intérêt et principal.

La fourmi n'est pas prêteuse;
C'est là son moindre défaut.

Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.

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Nuit et jour, à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise..
Vous chantiez! j'en suis fort aise.

Hé bien! dansez maintenant.

LA FONTAINE (1621-1695)

VIII. LA SOURIS.

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LA souris, beaucoup plus petite que le rat, est aussi plus nombreuse, plus commune et plus généralement répandue: elle a le même instinct, le même tempérament, le même naturel et n'en diffère guère que1 par la faiblesse et par les habitudes qui l'accompagnent: timide par nature, familière par nécessité, la peur ou le besoin font 2 tous ses mouvements; elle ne sort de son trou que pour chercher à vivre,1 elle ne s'en écarte guère,5 y rentre✨ à la première alerte; ne va pas, comme le rat, de maisons er maisons, à moins qu'elle n'y soit forcée, fait 10 aussi beaucoup moins de dégâts," a les mœurs plus douces, 12 et s'apprivoise jusqu'à un certain point, mais sans s'attacher: comment aimer en effet ceux qui nous dressent des embûches ? 14

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Plus faible, elle a plus d'ennemis auxquels 15 elle ne peut échapper, ou plutôt se soustraire que par son agilité, sa petitesse même. Les chouettes, tous les oiseaux de nuit, les chats, les fouines, les belettes, les rats même lui font la guerre; on l'attire, on la leurre aisément par des appâts, on la détruit à milliers; 16 elle ne subsiste enfin que par son immense fécondité.

Ces petits animaux ne sont point laids; ils ont l'air vif1 et même assez fin: l'espèce d'horreur qu'on a pour eux n'est fondée que sur les petites surprises et sur l'incommodité qu'ils causent. Toutes les souris sont blanchâtres sous le ventre, et il y en a de blanches sur tout le corps; 18 il y en a aussi de plus ou moins

brunes, de plus ou moins noires. L'espèce est généraleme; répandue en Europe, en Asie, en Afrique; mais on prétend qu'il n'y en avait point en Amérique, et que, celles qui y sont actuellement 20 en grand nombre, viennent 21 originairement de notre continent; ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il paraît que ce petit animal suit 22 l'homme et fuit 23 les pays inhabités,24 par l'appétit naturel qu'il a pour le pain, le fromage, le lard,25 l'huile, le beurre et les autres aliments que l'homme prépare pour luimême.

BUFFON (1707-1788).

IX. CONFIANCE EN DIEU.

DEUX Lommes étaient voisins, et chacun d'eux avait une femme et plusieurs petits enfants, et son seul travail pour les faire vivre.1

Et l'un de ces deux hommes s'inquiétait en lui-même en disant: Si je meurs, ou que 2 je tombe malade, que deviendront ma femme et mes enfants?

Et cette pensée ne le quittait point et elle rongeait son cœur comme un ver ronge le fruit où il est caché.

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Or, bien que la même pensée fût venue1 à l'autre père, il ne s'y était point arrêté; 5 "car, disait-il, Dieu, qui connaît toutes ses créatures, et qui veille sur elles, veillera aussi sur moi, et sur ma femme, et sur mes enfants."

Et celui-ci vivait tranquille, tandis que le premier Le goûtait pas un instant de repos ni de joie intérieurement.

Un jour qu'il travaillait aux champs, triste et abattu à cause de sa crainte, il vit' quelques oiseaux entrer dans un buisson, en sortir, et puis bientôt y revenir encore.

Et s'étant approché, il vit deux nids posés côte a côte, et dans chacun plusieurs petits nouvellement éclos 10 et encore sans plumes.

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Et quand il fut retourné 11 à son travail, de temps en temps il

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