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C'est que le cœur du Roi m'en a été fermé; c'est que, malgré mon entière justification, rien ne m'a encore prouvé qu'il me fût ouvert de nouveau.

Et il me fallait mépriser les accusations d'un Perlet, ne pas lui répondre? Mais, Monsieur, comme vous-même l'avez observé, ce misérable m'avait, dans sa brochure, chargé de tous ses crimes, couvert de son manteau. Si après avoir lu de vos yeux le placard où il m'écrasait de tant d'iniquités, vous m'eussiez vu garder le silence, qu'eussais-je été pour vous? un monstre. Il me fallait vous dissuader; pour vous dissuader, il m'a fallu répondre : comment dès-lors avez-vous pu me condamner au silence?

S'il est prouvé qu'en me calomniant Perlet pouvait me perdre d'honneur, il ne s'agit plus que de savoir si je devais au Roi le sacrifice de cet honneur.

Les ministres du Roi m'ordonnent de continuer une correspondance avec Perlet, qui, resté en France, semblait dévoué à Sa Majesté. Il se trouve que ce Perlet est bien le monstre le plus hideux qui jamais ait existé. Salarié par Buonaparte pour ma

chiner le crime, il écrit de France en Angleterre, aux agents de Louis XVIII, des lettres brûlantes d'amour pour Sa Majesté ; mais tandis qu'il me soutire un argent énorme, sous prétexte d'agir en faveur du parti royaliste, il abrège les jours de mon frère, sequestre ses papiers, assassine mon neveu, tend des filets et creuse un piége pour y faire tomber le Roi. Louis monte sur le trône; il s'avance vers Paris; je précède son retour. Les trames de Perlet vont se dé

couvrir; il le sent, il veut parer le coup, il me reçoit dans ses bras; et en même temps, mettant le comble à tant de scélératesse, il me charge clandestinement de tous les crimes dont il s'est souillé. A l'entendre, j'étais abhorré de mon frère, j'ai fait fusiller mon neveu, j'ai vendu Louis XVIII, trahi la Prusse, escroqué l'Angleterre; et, fidèle espion de Bonaparte qui me stipendiait, de gros trésors sont le fruit de mes forfaits.

La fourbe est trop grossière : pièces en mains, le ministre de la police met à nu le sycophante. Je demande au Roi justice de tant d'atrocités : une commission est nommée; son rapport n'a pas lieu. L'usurpa

teur quitte son ban; le Roi quitte la France: le Ministre de mon Souverain me dépêche de Paris à Vienne; mon Souverain, de Vienne à Gand. A Louis XVIII, dans l'affliction, j'apporte du congrès une lettre de consolation et d'espoir: son Ministre s'en empare, m'écarte, me jette dans un cachot, et fait répondre à Frédéric-Guillaume que je suis un traître et l'homme de Bonaparte.... Frédéric, qui déjà m'avait arraché des prisons du Temple, m'arrache des prisons de Bruxelles; et, aux champs de Waterloo, redonne à Louis les clefs de sa capitale. J'y arrive aussi je veux, comme par le passé, approcher de Sa Majesté, lui demander' justice d'un Perlet, justice de l'affront que vient de me faire subir son Ministre affront si cruel, qu'il est la suite des calomnies de ce Perlet, et leur donne un caractère de vérité : toutes les avenues me sont fermées; tout accès près du Roi m'est désormais interdit.

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Dans mon désespoir, il ne me reste de ressources que de rendre publique ma vie politique, et par-là de briser le masque sur la figure de Perlet. Mon livre paraît, et voilà mon livre enlevé par la police. A ce

coup d'autorité, Perlet, me croyant perdu, consigne aussitôt contre moi, dans un imprimé, toutes les monstruosités que jusqu'alors il s'était contenté de répandre de vive voix et par lettres manuscrites. Et la police, qui a, dans ses archives, la double preuve de mon imperturbable fidélité et de la constante félonie de ce misérable, la police ne fait point disparaître ce libelle.

Il ne me reste qu'un moyen de salut : c'est de saisir mon coquin, de le traîner devant les tribunaux ; et, le glaive de la justice levé sur sa tête impie, de lui arracher l'aven de son crime et de mon inno

cence.

Le succès passe mon espérance.

Mais pour atteindre à ce succès, il me fallut parler de moi, prononcer le nom de Perlet, proférer celui du Roi, et mettre au jour des pièces comme tombées du ciel en mes mains pour foudroyer le coupable: et selon vous, Monsieur, voilà ce que je ne devais pas me permettre.

Plutôt que de parler de ma fidélité, que je ne pouvais prouver sans parler de mes services; plutôt que de révéler des secrets de la police de Bonaparte, plutôt que de pro

noncer simultanément le nom de Perlet et celui de Sa Majesté, selon vous, il était de mon devoir de renfermer mes chagrins dans mon ame, de traîner ma flétrissure, et de laisser dormir mon honneur.

Mais est-il bien à vous, est-il bien à moi cet honneur dont vous me commaudiez le sacrifice? Vous êtes magistrat, vous êtes Français, Monsieur: qu'un imposteur publie sur les toits, crie à vos pairs que vous êtes un juge prévaricateur, un juge qui vendez la justice; dites, repousserezvous la calomnie, ou, gardant le silence, vous verra-t-on chasser de votre siége, et léguer à vos enfants la honte pour héritage?

tout pour lui :

Non, jamais; point de pacte avec l'infamie; tout pour son Roi; son bien, ses sueurs, son celle de ses enfants, tout,

tout, fors l'honneur.

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sang, sa vie, vous dis - je,

Un roi, qui exigerait de son sujet un sacrifice au-dessus de l'humanité, ne serait plus roi.

Mais supposons, contre toute vérité contre tout principe de morale, supposons. qu'il puisse puisse se rencontrer un homme por

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