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Étendue sur un lit de bois blanc dont la grossièreté contrastait singulièrement avec les draps de fine batiste dans lesquels elle était couchée, couverte d'un tartan écossais aux couleurs bariolées, portant sur la tête la coiffe de laine des femmes du Bocage, Marie-Caroline se souleva à demi en voyant entrer M. Berryer, et lui fit signe de s'asseoir sur une chaise qui, avec la table couverte de papiers au milieu desquels on apercevait deux pistolets tout armés, formaient l'ameublement de cet étroit réduit. Quelle entrevue et que d'émotions diverses devaient, indépendamment de leur volonté, assaillir les deux acteurs d'une telle scène! Assurément, jamais audience aux Tuileries n'avait eu pour eux un pareil caractère de solennité et de grandeur.

L'entretien dans lequel toute la question de la Vendée fut discutée, approfondie, absorba la majeure partie de la nuit. M. Berryer plaida la cause de la raison et de la paix, Madame, celle de l'héroïsme et de la chevalerie. Il était difficile qu'ils s'entendissent. M. Berryer, éloquent et persuasif comme toujours, crut cependant avoir convaincu la duchesse, mais jamais il n'avait eu à combattre un adversaire aussi ingénieux dans ses répliques : «Mes amis de Paris, disait-elle, ne connaissent pas l'état des choses; ils n'en sont informés que par ceux qui sont opposés au mouvement. A mon

arrivée ici, ils m'ont offert argent et vaisseaux pour m'embarquer; eh bien! je leur ai répondu : Oui, comme vous avez fait au duc de Bourbon en 1815; et si, au lieu de partir, il fût resté dans le pays, quinze jours après, il eût été à la tête de toute la Vendée, qui alors, eût fait de grandes choses..... >> Cette conversation, dans laquelle la duchesse montrait une agitation presque fébrile, dura jusqu'à quatre heures du matin; Marie-Caroline paraissait alors devoir céder aux raisons habilement développées par son interlocuteur. M. Berryer se retira, en offrant de faciliter le départ de la princesse pour laquelle on s'était procuré un passe-port. Il devait même s'arrêter à un endroit convenu pour y attendre Madame; mais le lendemain il recevait, au contraire, une lettre par laquelle Marie-Caroline lui disait que sa retraite serait honteuse, et qu'elle voulait décidément courir la chance des armes, car elle avait enchaîné trop d'intérêts aux siens pour se soustraire seule aux conséquences de sa descente en France, et les laisser peser sur les autres. M. de Mesnard adressait en même temps à M. Berryer un billet ainsi conçu: « Resté seul près de Madame, dans l'incertitude où l'a laissée votre conversation, ma position est assez délicate. Je déclare que je n'ai pas dit un seul mot à Son Altesse Royale qui ait pu influencer son opinion; sa décision est la suite de ses propres réflexions,

et émane entièrement de son cœur noble et courageux. Elle vient de m'en faire part. Je n'y ai contribué en rien; mais j'avoue que j'y applaudis. »>

Et le maréchal Bourmont recevait également, le 25 mai, la lettre suivante, signée « Marie-Caroline, régente de France » : « Ayant pris la ferme détermination de ne pas quitter les provinces de l'Ouest, et de me confier à leur fidélité depuis si longtemps éprouvée, je compte sur vous, mon bon ami, afin d'adopter toutes les mesures nécessaires pour la prise d'armes qui aura lieu dans la nuit du 3 au 4 juin. J'appelle à moi tous les gens de courage; Dieu nous aidera à sauver notre patrie; aucun danger, aucune fatigue ne me décourageront; on me verra paraître au premier rassemblement. » Le maréchal dut donc faire rapidement connaître à tous les chefs vendéens les formelles intentions de Madame, relativement à la prise d'armes; mais le contre-ordre, qu'il avait donné quelques jours auparavant, avait jeté le trouble et la désorganisation parmi les bandes royalistes; un autre incident non moins grave devait aussi porter un coup bien fatal à l'insurrection vendéenne.

Le général Dermoncourt, qui commandait le département de la Loire-Inférieure sous les ordres du général Solignac placé à la tête de la douzième division militaire, ayant reçu divers rapports lui présentant le château de La Chaslière comme un

centre important des opérations légitimistes, résolut d'y faire une descente. Le 28 mai, à dix heures du soir, trois détachements se dirigeaient, par son ordre, sur le château appartenant à la famille de Laubépin. Lui-même conduisait un de ces détachements; et l'investissement de La Chaslière fut exécuté avec tant de rapidité, que le maître de la maison, M. de Laubépin, ancien intendant militaire, qui se disposait à fuir au moment où les soldats entouraient sa demeure, se vit contraint de rentrer au château dont la porte se referma sur lui, tandis que son frère ne parvenait à se dérober aux poursuites qu'en abandonnant rapidement le cheval qu'il allait monter. Le général Dermoncourt s'était muni d'un mandat d'amener; il fit enfoncer la porte du château, y pénétra, et ordonna de minutieuses recherches qui, d'abord, n'aboutirent qu'à l'arrestation de M. de Laubépin, retiré dans une de ces cachettes inventées par le moyen âge au profit des guerres civiles modernes, mais bientôt amenèrent un résultat de la plus haute importance: des grenadiers, en visitant un cellier, trouvèrent trois bouteilles remplies de papiers. Ces bouteilles furent aussitôt apportées au général et brisées sous ses yeux en présence du maître de la maison, singulièrement troublé de cette découverte. Elles contenaient, en effet, le plan de campagne tout entier des légitimistes de l'Ouest, de Paris et du Midi, et

la correspondance, lettres, notes, billets en chiffres, de la duchesse de Berri avec les principaux chefs de l'insurrection. Cette correspondance faisait connaître que le soulèvement général était fixé à la nuit du 3 au 4 juin.

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Ainsi tous les projets des légitimistes se trouvaient d'avance connus et déjoués. Le contre-ordre avait doublement porté ses fruits, d'abord en décourageant les chefs royalistes, et ensuite en facilitant les compromettantes découvertes de La Chaslière cependant, fidèles au rendez-vous d'honneur qui leur avait été assigné, les Vendéens opérèrent dans la nuit du 3 au 4 juin leur mouvement insurrectionnel; mais ce mouvement, privé d'ensemble, ne produisit que des bandes, sans former nulle part un corps d'armée. Vainement de courageux efforts furent-ils tentés sur plusieurs points, et ce vieux sol des guerres civiles s'abreuva-t-il du sang généreux dont il semblait encore altéré, tous les rassemblements légitimistes, ne s'appuyant qu'incomplétement l'un sur l'autre, furent successivement dispersés. On se battit à Maisdon, à Riaillié, à la Caraterie. Au village du Chêne, près duquel M. de La Roberie avait opéré sa jonction avec M. de Charette, il y eut un très-grave engagement où, des deux côtés, on fit assaut de sang-froid et de courage. A la Pénissière-de-la-Cour, château situé à une lieue et demie de Clisson, une cinquantaine de Vendéens tinrent

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