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et je mets à leur tête une fille que je donne pour sœur à Zacharie. C'est elle qui introduit le chœur chez sa mère. Elle chante avec lui, porte la parole pour lui, et fait enfin les fonctions de ce personnage des anciens chœurs qu'on appelait le coryphée. J'ai aussi essayé d'imiter des anciens cette 5 continuité d'action qui fait que leur théâtre ne demeure jamais vide, les intervalles des actes n'étant marqués que par des hymnes et par des moralités du chœur, qui ont rapport à ce qui se passe.

comme

On me trouvera peut-être un peu hardi d'avoir osé mettre 10 sur la scène un prophète inspiré de Dieu, et qui prédit l'avenir. Mais j'ai eu la précaution de ne mettre dans sa bouche que des expressions tirées des prophètes mêmes. Quoique l'Écriture ne dise pas en termes exprès que Joiada ait eu l'esprit de prophétie, comme elle le dit de son fils, elle le représente 15 un homme tout plein de l'esprit de Dieu. Et d'ailleurs ne paraît-il pas, par l'Évangile, qu'il a pu prophétiser en qualité de souverain pontife? Je suppose donc qu'il voit en esprit le funeste changement de Joas, qui, après trente ans d'un règne fort pieux, s'abandonna aux mauvais conseils des 20 flatteurs, et se souilla du meurtre de Zacharie, fils et successeur de ce grand prêtre. Ce meurtre, commis dans le temple, fut une des principales causes de la colère de Dieu contre les Juifs, et de tous les malheurs qui leur arrivèrent dans la suite. On prétend même que depuis ce jour-là les réponses 25 de Dieu cessèrent entièrement dans le sanctuaire. C'est ce qui m'a donné lieu de faire prédire de suite à Joad et la destruction du temple et la ruine de Jérusalem. Mais comme les prophètes joignent d'ordinaire les consolations aux menaces, et que d'ailleurs il s'agit de mettre sur le trône un des ancêtres 30 du Messie, j'ai pris occasion de faire entrevoir la venue de ce Consolateur, après lequel tous les anciens justes soupiraient. Cette scène, qui est une espèce d'épisode, amène trèsnaturellement la musique, par la coutume qu'avaient plusieurs prophètes d'entrer dans leurs saints transports au son des instruments. Témoin cette troupe de prophètes qui vinrent au-devant de Saül avec des harpes et des lyres qu'on portait devant eux, et témoin Élisée lui-même, qui étant consulté sur

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l'avenir par le roi de Juda et par le roi d'Israel, dit, comme fait ici Joad: Adducite mihi psaltem. Ajoutez à cela que cette prophétie sert beaucoup à augmenter le trouble dans la pièce par la consternation et par les différens mouvements où elle 5 jette le chœur et les principaux acteurs.

ATHALIE.

LES NOMS DES PERSONNAGES.

JOAS, roi de Juda, fils d'Okosias.

ATHALIE, veuve de Joram, aïeule de Joas.

JOAD, autrement Joïada, grand prêtre.

JOSABET, tante de Joas, femme du grand prêtre.

ZACHARIE, fils de Joad et de Josabet.

SALOMITH, Sœur de Zacharie.

ABNER, l'un des principaux officiers des rois de Juda.

Azarias, Ismael, et les trois autres chefs des prêtres et des lévites. MATHAN, prêtre apostat, sacrificateur de Baal.

NABAL, confident de Mathan.

AGAR, femme de la suite d'Athalie.

Troupe de prêtres et de lévites.

Suite d'Athalie.

La Nourrice de Joas.

Chœur de jeunes filles de la tribu de Lévi.

La scène est dans le temple de Jérusalem, dans un vestibule de l'appartement du grand prêtre.

ACTE I.

SCÈNE PREMIÈRE.

JOAD, ABNER.

Abner.

Oui, je viens dans son temple adorer l'Éternel.
Je viens, selon l'usage antique et solennel,
Célébrer avec vous la fameuse journée
Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.

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Que les temps sont changés! Sitôt que de ce jour
La trompette sacrée annonçait le retour,

Du temple, orné partout de festons magnifiques,

Le peuple saint en foule inondait les portiques;

Et tous devant l'autel avec ordre introduits,

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De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits, Au Dieu de l'univers consacraient ces prémices.

Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices.

L'audace d'une femme, arrêtant ce concours,

En des jours ténébreux a changé ces beaux jours.
D'adorateurs zélés à peine un petit nombre

Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre.
Le reste pour son Dieu montre un oubli fatal;
Ou même, s'empressant aux autels de Baal,
Se fait initier à ses honteux mystères,

Et blasphème le nom qu'ont invoqué leurs pères.
Je tremble qu'Athalie, à ne vous rien cacher,
Vous-même de l'autel vous faisant arracher,
N'achève enfin sur vous ses vengeances funestes,
Et d'un respect forcé ne dépouille les restes.

Joad.

D'où vous vient aujourd'hui ce noir pressentiment?

Abner.

Pensez-vous être saint et juste impunément?

Dès longtemps elle hait cette fermeté rare
Qui rehausse en Joad l'éclat de la tiare.

II

15

20

25

Dès longtemps votre amour pour la religion
Est traité de révolte et de sédition.

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Plus méchant qu'Athalie, à toute heure l'assiége,
Mathan, de nos autels infâme déserteur,
Et de toute vertu zélé persécuteur.

C'est peu que le front ceint d'une mitre étrangère,

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Ce lévite à Baal prête son ministère;

Ce temple l'importune, et son impiété
Voudrait anéantir le Dieu qu'il a quitté.

Pour vous perdre il n'est point de ressorts qu'il n'invente;
Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante;

Il affecte pour vous une fausse douceur,

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Et par là de son fiel colorant la noirceur,

Tantôt à cette reine il vous peint redoutable,
Tantôt, voyant pour l'or sa soif insatiable,

Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissez,

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Vous cachez des trésors par David amassés.
Enfin depuis deux jours la superbe Athalie
Dans un sombre chagrin paraît ensevelie.
Je l'observais hier, et je voyais ses yeux
Lancer sur le lieu saint des regards furieux,
Comme si dans le fond de ce vaste édifice
Dieu cachait un vengeur armé pour son supplice.
Croyez-moi, plus j'y pense, et moins je puis douter
Que sur vous son courroux ne soit prêt d'éclater,
Et que de Jézabel la fille sanguinaire

Ne vienne attaquer Dieu jusqu'en son sanctuaire.

Joad.

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Celui qui met un frein à la fureur des flots

Sait aussi des méchans arrêter les complots.

Soumis avec respect à sa volonté sainte,

Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte. Cependant je rends grâce au zèle officieux

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Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux.

Je vois que l'injustice en secret vous irrite,
Que vous avez encor le cœur Israélite.

Le ciel en soit béni. Mais ce secret courroux,
Cette oisive vertu, vous en contentez-vous ?
La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère?
Huit ans déjà passés, une impie étrangère
Du sceptre de David usurpe tous les droits,
Se baigne impunément dans le sang de nos rois,
Des enfants de son fils détestable homicide,

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