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moyenne, étaient bien réellement en lui. Les comuneros n'étaient qu'une tête de parti. Ils ne laissaient pas d'être assez nombreux dans les rangs inférieurs de la milice et pouvaient compter sur le peuple des grandes villes. A Madrid, c'étaient eux qui, au 7 juillet, avaient fait tourner contre les absolutistes la journée méditée par ceux-ci contre la constitution; à Barcelone, c'étaient eux qui avaient forcé les autorités à faire exécuter la sentence rendue contre l'évêque de Vich. Ils régnaient en général dans les ayuntamientos ou municipalités, et c'était par celles-ci qu'ils luttaient contre le gouvernement général des maçons. Quelques-ups des leurs étaient dans les cortès, et ce furent les plus fermes; d'autres avaient des commandements dans l'armée, et ce furent eux qui ne voulurent entendre à aucune composition.

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Les comuneros, ne gouvernant pas, ne purent que seconder avec zèle le peu de dispositions hardies qu'il plut aux maçons d'adopter. Les municipalités des petites villes, presque abandonnées à elles-mêmes par le gouvernement général et composées de comuneros, tâchaient d'imiter le mouvement des anciennes juntes insurrec¬ tionnelles elles faisaient réparer les vieilles enceintes, traîner aux portes des canons hors de service, élever au dehors des retranchements tracés avec ignorance. Tout cela eût été formidable, si, comme dans la dernière guerre, chaque réduit avait eu pour garnison ses habitants, prêtres, hommes, femmes et enfants. Mais cette fois, au lieu d'une sauvage ardeur, il y avait dans les préparatifs de guerre une sorte de vaine décence : tout défenseur de la constitution voulait être un soldat armé,

vêtu, équipé à la française, parce que l'habit montagnard n'était plus bon qu'à couvrir la misère et la lâcheté des soldats de la Foi. Si quelque citoyen influent se mettait en frais de guerre, ce n'était plus pour être chef de bande il prenait un titre militaire, passait en revue la milice de son village et se parait d'un uniforme à broderies. On avait ouvert, pour habiller et armer les miliciens, de vieux magasins où des dépouilles françaises, trophées de la dernière guerre, étaient entassées. C'était un spectacle digne de la bizarre grandeur des événements dont la Péninsule avait été le théâtre depuis quinze ans, que celui de la bigarrure qu'offraient certains corps ainsi équipés et armés à la hâte. Sous les couleurs des comuneros de 1822, sous leur devise Constitucion 6 muerte, on voyait reparaître des casques, des sabres, des lances, des shakos, apportés là par des Polonais, des Allemands, des Italiens, des Français, réunis un moment comme un peuple d'élite dans la main d'un seul homme, et qui, précipités par lui sur l'Espagne, y avaient laissé leurs ossements.

Pendant l'année 1822 et jusqu'à l'invasion française, les comuneros, servis par le danger, firent d'assez grands progrès. On dit que les élections de 1823 les auraient fait entrer en majorité dans les cortès. Mais, lors même qu'ils auraient eu cette majorité, ils n'auraient pu faire sortir la révolution espagnole de ses voies naturelles pour la faire marcher suivant les leurs. Par exemple, cette propriété de plus d'un tiers du sol, sur laquelle se fondait, suivant eux, l'influence du clergé, ils ne seraient point parvenus à la lui enlever par des décrets. Pour que le clergé se résignât à la perte de ses

biens, pour que la bourgeoisie se décidat à les acheter, pour que le produit de ces ventes pût servir à repousser l'invasion étrangère, il fallait plus que la voix d'une grande assemblée et les petits moyens des sociétés secrètes. Il fallait que les cris d'un peuple en fureur apprissent aux prêtres que leur règne était fini, et à ceux qui avaient de l'argent pour acheter les terres nationales qu'on pouvait compter sur des bras si l'ennemi venait contester leurs titres de propriété. Le peuple seul en Espagne peut dépouiller les prêtres; et, tôt ou tard, il le fera. Quand sa misère les accusera plus clairement, ses idées les condamneront bien vite. Aujourd'hui, la misère s'accroissant avec rapidité, on peut croire que les idées nécessaires au plus grand pas que la révolution espagnole ait à faire suivront de près celles qui règnent encore à présent, et qui elles-mêmes ont fait succéder la haine contre les negros à la haine contre Bonaparte.

Un parti qui gouvernait avec des moyens faibles et des passions épuisées; un autre parti qui aspirait à gouverner, et qui avait de l'énergie, mais point de force; une armée en défaveur, sans instruction, et commandée par des chefs qui tous n'avaient pas sa confiance; des milices nombreuses, mais d'un patriotisme turbulent, d'une indiscipline et d'une ignorance infaillibles causes de lâcheté; des provinces entières livrées à un système de répression terrible; un trésor vide; un crédit usé; des grandes routes couvertes de brigands et de révoltés; une attitude diplomatique entièrement déconsidérée là où elle n'excitait point de colères sérieuses: telle était cette Espagne constitutionnelle contre laquelle, au commencement de 1823 et

après trois années d'une dissimulation bien superflue, notre ministère envoya cent mille hommes sous un prince français.

La déclaration de guerre si longtemps différée élevait au rang de régence provisoire l'une des juntes absolutistes, qui jusque-là avaient cru diriger le mouvement anticonstitutionnel. Elle transformait en armée royale ces bandes indisciplinables que la frontière française avait tant de fois sauvées d'une destruction certaine; et c'était comme auxiliaires de cette prétendue armée qu'on allait faire entrer en Espagne les troupes jusqu'alors employées à protéger nos départements méri– dionaux contre les inconvénients de l'hospitalité offerte à des gens sans pain et sans habits. On ne reviendra pas sur ce qui a été dit pour rétablir le véritable caractère politique de cette émigration espagnole, au secours de laquelle la sainte alliance devait marcher à notre défaut, et même malgré nous, en prenant passage sur notre territoire; c'est du moins la menace qu'un ministre nous fit en demandant de l'argent pour cette guerre. La suite des événements a cruellement détrompé ceux qui, de bonne foi, avaient vu dans l'insurrection espagnole un mouvement tout religieux et royaliste; elle a durement humilié, dans leurs combinaisons, les hommes habiles qui avaient espéré gagner en Espagne des batailles contre nos institutions. A cette démonstration si bien donnée par le temps, il n'y a rien à ajouter. Mais ce qu'on oserait à peine avancer aujourd'hui, et ce que le temps encore rendra croyable, c'est qu'il s'en est peu fallu que l'insurrection populaire, dans certaines parties de l'Espagne, ne fût un mouvement des comu

neros contre les maçons, au lieu de l'effort des absolutistes contre les constitutionnels. Bessières, vaincu et pris, en 1825, à la tête des premiers agraviados, avait été condamné à mort à Barcelone en 1821, comme agent d'une conspiration républicaine dans laquelle figuraient des hommes d'un patriotisme très connu, entre autres un célèbre général, et cette conspiration devait éclater dans les lieux mêmes où parurent les premières bandes de la Foi. Deux sortes d'hommes ont toujours concouru à la formation de ces bandes, ceux qui, par disposition d'esprit, ou par quelque cause matérielle de dépendance, portent le joug des moines, et les turbulents qui vivent indifféremment de la contrebande, du vol de grand chemin, ou de la guerre civile, véritables borderers (1) des Pyrénées, toujours aux prises avec les douaniers de l'une ou de l'autre frontière, quand ce n'est pas avec les escortes militaires ou les cavaliers de la police. Les fanatiques, sans être plus nombreux que les turbulents, ont donné à ceux-ci le mot d'ordre dans la guerre de 1822 à 1823, parce que leurs relations avec la France et tous les absolutistes de l'Europe leur ont permis d'assurer la piécette par jour à qui s'armerait pour le roi tout seul contre la constitu– tion. Mais les Bessières, les Carajol, les Carnicer, les Locho, les Jeps-del-Estangs n'étaient ni les amis ni les dupes du trappiste et du père Pugnal, et, célébrés en France à l'égal des Quesada et des d'Éroles (2), traités

(1) Tous les lecteurs de Walter Scott savent ce qu'étaient autrefois ces habitants des frontières qui séparent l'Écosse de l'Angleterre.

(2) On trouve, dans une brochure publiée l'année dernière, sous le titre Des Agraviados d'Espagne, des renseignements très curieux sur les princi

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