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LA COMTESSE D'ESCAR BAGNAS,

COMEDIE,

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIER.

JULIE, LEVICOMTE,

H

LE VICQ M T E.

E'quoi, Madame, vous eftes déja icy
JULIE.

Oui, vous en devriez rougir, Cleante, & il n'eft guere honneste à un Amant de venir le dernir au rendez-vous.

LE VICOM T-E.

Je ferois icy il y a une heure, s'il n'y avoit point de fâcheux au monde, & j'ai efté arresté en chemin par un vieux importun de qualité, qui m'a demandé tout exprés des nouvelles de la Cour, pour trou

m'a

de m'en dire des plus extravagantes ver le moyen qu'on puiffe debiter; & c'eft-là, comme vous fçavez, le fleau des petites Villes, que ces grands Nou vellistes qui cherchent par tout où répandre des contes qu'ils ramaffent, Celui-cy m'a montré d'abord deux feuilles de papier, pleines jufques aux bord, d'un grand fatras de balivernes, qui viennent, t-il dit, de l'endroit le plus feur du monde. En fuite, comme d'une chofe fort curieuse, il m'a fait avec grand myftere une fatigante lecture de toutes les méchantes plaifanteries de la Gazette d'Hollande, dont il époufe les interefts. Il tient que la France eft batuë en ruine par la plume de cet Ecrivain, & qu'il ne faut que ce bel efprit pour défaire toutes nos Troupes; & de là s'eft jetté à corps perdu dans le raifonnement du Miniftere, dont il remarque tous les defauts, & d'où j'ai creu qu'il ne fortiroit point. A l'entendre parler, il fçait les fecrets du Cabinet mieux que ceux qui les font. La politique de l'Eftat lui laif, fe voir tous les deffeins, & elle ne fait pas un pas, dont il ne penetre les intentions. Il nous apprend les refforts cachez de tout ce qui fe fait, nous découvre les veues de la prudence de nos voisins, & remuë à fa fantaisie toutes les affaires de l'Europe, Ses intelligences mefmes s'étendent jufques en Afrique, & en Afie; & il eft informé de tout ce qui s'agite dans le Confeil d'enhaut du Prête Jean, & du grand Mogol.

JULIE.

Vous parez voftre excufe du mieux que vous pouvez, afin de la rendre agreable, & faire qu'elle foir plus aisément receuë.

LE VICOMTE.

C'eft-là, belle Julie, la veritable cause de mon retardement, & fi je voulois y donner une excufe galante, je n'aurois qu'à vous dire, que le rendez-vous

que vous voulez prendre peut authorifer la pareffe dont vous me querellez. Que m'engager à faire l'Amant de la Maiftreffe du logis, c'eft me mettre en eftat de craindre de me trouver icy le premier, Que cette feinte où je me force n'eftant que pour vous plaire, j'ai lieu de ne vouloir en fouffrir la contrainte, que devant les yeux qui s'en divertiffent. Que j'évite le tefte à tefte avec cette Comteffe ridicule, dont vous m'embarraffez; & en un mot que ne venant icy que pour vous, j'ai toutes les raifons du monde d'attendre que vous y foyez.

JULIE.

Nous fçavons bien que vous ne manqueréz jamais d'esprit, pour donner de belles couleurs aux fautes que vous pourrez faire. Cependant fi vous estiez venu une demie heure plûtoft, nous aurions profité de tous ces momens; car j'ai trouvé en arrivant que la Comteffe eftoit fortie, & je ne doute point qu'elle ne foit allée par la Ville, fe faire honneur de la Comedie, que vous me donnez fous fon nom.

LE VICOMTE.

Mais tour de bon, Madame, quand voulez-vous mettre fin à cette contrainte, & me faire moins acheter le bonheur de vous voir?

JULIE.

Quand nos Parens pourront estre d'accord, ce que je n'ofe efperer. Vous fçavez comme moi, que les deme flez de ne nos deux familles, ne nous permet tent point de nous voir autre part, & que mes freres non plus que vostre pere, ne font pas allez raifonnables pour fouffrir noftre attachement.

que

LE VICOMTE.

Mais pourquoi ne pas mieux jouïr du rendez-vous leur inimitié nous laiffe, & me contraindre à perdre en une fotte feinte, les momens que j'ai prés de vous ?

JULIE.

Pour mieux cacher noftre amour; & puis à vous dire la verité, cette feinte dont vous parlez m'eft une Comedie fort agreable, & je ne fçay fi celle que vous nous donnez aujourd'huy nous divertira davantage. Noftre Comtefie d'Efca bagnas, avec fon perpetuel enteftement de qualité, eft un auffi bon perfonnage qu'on en puifle mettre fur le Theatre. Le petit voyage qu'elle a fait à Paris, l'a ramenée dans Angoulefme, plus achevée qu'elle n'eftoit. L'approche de l'air de la Cour a donné à fon ridicule de nouveaux agrémens, & fa fottife tous les jours ne fait que croistre & embellir.

LE VICOMTE.

Qui, mais vous ne confiderez pas que le jeu qui vous divertit, tient mon cœur au fupplice, & qu'on n'eft point capable de fe jouer long-temps,lors qu'on a dans l'efprit une paffion auffi ferieufe, que celle que je fens pour vous. Il eft cruel, belle Julie, que cet amusement dérobe à mon amour un temps qu'il voudroit employer à vous expliquer fon ardeur; & cette nuit j'ai fait là-deffus quelques Vers, que je ne puis m'empefcher de vous reciter, fans vous me que fe demandiez, tant la demangeaifon de dire fes Ouvrages, eft un vice attaché à la qualité de Poëte,

C'eft trop long-temps, Iris, me mettre à la

torture.

Iris, comme vous le voyez, eft mis-là pour Fulie. C'eft trop long-temps, Iris, me mettre à la torture, Et fi je fuis vos loix, je les blâme tout bas, De me forcer à taire un tourment que j'endure. Pour declarer un mal queje ne reffens pas,

Faut-il que vos beaux yeux à qui je rends les armes
Veüillent fe divertir de mes triftes foûpirs?
Et n'eft-ce pas affez de fouffrir pour vos charmes,
Sans me faire fouffrir encor pour vos plaisirs ?

C'en eft trop à la fois, que ce double martyre,
Et ce qu'il me faut taire, & ce qu'il me faut dire,
Exerce fur mon cœur pareille cruauté.

L'amour le met en feu, la contrainte le tuë,
Et fi par la pitié vous n'eftes combatuë,
Je meurs, & de la feinte, & de la verité.

JULIE.

Je vois que vous vous faites-là bien plus mal-traité que vous n'eftes; mais c'eft une licence que prennent Meffieurs les Poëtes, de mentir de gayeté de cœur, & de donner à leurs Maiftreffes des cruautez qu'elles n'ont pas, pour s'accommoder aux pensées qui leur peuvent venir. Cependant je feray bien aife que vous me donniez ces Vers par écrit.

LE VICOMTE.

C'eft affez de vous les avoir dits, & je dois en demeurer-là, il eft permis d'eftre parfois affez fou pour faire des Vers, mais non pour vouloir qu'ils foient

veus.

JULIE.

C'eft en vain que vous vous retranchez fur une fauffe modeftie, on fçait dans le monde que vous avez de l'efprit, & je ne voi pas la raison qui vous oblige à cacher les voftres.

LE VICOMTE.

Mon Dieu, Madame, marchons là-deffas, s'il vous plaift, avec beaucoup de retenue; il eft dangereux dans le monde de fe mefler d'avoir de l'efprit. Il y a là-dedans un certain ridicule qu'il eft facile

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