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dont l'extradition est envisagée comme un instrument nécessaire. C'est pourquoi la résolution votée à Oxford en 1880 par l'Institut de Droit international ne pose pas comme une règle que l'Etat doive toujours extrader son sujet. Elle se borne à repousser la prohibition absolue de l'extradition des sujets par l'Etat. Elle suppose la similitude entre les institutions des deux Etats contractants. Elle admet que l'Etat peut se réserver d'accorder l'extradition qu'on lui demande de ses sujets. Cette réserve n'implique ni le devoir de consentir, ni celui de refuser l'extradition des nationaux; et dans cette limite elle soutient comme règle générale et ordinaire que l'Etat du lieu du délit doit être préféré pour procéder au jugement et à son exécution. Mais elle implique, en admettant sa réserve, que le gouvernement de l'Etat doit avoir les moyens de protéger les droits de ses sujets, sans se soustraire au devoir de les soumettre à sa justice nationale au lieu de les extrader.

En résumant nos observations, nous présentons aux ap préciations du prochain Congrès de Bruxelles ces propositions:

1o En général, l'extradition des nationaux devrait avoir lieu, aussi bien que celle des étrangers, en vertu du principe de territorialité qui accompagne la justice pénale.

2o Cette règle doit être accompagnée de réserves jusqu'à l'heure où les lois des nations civilisées sur la répression du délit auront cette empreinte d'analogie qui prévienne pour l'extradé la violation des garanties que lui offre sa loi nationale.

3o Les différents traités sur l'extradition doivent consacrer non pas le devoir de consentir à l'extradition des nationaux, ni non plus le devoir de la refuser, mais la liberté pour l'Etat requis ou de l'accorder, ou de la refuser, en soumettant son sujet à la justice du pays.

Naples, 12 juin 1899.

PREMIÈRE SECTION

DEUXIÈME ET TROISIÈME QUESTIONS

Faut-il admettre l'extradition des nationaux?

Quels sont les principes à suivre en déterminant les limites de la compétence de la justice criminelle quant à la poursuite de délits commis à l'étranger ou en coopération avec des individus, nationaux ou étrangers, résidant à l'étranger?

RAPPORT

PRÉSENTÉ PAR

M. PIERRE POUSTOROSLEW, D', professeur et doyen à l'université impériale de Iouriew.

L'extradition est l'acte par lequel un Etat livre une personne inculpée ou condamnée à raison d'une infraction pénale commise hors de son territoire à un autre Etat qui a le droit de juger et de punir cet individu. L'extradition des inculpés est accordée pour les laisser juger et punir à l'étranger. Les condamnés à l'étranger en vertu de sentences ayant force de chose jugée sont extradés pour être punis.

Il est incontestable qu'il y a des cas, où un Etat peut ou doit extrader les étrangers à raison d'infractions pénales com

mises hors de son territoire. Quant à l'extradition des nationaux, c'est là une question controversée. La majorité des Etats et des savants de notre temps tient à la solution négative.

Essayons d'élucider cette question. Mais, avant de l'aborder, tâchons de démontrer le principe au point de vue duquel elle doit être résolue.

Chaque peuple civilisé s'efforce, dans la mesure de son développement, de ses forces et du possible, de satisfaire à tous ses besoins matériels et moraux 1). Ceux-ci sont très nom breux et très différents, et plusieurs sont susceptibles d'un grand développement. Si les circonstances sont favorables, un peuple civilisé s'efforce toujours de développer ses besoins et de chercher à augmenter et à améliorer les moyens propres à les satisfaire. Ce sont là des conclusions irréfutables auxquelles on est conduit tout naturellement, en observant la vie des peuples civilisés.

En considérant ces conclusions et en sachant que la satisfaction d'un besoin procure un bien-être correspondant, nous pouvons constater que tout peuple civilisé tâche, dans la mesure de son développement, de ses forces et du possible, d'augmenter ou sinon de conserver du moins son bien-être matériel et moral. Assurer le plus possible son bien-être, c'est là le plus élevé de tous les buts poursuivis en réalité par un peuple civilisé.

Les peuples civilisés sont organisés politiquement. Ils forment des Etats. L'Etat civilisé est un peuple civilisé réuni sous un pouvoir social et central dans une union indépendante et souveraine.

L'Etat civilisé voue une grande sollicitude au bien-être public, c'est-à-dire, au bien-être de l'ensemble du peuple. Nous voyons déjà aujourd'hui chaque Etat civilisé reconnaître dans le bien-être public le plus important des principes qui doivent diriger l'Etat dans l'exercice de toutes ses fonctions sociales: législation, administration et justice. Quant à la marche du progrès, le bien-être du peuple tend de plus en plus à lui sub

1) Sous le nom de « besoins moraux» nous entendons non seulement les besoins de la morale, mais tous les besoins qui doivent aux facultés mentales de l'être humain comme, par exemple, les besoins religieux ou esthétiques.

ordonner tous les autres principes et à diriger souverainement l'Etat dans l'exercice de toutes les fonctions sociales. Plus le temps marche, plus aussi se manifeste la justesse de la maxime, suivant laquelle, pour l'Etat civilisé comme pour chacun de ses vrais citoyens, le bien-être du peuple entier ou de l'ensemble de tous les citoyens doit être beaucoup plus cher que celui des individus, ou que celui de telles ou telles classes de la population, ou que celui d'autres Etats et peuples.

Ces observations faites, il est évident que le bien-être public, matériel et moral, le plus grand possible, est le seul principe qui doive servir de guide à tout Etat civilisé qui s'avance dans la voie du progrès. Cet Etat ne doit constituer le droit et diriger la politique que d'après les exigences du principe énoncé. Les besoins de l'Etat le réclament.

Si le principe du bien-être public doit jouer le rôle du principe-directeur dans le droit et dans la politique de tout Etat civilisé qui progresse, la question de l'extradition des nationaux doit être traitée et décidée du point de vue de ce principe.

Ce principe étant posé, passons à la question indiquée au programme.

Le bien-être du peuple dépend de plusieurs conditions. Pour le bien-être du peuple de même que pour la prospérité de l'Etat, il est nécessaire que l'ordre juridique règne dans l'Etat et qu'il réponde suffisamment aux besoins matériels et moraux et aux conditions de la vie des citoyens.

Ce n'est pas là une phrase, c'est une opinion démontrée par les faits.

L'Etat est un groupement d'êtres humains. C'est un groupe qui a formé une union sociale permanente, propre à comprendre dans ce lien non seulement ses premiers pionniers, mais aussi leurs descendants et successeurs et qui s'est donné une organisation directrice spéciale et s'est constitué en unité indépendante et souveraine.

Il n'est pas le produit du hasard ou d'aspirations ambitieuses, il est le résultat grandiose d'efforts assidus, longs et innombrables que faisaient les êtres humains pendant des siecles pour satisfaire les exigences de leur besoin particulier. Ce n'est pas un

besoin inné: on ne le rencontre pas chez les sauvages qui occupent l'échelon inférieur de l'évolution mentale, par exemple, chez les Guaharibos. C'est un besoin dérivé: la vie, de sa main puissante, l'a gravé dans le cœur humain. Sous l'influence des besoins personnels et principalement de celui de la sûreté contre les ennemis et la faim, sous l'influence de la coexistence des hommes, sous l'influence de plusieurs conditions de la vie, un besoin nouveau s'est formé peu à peu au cours des siècles dans le cœur de l'homme. Les êtres humains ont éprouvé le besoin de se réunir dans des unions solides, fortes et indépendantes. En le satisfaisant en réalité, les hommes ont formé les Etats.

La vie a fait naître chez les individus le besoin de s'unir pour former des Etats, et la vie l'entretient constamment, implacablement, en démontrant aux hommes par l'expérience, que, sans union politique représentée par l'Etat, il est très difficile et souvent même impossible d'assurer la satisfaction de plusieurs autres besoins urgents. Voilà pourquoi le besoin de s'unir dans un Etat est si profond, si tenace qu'il persiste à travers les siècles. Le besoin acquis et l'Etat fondé, le peuple conserve la vie politique bien qu'avec le temps, les besoins et les conditions de l'existence changés gravement, il soit entraîné à changer aussi la forme de son gouvernement.

L'Etat est né du besoin qu'ont les hommes d'assurer, par l'union politique, incarnée dans l'Etat, la possibilité de satisfaire à leurs besoins urgents. Ce besoin renferme en lui non seulement celui de s'unir en un Etat, mais encore un autre besoin. Le dernier réclame que l'Etat constitue par sa volonté et maintienne par sa force un tel ordre de relations extérieures entre les hommes, qui assure aux citoyens la possibilité de satisfaire à leurs besoins urgents. Ce besoin nouveau, au commencement très obscur et confus chez les hommes, dont la réalisation est confiée à l'Etat, n'est autre chose que celui d'établir et de soutenir l'ordre juridique, le droit. Forcé par sa nature et sa fonction, l'Etat n'a pu faire autre chose que d'y satisfaire.

Dans les temps anciens, quand l'Etat n'existait point, il n'y avait pas d'union sociale qui dominât sur les individus, leurs volontés et leurs forces, et qui eût été propre à constituer l'ordre juridique par sa volonté et sa force. Mais, dès que cette

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