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l'autorité de la métropole dans les contrées lointaines qui avaient jadis fait sa richesse et sa force. Encouragées par un funeste exemple à persévérer dans la révolte, les provinces où elle avait déjà éclaté, trouvèrent dans les évènemens du mois de Mars, la meilleure apologie de la désobéissance, et celles qui restaient encore fidèles, se séparèrent aussitôt de la mère-patrie, justement effrayées du despotisme, qui allait peser sur son infortuné souverain et sur un peuple que d'imprévoyantes innovations condamnaient à parcourir tout le cercle des calamités révolutionnaires.

Au déchirement de l'Amérique ne tardèrent pas à se joindre les maux inséparables d'un état de choses où tous les principes constitutifs de l'ordre social avaient été mis en oubli.

L'anarchie parut à la suite de la révolution, le désordre à la suite de l'anarchie. De longues années d'une possession tranquille cessèrent bientôt d'être un titre suffisant de propriété; bientôt les droits les plus solennels furent révoqués en doute; bientôt des emprunts ruineux et des contributions sans cesse renouvelées, attaquèrent à-la-fois la fortune publique et les fortunes particulières. Comme aux jours dont l'idée seule fait encore frissonner l'Europe, la religion fut dépouillée de son patrimoine; le trône du respect des peuples; la majesté royale outragée, l'autorité transportée dans des réunions où les passions aveugles de la multitude s'arrachaient les rênes de l'état. Enfin comme à ces mêmes jours de deuil si malheureusement reproduits en Espagne, on vit au 7. Juillet le sang couler dans la demeure des Rois, et une guerre civile embraser la Péninsule.

Depuis près de trois ans, les puissances alliées s'étaient toujours flattées que le caractère espagnol, ce caractère si constant et si généreux, dès qu'il s'agit du salut de la patrie, et naguère si héroique quand il luttait contre un pouvoir enfanté par la révolution se réveillerait enfin jusque dans les hommes qui avaient eu le malheur d'être infidèles aux nobles souvenirs que l'Espagne peut citer avec orgueil à tous les peuples de l'Europe. Elles s'étaient flattées que le gouvernement de S. M. C. détrompé par les premières leçons d'une expérience fatale, prendrait des mesures, si non pour arrêter d'un commun accord tant de maux qui déjà se débordaient de toutes parts, au moins pour jeter les fondemens d'un système réparateur, et pour assurer graduellement au trône ses droits légitimes et ses prérogatives nécessaires; aux sujets une juste protection, aux propriétés d'indispensables garanties. Mais cet espoir a été complètement déçu. Le temps n'a fait qu'amener de nouvelles injustices; les violences se sont multipliées; le nombre des victimes a grossi dans une effrayante proportion, et l'Espagne a déjà vu plus d'un guerrier, plus d'un citoyen fidèle porter sa tête sur un échafaud.

C'est ainsi que la révolution du 9. Mars avançait de jour en jour la ruine de la monarchie espagnole, lorsque deux circonstances particulières vinrent appeler sur elle la plus sérieuse attention des gouvernemens étrangers.

Au milieu d'un peuple pour qui le dévouement à ses rois est un besoin et un sentiment héréditaire; qui pendant six années consécutives, a versé le

sang le plus pur pour reconquérir son monarque légitime; ce monarque et son auguste famille viennent d'être réduits à un état de captivité notoire et presqu' absolu. Ses frères, contraints de se justifier, sont menacés journellement du cachot ou du glaive, et d'impérieuses représentations lui ont interdit, avec son épouse mourante, la sortie de la capitale.

D'autre part, après les révolutions de Naples et du Piémont, que les conspirateurs espagnols ne cessent de représenter comme leur ouvrage, on les entend annoncer que leurs plans de bouleversemens n'ont pas de limites. Dans un pays voisin, ils s'efforcent avec une persévérance que rien ne décourage, à faire naître les troubles et la rébellion. Dans des états plus éloignés, ils travaillent à se créer des complices; l'activité de leur prosélytisme s'étend partout, et partout elle prépare les mêmes désastres.

Une telle conduite devait forcément exciter l'animadversion générale. Les cabinets qui désirent sincèrement le bien de l'Espagne, lui manifestent depuis deux ans leur pensée, par la nature des rapports qu'ils entretiennent avec son gouvernement. La France se voit obligée de confier à une armée la garde de ses frontières, et peut-être faudra-t-il qu'elle lui confie également le soin de faire cesser les provocations dont elle est l'objet. L'Espagne elle-même se soulève en partie contre un régime que repoussent ses moeurs, la loyauté connue de ses habitans et ses traditions toutes monarchiques.

Dans cet état des choses, l'Empereur, notre auguste maître, s'est décidé à faire une démarche qui ne pourra laisser à la nation espagnole aucun doute sur ses véritables intentions, ni sur la sincérité des voeux qu'il forme pour son bonheur.

Il est à craindre que les dangers, toujours plus réels du voisinage, ceux qui planent sur la famille royale, et les justes griefs d'une puissance limitrophe, ne finissent par amener entre elle et l'Espagne les plus graves complications.

C'est là l'extrémité facheuse que S. M. I. voudrait prévenir, s'il est possible; mais tant que le Roi sera hors d'état de témoigner librement sa volonté; tant qu'à la faveur d'un ordre de choses déplorable, des artisans de révolution, liés par un pacte commun à ceux des autres contrées de l'Europe, chercheront à troubler son repos, est-il au pouvoir de l'Empereur, est-il au pouvoir d'aucun monarque d'améliorer les relations du gouvernement espagnol avec les puissances étrangères?

D'un autre côté, combien ce but essentiel ne serait-il pas facile à atteindre, si le Roi recouvrait avec son entière liberté le moyen de mettre un terme à la guerre civile, de prévenir la guerre étrangère, et de s'entourer des plus éclairés et des plus fidèles de ses sujets pour donner à l'Espagne les institutions que demandent ses besoins et ses voeux légitimes.

Alors, affranchie et calmée, elle ne pourrait qu'inspirer à l'Europe la sécurité dont elle jouirait elle-même; et alors aussi les puissances qui réclament aujourd'hui contre la conduite de son gouvernement, s'empresseraient de rétablir avec elle des rapports d'amitié véritable et de mutuelle bienveillance.

Il y a long-temps que la Russie signale ces grandes vérités à l'attention des Espagnols. Jamais leur patriotisme n'eut de plus hautes destinées à remplir. Quelle gloire pour eux que de vaincre une seconde fois la révolution, et de prouver qu'elle ne saurait exercer d'empire durable sur cette terre où d'anciennes vertus, un fond indélébile d'attachement aux principes qui garantissent la durée des sociétés, et le respect d'une sainte religion, finiront toujours par triompher des doctrines subversives et des séductions mises en oeuvre pour étendre leur fatale influence. Déjà une partie de la nation s'est prononcée. Il ne tient qu'à l'autre de s'unir dès à présent à son Roi pour délivrer l'Espagne, pour la sauver, pour lui assigner dans la famille européenne une place d'autant plus honorable, qu'elle aurait été arrachée comme en 1814 au triomphe désastreux d'une usurpation militaire.

En vous chargeant, Mr. le Comte, de faire part aux ministres de S. M. C. des considérations développées dans cette dépêche, l'Empereur se plait à croire que ses intentions et celles de ses alliées ne seront point méconnues. En vain la malveillance essayerait-elle de les présenter sous les couleurs d'une ingérence étrangère, qui prétendrait dicter des lois à l'Espagne.

Exprimer le désir de voir cesser une longue tourmente, de soustraire au même joug un monarque malheureux, et un des premiers peuples de l'Europe; d'arrêter l'effusion du sang, de favoriser le rétablissement d'une administration tout-à-fait sage et nationale; certes, ce n'est point attenter à l'indépendance d'un pays, ni établir un droit d'intervention contre lequel une puissance quelconque ait raison de s'élever. Si S. M. I. nourrissait d'autres vues, il ne dépendrait que d'elle et de ses alliés de laisser la révolution d'Espagne achever son ouvrage. Bientôt tous les germes de prospérité, de richesse et de force, seraient détruits dans la péninsule; et si la nation espagnole pouvait aujourd'hui supposer ces destins hostiles, ce serait dans l'indifférence et dans l'immobilité seules qu'elle devrait en trouver la preuve.

La réponse qui sera faite à la présente déclaration va résoudre des questions de la plus haute importance. Vos instructions de ce jour vous indiquent la détermination que vous aurez à prendre si les dispositions de l'autorité publique à Madrid rejettent le moyen que vous leur offrirez d'assurer à l'Espagne un avenir tranquille et une gloire impérissable.

Dépêche supplémentaire adressée au chargé d'affaires Russe à Madrid,

datée de Vérone du 1. Novembre 1822.

Dans l'instruction que vous recevez aujourd'hui, nous avons attaqué sans ménagement la constitution votée par les cortès en 1812, et nous n'avons pas balancé à attribuer au mode d'administration qu'elle consacre, presque tous les malheurs dont gémit l'Espagne.

Tant de faits démontrent cette vérité, que certainement personne en Europe n'osera la révoquer en doute. Une charte qui établit pour le peuple

un droit de souverainété, dont l'exercice est heureusement impossible, mais dont la simple théorie, une fois admise, enfante encore des calamités; une charte qui n'appelle à la confection des lois que la seule classe intéressée à leur absence, qui ne laisse pas même au monarque la faculté de se choisir librement une épouse, et qui dissémine, pour ainsi dire, la puissance publique entre les mains d'autorités sans nombre, qu'instituent les cinq cents articles dont elle se compose, une telle charte ne saurait trouver pour défenseur aucun publiciste éclairé, aucun des hommes qui savent que l'ordre et la paix sont les premiers buts, comme les premiers élémens du bonheur des sociétés.

Mais plus le système de la charte espagnole est vicieux, plus les révolutionnaires s'efforceront de le maintenir, et par conséquent, plus ils chercheront d'argumens en faveur de leur ouvrage. Au nombre de ceux qu'ils essayeront de faire valoir, vous verrez probablement, Mr. le Comte, figurer en première ligne, la reconnaissance et la garantie de la constitution des cortès, stipulées en 1812, par le traité de Velyky-Louky. Il est donc indispensable que je vous fasse connaître à cet égard, la pensée de l'Empereur et l'explication cathégorique que vous aurez à donner.

Lors de la conclusion du traité de Velyky-Louky, Ferdinand VII était captif, et il n'existait en Espagne d'autre autorité espagnole que les cortès réunis à Cadix. A la même époque la Russie en s'armant contre l'ennemi commun, devait nécessairement s'allier à l'Espagne. Elle le devait dans son propre intérêt, elle le devait dans l'intérêt de l'Europe, elle le devait enfin, dans l'intérêt de l'Espagne elle-même qui ne pouvait recevoir ni trop d'encouragemens ni trop de secours. Mais dans l'état où les choses se trouvaient alors, toute négociation avec le Roi était impossible. Il fallait conséquemment négocier avec les cortès, et, en négociant avec eux, reconnaître et garantir le régime national qu'ils venaient de créer pour leur patrie. D'autre part, cette reconnaissance et cette garantie devaient nécessairement avoir le caractère que portait ce régime lui-même. Promulgué durant l'absence et la captivité du Roi, il exigeait la sanction royale dès que S. M. C. serait rendue à la liberté. Il ne pouvait donc être et n'était réellement que provisoire et conditionnel, lors de la signature du traité de Velyky-Louky. Delà aussi la nature provisoire et conditionnelle de la garantie accordée dans le temps par le cabinet de St. Pétersbourg. Cette réserve n'avoit pas besoin d'être exprimée d'une manière spéciale, car elle résultait implicitement de l'essence des objets auxquels la garantie elle-même était applicable. comment en effet, stipuler une garantie perpétuelle, pour un acte qu'un tiers avait encore le droit de changer et de modifier à sa volonté? Ce changement ne tarda point à s'accomplir, et le Roi rentré dans ses états, abolit la constitution des cortès. Ni l'Espagne ni la Russie n'invoquèrent alors la garantie du traité de 1812; l'Espagne parcequ'elle voyait son monarque user d'un pouvoir dont la légitimité était incontestable; la Russie, parcequ'elle se serait attribué une autorité supérieure à celle du Roi, si elle avait voulu maintenir

Et

contre son gré, la charte de Cadix. Depuis ce moment, l'Empereur a toujours regardé comme aussi nulles de droit que de fait, une reconnaissance et une garantie stipulée dans des conjonctures, où elles étaient nécessaires, sans jamais pouvoir être indéfiniment obligatoires.

D'ailleurs, supposé même que cette nullité n'existait pas, ou qu'elle fût moins évidente, la Russie est trop franche, trop sincèrement amie de la nation espagnole pour qu'un traité quelconque puisse lui faire désirer la prolongation d'un régime qui a attiré sur ce peuple si glorieux et si estimable tous les maux de l'anarchie, tous les excès d'une révolution sanglante, et toutes les pertes que trainent à leur suite le crime joint à l'imprévoyance.

Dans une pareille situation, S. M. ne peut reconnaître d'autre loi que celle du salut de l'Espagne, et c'est aussi la seule qu'elle soit décidée à suivre. Tel est, Mr. le Comte, le language que vous voudrez bien tenir, si dans les explications que vous allez avoir avec le ministère espagnol, ce dernier essai de réclamer le bénéfice des stipulations du traité de VelykyLouky, ou s'il prétend faire à la Russie le reproche de manquer à ses engagemens. Recevez etc. etc.

Dépêche

de Mr. le prince de Metternich, chancelier d'état de S. M. l'Empereur d'Autriche, adressée au chargé d'affaires d'Autriche à Madrid,

datée de Vérone du 14. Décembre 1822.

La situation dans laquelle se trouve la monarchie espagnole à la suite des évènemens qui s'y sont passés depuis deux ans, était un objet de trop haute importance, pour ne pas avoir sérieusement occupé les cabinets réunis à Vérone. L'Empereur, notre auguste maître, a voulu que vous fussiez informé de sa manière d'envisager cette grave question: et c'est pour cet effet que je vous adresse la présente dépêche.

La révolution d'Espagne a été jugée par nous dès son origine. Selon les décrets éternels de la providence, le bien ne peut pas plus naître pour les états que pour les individus, de l'oubli des premiers devoirs imposés à l'homme dans l'ordre social; ce n'est pas par de coupables illusions, pervertissant l'opinion, égarant la conscience des peuples, que doit commencer l'amélioration de leur sort; et la révolte militaire ne peut jamais former la base d'un gouvernement heureux et durable.

La révolution d'Espagne considérée sous le seul rapport de l'influence funeste, qu'elle a exercée sur le royaume qui l'a subie, serait un évènement digne de toute l'attention et de tout l'intérêt des souverains étrangers, car la prospérité ou la ruine d'un des pays les plus intéressans de l'Europe ne saurait être à leurs yeux une alternative indifférente; les ennemis seuls de ce pays, s'il pouvait en avoir, auraient le droit de regarder avec froideur

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