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cessaire car bien certainement les grands écrivains, soit philosophes, soit orateurs, soit poëtes qui avoient illustré la France jusqu'à cette époque, n'avoient jamais sû ce que c'étoit qu'analyser. Et comment auroient-ils pu l'apprendre? Nous n'avions qu'une éducation gothique et propre seulement à former des Vandales. « vrai>> ment, dit Voltaire à un de ses anciens maîtres, » vous m'avez donné une plaisante éducation. » Lorsque j'entrai dans le monde, je voulus m'a>> viser de parler, et on se moqua de moi ; j'avois >> beau citer les odes d'Horace à Ligurines et le >> Pédagogue chrétien ; le pays où je suis né étoit » ignoré de moi ; je ne connoissois ni les lois » principales, ni les intérêts de ma patrie : pas » un mot de mathématiques, pas un mot de saine » philosophie; je savois du latin et des sottises. >> (Quest. sur l'Enc. art. éduc. ) Voilà en effet tout ce que la jeunesse françoise rapportoit des colléges. Il ne sortoit de ces maisons que des Thomas Diafoirus. O combien les peuples les plus barbares, les sauvages eux-mêmes, étoient plus sages que nous ! leurs systèmes d'éducation l'emportoient infiniment sur les nôtres : ou plutôt ils avoient une éducation, et nous n'en avions point, nous ne pouvions pas même en avoir. C'est une grande vérité qu'on avoit pas encore soup çonnée, et que les philosophes jetèrent brusquement au peuple, au milieu du dix-huitième siècle.

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<< L'institution publique n'existe plus, et ne peut plus exister, dit Rousseau, avec ce ton de >> fond penseur qui lui étoit propre et qui dis> pense des preuves; et pourquoi? parce qu'où

il n'y a plus de patrie, il n'y a plus de citoyens. » Je n'envisage pas, ajoute-t-il, comme institu» tion publique ces risibles établissemens qu'on » appelle colléges. » ( Em., t. 1.) Ce peu de mots fut l'arrêt de mort de ces sortes d'établissemens ils méritoient bien leur sort. Organisés comme ils l'étoient, quelle ressource pouvoientils présenter à la philosophie? Elle nous a enrichis d'un millier de systèmes d'éducation bien mieux conçus, bien mieux raisonnés, bien plus savans, et surtout bien plus propres à avancer la révolution qu'elle vouloit opérer dans les esprits et ailleurs. Nous avons été éclairés : quels fruits ont produit ces précieuses lumières ? Nous l'avons vu et nous le voyons encore tous les jours.

CHAPITRE III.

Fin de la première séance. Du siècle des lumières.. - Ce qu'ont été les siècles précédens. Les écrivains du siècle de Louis XIV appréciés. -Excellence des philosophes.

AINSI par d'heureux élans du génie, furent rapidement franchis, au grand étonnement des siècles, les arpens d'une nuit immense. Ce fut le témoignage que nos philosophes se rendirent à eux-mêmes, et on doit les en croire : nul ne pouvoit aussi bien qu'eux apprécier leurs immortels

travaux.

<< Jetons encore ces idées au peuple, s'écria » Diderot. Jeune homme, prends et lis, bientôt >> tu verras les centres de lumière s'étendre, les » centres de ténèbre se rétrécir; et les sources » de la sagesse s'ouvriront pour toi. »

« Ah! dit Voltaire, c'est aujourd'hui seulement » que les hommes commencent à penser. Grâce » à la philosophie

Du vil berceau de son illusion

La France arrive à l'âge de raison. (Le pauv. diab.)

Ces paroles furent une espèce d'arrêt qui vouoit au mépris tous les siècles de sottise, qui avoient pesé si long-temps sur la France. Elles produisi

rent leur effet le grand siècle de Louis XIV, baissa rapidement en un instant tout son éclat disparut. C'étoit un triomphe bien intéressant pour Voltaire il n'eût garde de le laisser incomplet. « Non, dit-il, lés hommes n'ont pas encore » été raisonnables, et ne vous y trompez pas, » quand je dis les hommes, je ne dis pas la po»pulace, je dis les hommes qui gouvernent, ou >> qui sont nés pour le gouvernement, je dis les » gens de lettres, digne de ce nom. Despréaux, >> Racine, et La Fontaine, étoient de grands >> hommes dans leur genre ; mais en fait de rai

son, ils étoient au-dessous de Madame Dacier.» (Lett. à d'Alemb., 13 déc. 1763. )

Voltaire s'égaya ensuite sur le bon La Fontaine: c'étoit, dit-il, un homme assez semblable aux héros de ses fables: son esprit se bornoit à faire parler Jeannot-Lapin et Robin-Mouton. On rit de ces saillies qui sans doute étoient très - ingénieuses. Au surplus, ajouta-t-il, je n'ai trouvé dans tout son recueil, que cinquante bonnes fables. Et encore dirent quelques assistans l'auteur n'a pas sû y mettre un grain de philosophie elles sont pitoyables.

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Un titre unique, mais bien précieux, sollicitoit la grâce du Bon-homme, auprès de ces implacables juges: c'étoient ses Contes, ouvrage si propre à diposer les jeunes gens à la philosophie. Peut-être l'auroient-ils obtenue: mais dans sa

vieillesse il s'étoit répenti amèrement de les avoir composés; tout le mérite de l'auteur fût perdu. Je ne puis lui pardonner cette indigne foiblesse dit Voltaire. Après tout, en quoi ces contes sontils si repréhensibles? « Ils sont gais, mais ils ne >> contiennent rien de licencieux. On est indigné >> lorsqu'on entend le jeune oratorien Pouget, >> dire au vieil académicien La Fontaine; vos in» fámes contes, Monsieur, vos abominables >> contes; auroit-il osé parler ainsi à la reine de » Navarre, qui a fourni le sujet de plusieurs de > ces contes ? Non; il lui auroit demandé un » bénéfice.» ( Mél.)

Quant à Boileau, il fut accablé de reproches bien plus graves. Homère nous apprend qu'après la mort d'Hector, les Grecs osèrent enfin s'approcher de son cadavre, « et qu'ils l'outragèrent par >> d'inutiles blessures: ce n'est plus, disoient-ils >> fiérement, ce farouche Hector, qui embrasoit >> nos vaisseaux et ils lui plongèrent leur fer » dans le sein. » Telle fut la conduite des philosophes à l'égard de Boileau. « Pourquoi, dit l'un >> d'eux, n'avons-nous pas de lui une seule églo» gue, une élégie, une scène comique, tragi>> que, ou lyrique ? Pourquoi nous parler harmo» nieusement du triolet, de la ballade, du ron» deau déjà passés de mode, et nous donner une >> description technique des rigoureuses lois du » sonnet, de cet heureux phénix dont la perfec

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