indignement jouée. Rousseau appuya ce reproche de quelques preuves; mais elles firent peu 'd'impression sur plusieurs membres de l'assemblée elles persuadèrent même qu'il n'avoit pas entendu, ou qu'il n'avoit pas voulu entendre la pièce qu'il critiquoit. Cependant rien de plus juste au fon I que son observation. La misantropie étoit. une gloire à laquelle il aspiroit et qu'il a obtenue en partie. Misantropie et vertu sont donc deux termes synonimes. Molière le savoit ; mais pour plaire à un parterre corrompu, il les a méchamment distinguées. ( Lett. à d'Alemb. ) C'est ainsi qu'en attaquant la misantropie, il a rendu ridicules la vertu et Rousseau. Pendant cette discussion, d'Alembert étoit tout occupé de Racine; il prit son compas et sa plume: il mesura, calcula le mérite de ce poëte; et enfin il trouva qu'il possédoit l'art de faire les vers. << C'est là, dit-il, presque tout ce qu'on peut >> apprendre chez lui. » ( Lett. à Voltaire, 11 déc. 1769.) << C'étoit un homme de lettres, plein de goût, » d'esprit et de lumières que ce d'Alembert. » ( Mém. de Marm., l. 4.) Voltaire l'embrassa tendrement, en reconnoissance des oracles importans qu'il venoit de prononcer. Il s'étoit accoutumé depuis long-temps, à ne voir dans les écrivains célèbres, que des rivaux qui l'éclipsoient et qui diminuoient sa gloire. Les rabaisser, c'étoit le relever lui-même. Tudieu! dit-il tout transporté, avec quel zèle mes amis entrent dans mes vues! Achevons d'assurer mon triomphe. Aussitôt il se lève et lit à haute voix quelques extraits d'un ouvrage composé depuis plusieurs années, mais dont il ne croyoit pas devoir s'avouer l'auteur. C'étoit La connoissance des beautés, et des défauts de la poésie et de l'éloquence dans la langue françoise, à l'usage des jeunes gens et surtout des étrangers, avec des exemples par ordre alphabétique. Voltaire avoit tiré ces exemples de ce qu'il y a de plus négligé dans les grands écrivains des siècles précédens, pour le comparer avec ce qu'il a le plus travaillé d'après eux: artifice ingénieux et dont le succès étoit infaillible. De là il concluoit sans effort qu'il étoit bien supérieur à tous ces écrivains. Cette lecture fit effet: Voltaire fut mis hors de pair on le proclama grand-homme, seul grandhomme, homme unique. Il fut arrêté que désormais son nom seroit le Grand-homme. La philosophie ne pouvoit que gagner à le traiter avec cette distinction. Et nous, dirent quelques-uns de ses coopérateurs au grand-œuvre, où nous plaçons-nous ? — A la suite du grand-homme.-Oui : mais bien loin de tout ce qu'on a eu la sottise d'admirer jusqu'à ce jour. - Cela convient, dit Diderot; je ne souffrirai jamais qu'on établisse quelque com paraison entre nous et les écrivains qui nous ont précédés. En disant ces mots, son imagination s'enflamme: il renverse la tête et ferme les yeux comme pour appeler l'inspiration. Bientôt il se guinde en idée au faîte de son trône encyclopédique, et là jugeant en masse tout ce malheureux dix-septième siècle, il prononce contre lui cet anathème qui en peu de temps retentit dans toute la France: « A l'exception de Boindin, (qui a eu la gloire » de mourir athée,) et de Perrault dont le versi>>ficateur Boileau, n'étoit pas en état d'apprécier » le mérite, il n'y avoit peut-être pas un de ces » prétendus grands hommes du siècle de Louis » XIV, de ce siècle pusillanime du goût, qui > eût été digne de fournir à l'Encyclopédie une » page qu'on daignât lire aujourd'hui. » (Art. Encyclop.) Ce nom révéré rappeloit à nos sages leur sainte confédération, contre le fanatisme et la tyrannie. (Rap. du phys. et du mor. dans l'hom., t. 1, p. 3.) Ils s'inclinèrent avec respect. Quoi! est formel. pas un ? dit-on. Non, pas un: l'arrêt Il n'étoit pas possible en effet d'y rien changer. Qu'on lise tous les poëtes et prosateurs célèbres de ce triste siècle en trouvera-t-on un seul qui ait eu la hardiesse de fronder les préjugés sous lesquels on gémissoit; qui ait su, en philosophe, donner aux rois de grandes leçons, prendre dans ses ouvrages ce ton imposant, qui convient à des hommes nés pour être les précepteurs et les réformateurs du genre humain, et s'arroger, comme autrefois l'Arétin, le droit de fesser les rois, princes et empereurs, lorsqu'ils étoient mécontens de leur conduite? Cependant quelqu'un fit entendre les noms de Descartes, de Malebranche, de Bossuet, de Fénélon, de Pascal, etc. on le hua. Eh quoi! dit-il, n'avoient-ils pas au moins un petit commencement de philosophie? - Non; c'étoient des esclaves des préjugés. << Descartes, dit Voltaire, étoit un songe» creux, quoiqu'il fût d'ailleurs le plus grand » mathématicien de son temps. Malebranche est » un des plus profonds méditatifs qui aient ja» mais écrit, mais c'est un rêveur: on ne trouve » dans son livre que des illusions sublimes. J'ai » peu lu ces deux philosophes ; je ne les ai guère » étudiés que dans des pays où on les traitoit >> très-mal: mais il est certain que ce sont deux >> maîtres d'erreur, dont les conceptions doivent > être mises dans la classe des rêveries péripaté>> ticiennes et scolastiques. Ni l'un ni l'autre, » n'ont connu la véritable métaphysique. » (Sièc. de L. xiv, mél, et lett.à Mairan, 11 sept. 1738.) Locke dont la main courageuse a posé la borne heureuse de l'esprit humain, en nous apprenant enfin , que nous ne serons peut-être jamais capables de connoître si un être purement matériel pense ou non, le sage Locke est le premier qui ait pénétré dans le secret de cette science. Quant à Bossuet et à Fénélon, ajouta Voltaire, je suis d'avis que nous les réclamions, comme des hommes étrangers à leur siècle, et appartenant d'avance à celui de la philosophie. Cette idée étoit hardie. Ah! quel grand coup, dirent les philosophes en battant des mains, si elle peut être goûtée ! Elle le sera, reprit Voltaire d'un ton assuré. Je publierai que Ramsay m'a écrit ces paroles: << si Fénélon étoit né en Angleterre, il auroit » développé son génie et donné sans crainte l'es>> sor à ses principes que personne n'a jamais » connus. » Qui est-ce qui osera révoquer en doute une telle lettre dont je me rendrai le garant? D'ailleurs Ramsai devoit avoir lu dans l'ame de Fénélon : il avoit été converti par lui à la religion catholiqne. Je dirai encore: « l'archevêque de Cambrai » qui le croiroit! (*) parodia ainsi sur la fin de > sa vie un air de Lulli: Jeune, j'étois trop sage, Je ne veux en partage Et touche au dernier âge Sans rien prévoir. (*) Pour parler exactement, il auroit fallu dire, qui le croira l |