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>> je garantis, ajouterai-je, la certitude de ce fait.» (Sièc. de Louis XIV.) Vous pensez bien que je n'aurai garde de dire que cette strophe est tirée d'un certain cantique ayant pour titre : Renoncer à la sagesse humaine pour vivre en enfant; et qu'elle est suivie de celle-ci qui en détermine le

sens:

Adieu, vaine prudence,

Je ne te dois plus rien :
Une heureuse ignorance
Est ma science;
Jésus et son enfance

Est tout mon bien.

A l'aide de cette sage réticence, il sera clair que Fénélon à qui j'attribuerai ce plat cantique, a professé les maximes de la plus pure philosophie.

La conquête de Bossuet, continua le grandhomme, ne me coûtera pas davantage.

J'en doute, dit un philosophe; il nous a porté des coups de massue trop violens. Voyez comme il nous traite dans l'oraison funèbre d'Anne de Gonzague: «Qu'ont-ils vu, ces rares génies? » Qu'ont-ils vu plus que les autres? Quelle igno. »rance est la leur ! et qu'il seroit aisé de les con» fondre, si, foibles et présomptueux, ils ne > craignoient d'être instruits! car pensent - ils >> avoir mieux vu les difficultés parce qu'ils y » succombent, et que les autres les ont vues et

» les ont méprisées : ils n'ont rien vu; ils n'en» tendent rien : ils n'ont pas même de quoi éta» blir le néant auquel ils espèrent après cette » vie, et ce misérable partage ne leur est pas » assuré !.... Leur raison qu'ils prennent pour » guide, ne présente à leur esprit que des con»jectures et des embarras. Les absurdités où >> ils tombent en niant la religion deviennent plus » inintelligibles que les vérités dont la hauteur » les étonne, et pour ne pas vouloir croire des » mystères incompréhensibles, ils suivent l'une » après l'autre, d'incompréhensibles erreurs. » Qu'est-ce donc, après-tout, que leur malheu » reuse incrédulité sinon une erreur sans fin, » une témérité qui hasarde tout, un étourdisse» ment volontaire, et en un mot un orgueil qui >> ne peut souffrir son remède ? » Certes, au lieu de songer à faire d'un tel homme un philosophe, nous devrions bien plutôt nous occuper du soin de repousser les traits qu'il lance sur nous.

Quoi! reprit Voltaire, ces paroles vous font peur? C'est s'effrayer de bien peu de chose. Ignorez-vous que le discours dans lequel Bossuet s'est permis cette insolente déclamation, n'est qu'une fade niaiserie qu'il a composée sérieusement, pour nous apprendre, « que la princesse Palatine » après avoir prêté cent mille francs à la reine » de Pologne sa sœur, vendu le duché de Rhéte» lois un million, marié avantageusement ses

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>> filles, étant heureuse selon le monde, mais >> doutant malheureusement des vérités de la re>>ligion catholique, fut rappelée à la conviction » et à l'amour de ces vérités par deux visions. » (Quest. sur l'Enc., art. apparit. ) C'est là en effet toute l'oraison funèbre d'Anne de Gonzague, regardée jusqu'à ce jour, comme un des chefsd'œuvres oratoires de Bossuet. Les badauds y ont admiré une foule de traits originaux, de grandes difficultés heureusement vaincues, une analyse parfaite du cœur humain, et surtout un art admirable de la part de l'orateur, de faire tourner au profit de son éloquence plusieurs détails familiers et minutieux dont il est obligé de s'occuper.

Il me semble que les badauds n'ont pas tout-àfait tort, dit un des assistans trop jeune encore pour que la philosophie eût achevé de former son goût. Voyez, par exemple, comment Bossuet relève une des visions de la princesse Palatine, par le rapprochement qu'il fait du songe de Joseph, de celui de Salomon, et d'une des plus touchantes paraboles de l'Evangile, et comment il prépare par là ses auditeurs à entendre sans surprise ce qu'il va leur raconter; remarquez encore comment, par les accessoires qu'il y joint, il ennoblit certains termes qui semblent devoir être exclus du style sublime. Enfin remarquez comment il nous inspire des sentimens de tendresse et de res

pect pour un songe dont, aux yeux de notre fausse délicatesse, il étoit presque ridicule de parler. C'est ainsi, a-t-on dit, que « les mains de » Bossuet, en employant le sable, le changent » en diamans. »

Ah! bon, reprit Voltaire avec un sourire amer, voilà parler en docte écolier de rhétorique qui sent encore son collége. Vous avez reçu sans doute des leçons du lourd Crevier, pédant crasseux et vain, de Coge-Pecus, ou de quelque autre cuistre de l'université: votre commentaire est digne d'eux. Mais voyons le revers de la médaille vous avez lu le récit de Bossuet; maintenant écoutez le mien.

Tout le monde sait qu'un des talens les plus marqués de Voltaire, celui de tous qu'on lui a le moins contesté, est l'art de travestir les auteurs. Il auroit pu donner dans ce genre, des leçons à Scarron lui-même mettant l'Enéide en vers burlesques, et à Perrault traduisant les orateurs et poëtes célèbres de l'antiquité, pour les livrer à la risée des ignorans. Le récit de Bossuet étoit admiré de tous les gens de l'art: il suffit au grandhomme d'y toucher; aussitôt ce tableau si touchant, si imposant, où brilloit avec éclat tout le génie d'un grand peintre, ne parut plus qu'une vile et misérable caricature. Certainement, ajouta Voltaire tout triomphant, quoi que vous en puissiez dire, ce n'est pas là de l'éloquence.

Le jeune philosophe fut étourdi du coup: que sont donc devenus, dit-il, tous les diamans de Bossuet? Je ne vois plus que du sable : — 0 grand-homme! combien le goût trouve à se perfectionner à votre école! - Ce n'est là qu'un petit essai, dit le grand-homme en souriant ; attendez; vous en verrez bien d'autres.

Nos sages rioient de bon cœur de voir le sublime orateur Bossuet, à force d'analyses et de travestissemens, devenu pour le peuple même un personnage complètement ridicule : ils en remercièrent le grand-homme. Nous voilà, dirent-ils, grâce à vos soins, heureusement vengés des sarcasmes de ce fanatique. Que prouve maintenant cette oraison funèbre si vantée de l'incrédule Anne de Gonzague, ramenée du scepticisme philosophique à la foi et aux pratiques du christianisme? Rien, dit un philosophe, sinon que Bossuet avoit du génie, mais qu'il en a fait un pitoyable usage. Aussi je vous jure qu'aucun de ses ouvrages ne sera admis dans la bibliothèque que je réserve pour l'an 2440. Je n'y ferai guère entrer que nos livres et ceux qui seront écrits dans nos principes.

tans; pour nous

Cet arrêt est juste, ajoutèrent quelques assisnous ne voyons dans Bossuet qu'un superstitieux et un flatteur, bien digne d'être admiré dans la cour de ce faquin de Louis XIV.

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