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» exécutera pas. » ( Merc. de Fr., 7 août 1790.) Et ainsi la philosophie toujours comprimée ne l'essor que nous nous proposons de

prendra pas lui donner.

Bon; reprit le grand-homme, je vois que vous sentez à merveille toute l'importance de mon observation: n'ayons donc aucun ménagement pour ces marauds à tonsure : ne nous lassons pas de leur faire une guerre ouverte ou cachée dans tous nos ouvrages. Quant à moi,

Je les poursuis partout comme un chien fait sa proie, Et je ne les sens point qu'aussitôt je n'aboie. (Boil. sat.7.)

vous verrez comme je les suivrai à la piste dans mon Essai sur l'histoire générale. Certes, ce n'est pas une histoire ordinaire que je me propose de composer: mes lecteurs y trouveront avec admiration une satire amère et sanglante des papes, évêques, prêtres, moines et fripons de toute espèce. Mais le théâtre, mes amis, le théâtre, c'est là surtout qu'il faut livrer cette canaille au mépris et à l'indignation du public. Ah! quand nos Welches seront-ils assez raisonnables pour que la philosophie puisse en faire ouvertement son école et leur montrer sous les traits de la sottise, du fanatisme ou de l'imposture quelque animal à rabat, quelque faquin crossé, mitré ? Ce temps viendra, je vous le promets: nous allons y mettre ordre; mais il ne nous sera pas donné d'en jouir.

Au moins, ils nous reste une ressource, celle des allusions et des allégories: profitons - en, mes amis; vous savez avec quel succès j'en ai déjà fait usage: tous nos Welches ont dans la bouche ces deux vers de ma philosophe Jocaste :

Les prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense: Notre crédulité fait toute leur science.

Ah! les bons Welches! comme ils ont mordu à l'hameçon. Entre nous, ces deux vers font un contre-sens. Jamais la sentence qu'ils expriment n'a été moins en sa place que dans la pièce où j'ai eu l'art de la faire entrer. Qu'est-ce en effet que cette pièce, sinon une démonstration rigoureuse de la certitude des oracles prononcés par les prêtres? Si on pouvoit en tirer une conclusion, ce seroit celle-ci qui est bien différente de celle que je tâche d'insinuer :

Les prêtres ne sont pas ce qu'un libertin pense;
Dans le sein de Dieu même ils puisent leur science.

Mais c'est à quoi nos Welches n'ont pas fait attention. L'épigramme est bonne : ils l'ont saisie selon mon intention, sans tenir compte des circonstances qui en émoussent la pointe. C'est ainsi qu'ils ont applaudi depuis à mon américaine Alzire, prêchant savamment le suicide et poussant quelques vigoureux argumens au Dieu des Chrétiens, dont elle vient d'embrasser le culte.

C'est ainsi encore qu'ils ont applaudi à ma petite raisonneuse Zaïre, triomphant avec les mêmes argumens et professant l'indifférentisme, en vers qui font d'autant plus de plaisir, qu'on les attend moins d'une jeune fille élevée depuis son enfance dans un sérail parmi des eunuques et des esclaves, Les bons Welches! vous le voyez ; il suffit de leur présenter la philosophie, peu importe de quelle manière; pourvu qu'elle leur vienne par le canal de la Gaussin ou de la Clairon, ils vous l'avalent avec avidité comme des hommes qui en sont depuis long-temps altérés. Reconnoissez donc avec moi, mes amis, que c'est s'assurer une victoire éclatante sur le christianisme, et sur ses prêtres, que de les traduire sur le théâtre.

Nos sages étoient dans le ravissement : quel bonheur, disoient-ils, de combattre pour une cause où l'on triomphe avec si peu d'efforts! ils se promirent bien de transporter à tout propos la philosophie sur le théâtre et dans les autres parties de la littérature : et ils l'ont fait. On sait si les lettres françoises y ont gagné..

Cependant, reprit le grand-homme, je dois le dire à la honte de nos Welches : j'ai été mécontent d'eux une fois; c'est au sujet de mon Mahomet. Qui d'entre vous ignore que j'avois entrepris cette pièce pour faire passer dans leurs ames, une partie de la haine dont la mienne est animée contre les prêtres ? Dans cette louable intention,

j'avois peint Mahomet si méchant, que j'en ai eu depuis quelques remords. Eh bien! vous l'avez vu, j'ai perdu mon temps et ma peine. Nos Welches ont applaudi aux belles tirades de ma pièce : mais dans ce monstre souillé de crimes qui révoltent la nature, ils n'ont pas eu le bon esprit de reconnoître leurs prêtres. Ah! qu'ils sont encore peu philosophes !

Ce n'est pas ma faute, dit d'Alembert: que n'ai-je pas fait pour ouvrir leur intelligence? << plût » à dieu, ai-je dit, que la tragédie de Mahomet > fût plus ancienne de deux cents ans ! l'esprit > philosophique qui l'a dictée seroit de même » date parmi nous, et peut-être eût épargné à la > nation françoise, d'ailleurs si paisible et si » douce, les horreurs et les atrocités religieuses > auxquelles elle s'est livrée (*). Si cette tragédie > laisse quelque chose à regretter aux sages, > c'est de n'y voir que les forfaits causés par le » zèle d'une fausse religion, et non les malheurs > encore plus déplorables où le zèle aveugle » pour une religion vraie peut quelquefois en> traîner les hommes. » ( Lett. à Rouss. )

Laissez-moi faire, poursuivit le grand-homme;

(*) C'est avoir une haute idée de l'esprit philosophique et de la tragédie de Mahomet. Rousseau n'en jugeoit pas ainsi; et il avoit raison. ( Lett. à d'Alemb.) Voyez ce qui a été dit plus haut sur le fanatisme, page 57.

je reviendrai à la charge dans mes Guèbres, dans mes Lois de Minos et ailleurs. Le dénouement des Guèbres se fera par l'arrivée soudaine et inattendue d'un empereur qui dira du ton le plus imposant :

Je pense en citoyen, j'agis en empereur :
Je hais le fanatique et le persécuteur.

J'avertirai dans ma préface que tout l'esprit de la pièce est dans ces deux vers, qui portent bien visiblement l'empreinte de ma touche nerveuse et philosophique; et j'inviterai tous les souverains à les répéter à l'imitation de mon empereur, en leur promettant que la terre entière leur applaudira avec transport. Ce n'est pas tout: sous prétexte d'éloigner les applications, j'en ferai naître adroitement l'idée. Nos Welches auront beau être Welches; il faudra bien qu'à la fin ils me comprennent.

Tout ce discours fut vivement applaudi. Mais quoi! dit avec humeur un des assistans, nous bornerons-nous à ces traits indirects contre les gens à soutane?

Non, de par béelzébuth, répondit Voltaire ; quelqu'avantage que nous présentent l'histoire et le théâtre, notre haine ne pourra s'y satisfaire qu'à demi. Il nous faut des productions où notre ame se livre sans contrainte à toute l'horreur que ces gredins nous inspirent.

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