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aussi depuis long-temps je le traite avec la distinction qu'il mérite. Va, lui ai-je dit, je te lâche contre nos ennemis, épie furtivement leur conduite, procure-moi des anecdotes sur eux. Fais plus encore, MORDS-LES: c'est la mission et le nom que je te donne. ( Lett. à d'Alemb., 13 août 1760. ) Je vous réponds qu'il remplit cette mission avec zèle, et qu'il y sera fidèle jusqu'au tombeau ; il mourra sur la brèche. Un insolent a osé attaquer les philosophes dans une comédie aussitôt mon ami l'a dénoncé au public comme un banqueroutier, un ingrat, un fripon, un voleur, un fondateur de mauvais lieux, etc.

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La plaisanterie est excellente, reprit très-sérieusement Voltaire. ( Lett. à d'Alemb., 10 août. 1760.) Cela me rappelle ce bon Larcher : il faut que je vous égaie un moment à ses dépens.

L'abbé Bazin a publié, il y a quelque temps, un livre intitulé Philosophie de l'histoire : vous savez, ajouta le grand-homme en souriant, quel est cet abbé Bazin. (*) Larcher a eu l'insolence de faire sous le nom de Supplément, un ouvrage pour le réfuter; entre autres griefs qu'il reproche au savant abbé, il l'accuse d'avoir pris les prêtres égyptiens pour des bouteilles, le nom de dynastie pour celui d'une province, et un navire appelé Scyphus, sur lequel Hercule traversa le dé

(*) Tout le monde sait que l'abbé Bazin et son neveu, étoient Voltaire lui-même qui se cachoit sous ces deux noms.

troit de Calpé et d'Abyla, pour le gobelet qui

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servoit à son usage. Nous savons tout cela. Et vous en êtes sans doute indignés ? Et bien ! je vous apprends que le neveu de cet abbé a répondu à cet audacieux poliment et savamment, comme il convient à un homme pétri de douceur et d'indulgence. Le public recevra bientôt son écrit où il apprendra que ce Larcher qui se donne les airs d'un érudit, n'est qu'un bouc, un crasseux, un faussaire, un cuistre, un s...., un p...., un vil répétiteur au collège Mazarin. ( Déf. de mon oncle.)

Pulchrè, benè, rectè, crioient les philosophes à chacun de ces traits : c'est ainsi qu'il faut traîner dans la boue les ennemis de la philosophie. Confiez-nous cette défense honnête, nous aurons soin d'en multiplier les éditions.

Le grand-homme pleura une seconde fois de tendresse. Mes amis, dit-il, en voyant le beau feu qui vous transporte, je ne puis plus douter que l'empire des cuistres ne touche à sa fin.

II y touche, s'écria-t-on; il s'écroule de toutes parts. Bientôt on n'en parlera plus que pour dire qu'il a été.

Oui, dit un philosophe, si nous savons déployer une énergie digne de la cause que nous défendons. - Et n'est-ce pas de l'énergie que les sons máles et fermes que nous venons d'articuler? Que voulez-vous de plus ? Nuire et nous

venger.

Il a raison, dit Condorcet; vengeons-nous : mais en même-temps sachons haïr; autrement notre vengeance ne sera que bassesse et lâcheté. On regarda le philosophe avec étonnement. « Les » grandes ames, continua-t-il, sont celles qui sa>vent le mieux haïr; les honnêtes gens sont » ceux qui ne se réconcilient jamais. Les fripons » savent nuire ou se venger: mais ils ne savent » point haïr. » ( Vie de Turg. )

Plusieurs philosophes sentirent leurs ames s'agrandir. Qui; s'écrièrent-ils, nous saurons haïr, et haïr profondément; on en verra des preuves. Mais jusqu'à quel point notre philosophie userat-elle du droit qu'elle a de se venger?

On s'adressa à d'Alembert pour avoir la solution de cet important problème. Tout le monde sait que « il avoit une ame pure, libre de passion, > contente d'elle-même. Son caractère étoit mêlé » de force et de foiblesse ; mais sa force étoit de

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> la vertu, et sa foiblesse de la bonté. Quelles ames, » a-t-on dit à son sujet, que celles qui ne sont > inquiètes que des mouvemens de l'écliptique ! > par un vice qui les dégrade, pas un regret qui » les flétrisse, par une passion qui les attriste et » les tourmente. » ( Mém. de Marm., l. 6 et 10, t. 2, p. 110 et 111, et t. 3, p. 223. ) D'Alembert se hâta de prendre la plume et de calculer, et bientôt son ame pure et libre de passion, fit entendre ces douces paroles.

Applaudir ceux qui se moquent des maximes de la philosophie, c'est être vipère. Un tel crime est le comble de la méchanceté et de l'atrocité. Quiconque en est coupable, ne mérite aucune pitié, quelque soit son sexe, son âge, son rang, son état. (Lett. à Volt., juin 1760.)

Ce langage étoit clair: mais il le fut bien davantage dans la suite, lorsque sur une règle aussi rigoureusement calculée, d'Alembert jugea de l'énormité du délit qu'avoit commis M.me de Robecq, en approuvant la comédie des Philosophes, et de la punition que ce délit méritoit. Cette princesse étoit mourante; mais on lui cachoit avec soin son état. Un libelle philosophique le lui fit connoître et avança sa mort. ( Lett. de Voltaire à Thir., 18 juin 1760, et à d'Alemb. 23 juin 1760. ) Voltaire qui craignoit les suites de cette cruauté pour la bonne cause, (ce sont ses termes ) écrivit à d'Alembert qu'il voudroit avoir perdu toutes ses vaches, et qu'on n'eût point parlé de M.me de Robecq dans le libelle. ( Ibid., et 10 juin 1760. ) « Mon cher et illustre maître, lui » répondit celui-ci, ce n'est pas tout d'être mou» rante, il faut encore n'être pas vipère. Vous >> ignorez sans doute avec quelle fureur et quel » scandale M.me de Robecq a cabalé pour faire » jouer la pièce de Palissot; vous ignorez qu'elle » s'est fait porter à la première représentation, >> toute mourante qu'elle est, et qu'elle a été

» obligée, tant elle étoit malade ce jour là, de > sortir avant la fin du premier acte. Quand on » est atroce et méchante à ce point, on ne mé> rite, ce me semble, aucune pitié, eût-on..... » (Lett. à Volt., juin 1760.) Le reste de la phrase de d'Alembert, annonce plus que tout le reste une ame qu'aucun vice ne dégrade; mais elle est trop philosophique pour qu'on puisse la transcrire. Qu'il suffise de savoir qu'elle contient un des plus horribles blasphèmes, exprimé en termes qu'on ne se permet que dans certains lieux. « Quelles ames que celles qui ne sont inquiètes » que des mouvemens de l'écliptique! >>

CHAPITRE V.

Suite de la seconde séance. Des différens moyens par lesquels les philosophes attaquent le christianisme.- Des prétendues persécutions qu'ils essuient.

POURSUIVONS nos conquêtes, dit Voltaire, hier nous nous sommes rendus maîtres des postes reculés du christianisme. Nous venons aujourd'hui de mettre en déroute ses défenseurs. Approchons maintenant du corps de la place, et battons en ruine ses tours et ses remparts. Il leur sera impossible de nous résister.

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