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CHAPITRE XII.

Suite de la troisième séance. Objection des philosophes contre la résurrection de JésusChrist.

BON! Beau début! ajoutèrent nos philosophes tout étonnés et comme émerveillés d'euxmêmes. Poursuivons : les preuves du christianisme ne tiendront pas une heure en notre présence.

Je me charge, dit Rousseau, de celle qu'on prétend tirer de la résurrection de Jésus-Christ : j'en ai découvert tout le foible; une phrase, un mot me suffira pour la renverser.

Voici en quoi cette belle preuve consiste: JésusChrist durant sa vie a donné sa résurrection future pour preuve de sa mission; si donc il est ressuscité, on est forcé de reconnoître qu'il est l'envoyé de Dieu: or il est véritablement ressuscité selon la prédiction qu'il en avoit faite plusieurs fois donc nous devons croire en lui: donc sa religion est divine.

Est-il rien de plus puéril ? poursuivit Rousseau. Je soutiens, moi, et je soutiendrai toujours, quelques passages de l'Evangile qu'on m'objecte, que Jésus-Christ ne s'est jamais autorisé sur sa résurrection; et la preuve en est bien simple: << la mort d'un homme n'est pas un miracle; ce

» n'en est pas même un qu'après avoir resté trois » jours dans la terre, un corps en soit retiré. » (Trois. lett. de la mont.)

Optimè, s'écrièrent quelques enthousiastes O Jean-Jacques, que vous étiez bien fondé à vanter l'excellence de cette phrase! tous les termes en sont merveilleusement choisis. — - Cependant, reprit-il, elle n'est pas de celles qui me coûtent plusieurs jours de travail : (Conf.) elle a coulé de source.

Quant à moi, dit Voltaire, je crois toute résurrection impossible: je l'ai déjà prouvé pour nos Welches dans plusieurs de mes ouvrages (*). La conséquence saute aux yeux: donc Jésus-Christ n'est pas ressuscité. Mais disons un mot de la preuve que donnent les Chrétiens de cette résurrection prétendue. Certes, elle le mérite bien. :

Un fait, disent-ils, est indubitable, lorsque les témoins qui l'attestent n'ont pu être abusés, et qu'ils ne veulent, ni ne peuvent nous tromper: or telle est la résurrection de Jésus-Christ.

Les témoins de cette résurrection ont été au nombre de plus de cinq cents, tous fort peu enclins à la croire, tous au contraire dans des dispositions si peu favorables à ce fait, qu'il leur a fallu pour se rendre les preuves les plus démonstratives et les plus multipliées. Jésus-Christ s'est

(*) Voyez cette preuve, (Prem. part. c. 3.)

montré à eux, non pas une fois ou deux, mais pendant quarante jours consécutifs : ils l'ont vu tantôt séparément, tantôt tous ensemble ; ils l'ont entretenu; ils l'ont touché ; ils ont mangé et bu avec lui. Il n'y a donc et il ne peut y avoir ici aucun lieu à l'illusion.

Ces témoins, dira-t-on, ont voulu nous tromper, mais on voit dans toute leur conduite un caractère de sincérité qui repousse bien loin un pareil soupçon. D'ailleurs quel auroit été leur intérêt à soutenir un fait qu'ils savoient être faux ? Le mépris, les humiliations, la pauvreté, la prison, les fouets, les supplices, une mort affreuse les attendoient; et on sait qu'en effet ils ont enduré tous ces maux; ils s'y sont même présentés avec joie pour confirmer leur témoignage. Ici il faut nécessairement opter; ou ces cinq cents témoins ont été sincères, ou tous à la fois ont été frappés d'une folie plus inconcevable mille fois que ne pouvoit l'être le miracle qu'ils ont attesté..

Mais admettons qu'ils aient formé l'extravagant projet d'abuser toute la terre sur un fait de cette nature; pour exécuter ce projet il falloit se concerter, et une légère réflexion nous prouve qu'un tel concert étoit impossible, et lors même qu'ils auroient été parfaitement d'accord, quels succès pouvoient-ils espérer ? Si Jésus-Christ n'est pas ressuscité, son corps est resté dans le tombeau au pouvoir de ses ennemis; pour confondre les

apôtres, ceux-ci n'avoient autre chose à faire que de l'en retirer et l'exposer aux yeux du public. C'en étoit assez pour donner à l'imposture un démenti qui lui fermoit la bouche pour toujours.

Tel est le grand argument des Chrétiens, (*) poursuivit Voltaire ; j'ai cru devoir le rapporter en entier pour vous mettre à portée de mieux juger de sa force; il est composé de trois parties: laquelle jugez-vous à propos d'attaquer ?

La troisième, s'écrièrent quelques philosophes; sa chute entraînera celle des deux autres. Les apôtres ont pu tromper: les Juifs leur ont reproché dans le temps d'avoir dérobé le corps de leur maître pendant que les gardes dormoient; les gardes eux-mêmes ont attesté ce vol; et tout bien considéré, ce témoignage vaut bien celui des apôtres. Ce qu'il y a d'affligeant pour la philosophie, c'est que les chefs des Juifs, qui se sont montrés si acharnés contre, Jésus-Christ, n'aient pas puni et les apôtres coupables de cet attentat contre l'autorité publique, et les gardes qui dormoient au lieu de veiller comme leur devoir l'exigeoit et voyez quelle suite épouvantable a eu ce malheureux quart-d'heure de sommeil, auquel ils se sont laissés aller au mépris de la discipline militaire: l'univers a été rempli de superstitions que nous sommes obligés d'extirper aujourd'hui. Mais si

(*) On peut en voir le développement dans un livre intitulé: Principes de la foi chrétienne.

les gardes dormoient, nous dira-t-on, comment ont ils pu savoir ce qu'ont fait les apôtres ? Et comment, sans les éveiller, ceux-ci ont-ils brisé les sceaux et enlevé l'énorme pierre qui couvroit le sépulcre de Jésus-Christ? Belle question et bien digne de ceux qui la proposent ! Ne sait-on pas aujourd'hui que les apôtres ont pu creuser une route souterraine, qu'ils sont parvenus ainsi jusqu'au roc dans lequel étoit renfermé le corps de leur maître, qu'ils ont miné ce roc, et enlevé le corps sans que les gardes aient pu s'apercevoir de rien, car tout ce travail s'est fait en moins de trente-six heures. Mais après tout, pourquoi nous inquiéter de la manière dont ce corps est sorti du tombeau? Le fait est qu'il n'est pas ressuscité : jamais nous n'en conviendrons; jamais on ne pourra nous forcer à en convenir. Nous n'avons pas d'autres preuves à donner.

Les philosophes en parlant ainsi, regardoient le grand-homme pour savoir s'il daigneroit approuver ce discours. Le grand-homme gardoit le

silence.

Pour moi, dit Rousseau, je ne sépare pas les trois parties de l'argument des Chrétiens, je les attaque toutes à la fois. Le témoignage sur lequel ils s'appuient, est du nombre de ces preuves qu'on appelle morales: or je dis que « c'est un >> grossier sophisme d'employer la preuve morale » à constater des faits naturellement impossibles.>>

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