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il n'a pas existé comme être humain. C'est ; comme on voit, remonter bien plus haut que n'a fait et que n'auroit osé faire Voltaire lui - même avec toute son audace. Mais telle est la philosophie: rien ne borne ses conquêtes et son accrois

sement.

. . . malum quo non aliud velocius ullum;
Mobilitate viget, viresque acquirit eundo;
Parva metu primò, mox sese attollit in auras;
Ingrediturque solo, et caput inter nubila condit.
Illam terra parens, irâ irritata deorum

Extremam, ut perhibent, Coo Enceladoque sororem
Progenuit, pedibus celerem et pernicibus alis:
Monstrum horrendum, ingens. ( Enéide, liv 4. )

CHAPITRE XIII.

Suite de la troisième séance. Objection des philosophes contre les prophéties et les prophètes.

LES philosophes enchantés de ces premiers succès jetèrent la discussion sur la preuve des prophéties; mais à ce mot les plus intrépides furent glacés d'effroi. « Que ferons-nous, mes » frères dirent-ils comme les premiers ennemis » du christianisme, ce sont ici des choses évi>> dentes, et nous ne pouvons pas les nier. » ( Act. des Ap., c. 4, v. 16. )

Ils réfléchirent pendant quelques momens. Eh! morbleu, dit enfin Voltaire, qu'est-ce que les prophètes juifs ont de si merveilleux pour mériter nos hommages? « Plusieurs nations, les » Grecs, les Egyptiens, etc., eurent aussi leurs » oracles, leurs prophètes, leurs Nabi, leurs » Voyans.» (Dict. phil., Phil. de l'hist.) Eh! bien, je les mets tous au même niveau.

Cette idée est grande, lui dit-on, mais elle paroîtra peut-être trop hardie.

Aussi, répliqua le grand-homme, je protesterai que « je n'ai pas dessein de confondre les » Nabi et les Roëh des Hébreux avec les >> imposteurs des autres nations. » C'est après avoir pris cette adroite précaution oratoire que j'insinuerai qu'il n'y a entr'eux aucune différence. J'accuserai les prophètes juifs d'avoir «< cherché » comme ceux du paganisme à réussir par l'am>> biguité des paroles. >>

Nos philosophes se sentoient déjà soulagés ; mais ils désiroient, sinon pour eux, du moins pour leurs lecteurs que cette assertion fût appuyée de quelques preuves ou de quelque apparence de preuve.

Vous serez satisfait, dit le grand-homme après y avoir long-temps rêvé. J'ai trouvé un exemple de cette ambiguité qui caractérise les oracles des Nabi hébreux. Voyez-le dans le quatrième livre des Rois.

Ensuite il lut l'histoire du traître Hazaël qui; après avoir formé le projet d'assassiner le roi de Damas, son souverain alors malade, étoit venu de la part de ce prince consulter Elisée et savoir s'il guériroit. << Allez, lui dit le prophète, rappor>>ter à votre maître qu'il pourroit guérir, ( c'est» à-dire, que sa maladie n'est pas mortelle,) mais >> ajouta-t-il en regardant fixement le perfide en» voyé ; le Seigneur m'a révélé qu'il mourra, » (c'est-à-dire que vous lui ôterez vous-même >> la vie.) Hazaël qui sentit que le prophète avoit » lu dans son cœur se troubla et rougit. »

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Vous voyez, dit le grand-homme, qu'on peut tirer un très bon parti de cette petite histoire. < Elisée, dirai-je, répondit que le roi pourroit » guérir, mais qu'il mourroit. » Et j'ajouterai fort respectueusement : « si Elisée n'avoit pas été un >> prophète du vrai Dieu, on auroit pu le soup>> çonner de se ménager une évasion à tout évè>> nement: car si le roi n'étoit pas mort, Elisée » avoit prédit sa guérison, en disant qu'il pouvoit » guérir, et qu'il n'avoit pas spécifié le temps de

>> sa mort. »>

Vous êtes un bon raton, lui dit d'Alembert en lui serrant tendrement les mains. Avec quelle adresse vos pattes délicates tirent les marrons du feu! (Lett. de d'Alemb.) Les autres philosophes étoient muets d'admiration : il est digne d'être notre chef, s'écrièrent-ils enfin, celui qui sait si

bien arracher les armes des Chrétiens, les retremper et les ajuster à la philosophie dont elles assurent le triomphe.

Après tout, dit Rousseau, qu'avons-nous besoin de nous tourmenter pour constater l'ambiguité des prophéties? « En Sorbonne il est clair » comme le jour que les prédictions du Messie » se rapportent à Jésus-Christ. Chez les Rabbins » d'Amsterdam, il est tout aussi clair qu'elles n'y » ont pas le moindre rapport. » (Prof. de foi. ) Leur ambiguité est démontrée par cette seule observation.

Rousseau feignit d'ignorer que l'incrédulité des Juifs ayant été annoncée par les prophètes, elle est une preuve de plus de la divinité de leurs prédictions, et qu'elle justifie l'application que les Chrétiens en font à Jésus-Christ: aussi il n'en dit pas un mot. A l'aide de cette adroite réticence et de l'idée pour le moins très-singulière de faire dépendre du jugement d'autrui, une question que chacun peut décider soi-même si facilement, son argument parut péremptoire à nos philosophes. Ils virent alors que les Juifs pouvoient leur être de quelque utilité. Dans cette pensée, ils se hâtèrent de leur rendre le sens commun, et d'en faire des hommes ou quelque chose d'approchant, mais seulement dans les points où ils seroient en opposition avec les Chrétiens.

Nous pouvons, dit Voltaire, prouver facile

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ment à nos Welches que les Juifs, tout juifs qu'ils ont raison dans cette circonstance. Les Chrétiens citent un grand nombre de prédictions qui, selon eux, annoncent ce qui devoit arriver à Jésus-Christ et à sa religion avec une clarté qui a frappé d'étonnement les païens mêmes, et qui les a fait entrer en foule dans le sein de son Église. Vous sentez bien qu'il ne nous convient pas d'en parler. Mais il y a dans les prophètes des passages obscurs et sans rapport, du moins évident, à Jésus-Christ. C'est sur ceux-là que nous devons fortement insister. Mais ne dira-t-on pas que nous éludons la difficulté ? - Eh! qui le dira? Les lecteurs que nous avons en vue connoissent-ils les prophètes? Au surplus, si vous avez quelques inquiétudes à cet égard, il y a un moyen facile de les calmer. Citons quelques-unes des prophéties alléguées par les Chrétiens. Nous donnerons par là une preuve touchante de notre bonne foi et de la confiance que nous avons en notre cause. Mais en même-temps ayons soin de les tronquer, de les mutiler, de les dénaturer de manière qu'elles ne présentent aucun sens raisonnable; nous aurons de quoi nous égayer aux dépends de nos adversaires. « Les prophéties » qu'ils citent, dirai-je, ressemblent à Jésus>> Christ comme au Grand-Thomas, ce charla» tan du Pont-neuf, qui abusoit de la crédulité » de la populace par ses prédictions; et cepen

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